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Corneille. L'Indignation du vieil Horace.

Publié le 06/07/2011

Extrait du document

corneille

Vous étudierez les quelques vers qui suivent, et ferez à leur sujet les remarques littéraires ou morales qui vous paraîtront à propos.

Camille. 0 mes frères !

Le vieil Horace. Tout beau, ne les pleurez pas tous ; Deux jouissent d'un sort dont leur père est jaloux. Que des plus nobles fleurs leur tombe soit couverte ; La gloire de leur mort m'a payé de leur perte: Ce bonheur a suivi leur courage invaincu, Qu'ils ont vu Rome libre autant qu'ils ont vécu, Et ne l'auront point vue obéir qu'à son prince, Ni d'un État voisin devenir la province. Pleurez l'autre, pleurez l'irréparable affront Que sa fuite honteuse imprime à notre front ; Pleurez le déshonneur de toute notre race, Et l'opprobre éternel qu'il laisse au nom d'Horace.

JULIE. Que vouliez-vous qu'if fît contre trois ?

LE VIEIL HORACE. Qu'il mourût, Ou qu'un beau désespoir alors le secourût !

(CORNEILLE, Horace, acte III, scène vi.)

Conseils pratiques. — En quelques lignes, rapides, précises, situez le passage dans la pièce. Que nous apprend-il sur le caractère du vieil Horace ? Telle est la question à laquelle il faut répondre. Ce vieillard est un héros, ou plutôt un prêtre du patriotisme. L'amour de la patrie est le sentiment auquel tous les autres se subordonnent. Mais il y a des nuances à distinguer, des traits à mettre en valeur et que le texte indique après une étude attentive. Le patriote a-t-il tué le père, et le vieil Horace est-il rude, dur, impitoyable ? Ce patriotisme même est-il fait uniquement de l'esprit de dévouement et de sacrifice? 

corneille

« jeune, le mari de Sabine, a fui.

C'est la défaite que Julie annonce, et le déshonneur.

Artifice de génie, que Corneillea inventé en lisant Tite-Live : nous lui devrons d'inoubliables beautés. II Camille, nerveuse, farouche, pousse un gémissement en songéant à ses deux frères égorgés.

Mais le prêtre de lapatrie, le prêtre de la famille se dresse de toute sa hauteur.

Par une interruption brusque, il met fin à toutelamentation qu'il juge déplacée ; puis il parle, et sa tirade se développe par trois couplets de quatre vers :a) oraison funèbre de ceux qui sont morts au champ d'honneur;b) douleur du Romain à la pensée que Rome sera sujette d'Albe ;c) douleur du père, à l'idée que son nom est flétri pour toujours.Mais l'idée générale est une.

C'est le patriotisme qui anime tout le développement.

C'est le prêtre de la religion deRome qui bénit les martyrs, qui les loue d'être partis avant l'humiliation de la cité natale, qui lance l'anathème contrele déserteur.

Tout se confond sans doute dans le sentiment d'indignation qui secoue l'héroïque vieillard : les dieux,Rome, la famille ; mais tous les traits sont subordonnés au sentiment essentiel qui fait la forte unité de ce caractère: l'amour de la patrie.a) L'ardeur de cette indignation est telle qu'on ne songe pas à reprocher au vieil Horace que son affection manquede tendresse.

Ne pleurons, pas les morts, dit-il, puisqu'ils sont morts glorieusement.

Ce grand vieillard cornélien estévidemment hors de l'ordre commun.

Mais d'abord l'histoire, ou, si l'on veut, la légende historique nous montre bienqu'on supportait ainsi, dans la Rome naissante, la perte des enfants tombés devant l'ennemi.

Puis, il n'est pas justede dire que le vieil Horace est un père sans affection.

Il a de l'affection pour ses fils, mais il ne laisse prendre àl'amour paternel que la place que le devoir lui abandonne.

Il y a en lui un sentiment jaloux, absolu : l'amour de lapatrie.A cette heure, ce sentiment est exaspéré par les événements tragiques qui se déroulent.

Plus tard le père pleurerapeut-être en portant des fleurs au tombeau de ses fils.

A présent, il a les yeux secs et l'air implacable.Tout au plus s'arrête-t-il un instant pour saluer à l'avancele tombeau qui sera bâti.

Il passe vite, il va au plus pressé.b) Et la vision de la patrie conquise le fait tressaillir plus violemment que l'image de ses enfants étendus sur le sol.Le vrai malheur, le seul qui compte, c'est celui-là.Comment les plaindrait-il, les deux braves qui n'auront pas assisté à cet affreux spectacle : Rome mise sous les loisd'un État voisin ?Remarquons, en passant, que cet État voisin, c'est Albe, la mère de Rome.

Rome détruira sa mère, sans regret,comme le vieil Horace tuerait son fils, sans hésitation : tout se tait, quand il s'agit de l'avenir de la ville éternelle.Ainsi le patriotisme impitoyable de la Rome primitive tirait sa force d'un orgueil démesuré, et c'est dans cet orgueilque le vieux Romain a été blessé cruellement.c) Il l'est aussi dans son orgueil de père de famille.

A cette époque, le père est le prêtre du foyer.

Son autorité estdivine.

Lui-même il sera un dieu pour ses descendants.

Le nom de la gens est sacré.

La gloire qui l'illustre, la hontequi le ternit, s'étend à la gens tout entière, à son culte, à ses dieux.

Et cet orgueil du nom, déjà énorme chez lesHoraces, est multiplié encore par le sentiment du rôle que leur confia la cité.

La vanité patriotique double la vanitéfamiliale; elles dépassent les bornes.De là, le cri de douleur poignant, poussé par le vieil Horace, en présence de l'abîme d'infamie où le nom de la race vatomber pour toujours.Il semble même que cet orgueil du nom soit assez fort, un instant, pour l'emporter sur l'orgueil patriotique.

Al'interrogation de Julie, le vieillard répond avec emportement : « Qu'il mourût! », c'est-à-dire qu'il tombât avec sesdeux frères : le nom d'Horace restait intact.

Mais l'autre orgueil a vite fait de reprendre le dessus.

Le jeune Horacemort, c'était la servitude pour Rome.

Pensée odieuse! Le vieux patriote se ressaisit et souhaite que, poussé par ledésespoir, son fils eût retardé l'heure fatale.

Le premier cri est lancé par le prêtre de la famille, le second par leprêtre delà patrie.

Conflit dramatique, beautés vraiment cornéliennes : ce n'est pas le seul : « Qu'il mourût » qui estsublime, c'est le drame qui se joue dans cette âme stoïque, et qui soudain nous apparaît entre ces deuxexclamations comme entre deux éclairs. III L'expression de cet orgueil héroïque est altière et éloquente.

Ce Romain a lu Tite-Live.Malgré les points qui séparent les trois parties de la tirade, la phrase est une.

Il manque : « en effet » au vers 2; «de plus » au vers 5 ; « au contraire » au vers 8.

Tout cela retarderait l'élan, tout cela est inutile : un soufflepuissant nous entraîne et nous empêche de nous arrêter.

Rien en effet ne nous arrête : ni une expressionpittoresque qui frappe notre imagination, ni une expression touchante qui émeuve notre sensibilité.Le premier geste est marqué par l'exclamation : « Tout beau ! » Si elle est familière, elle est plus énergique encore ;si elle ne l'est pas, sa brusquerie (d'ailleurs appuyée par la coupe) suffit à arrêter Camille.Le vocabulaire est d'une justesse saisissante : jouissent, jaloux, sont des mots qui notent exactement l'idée.

Levers 3 est caractéristique : ces martyrs réclament de nobles fleurs : ni couleur, ni effet esthétique : effet moral.Même énergie précise dans les verbes : a payé = a compensé ; a suivi = a accompagné immédiatement.

Invaincun'est pas un néologisme, ni une hardiesse ; lui aussi apporte une précision nouvelle.Jusqu'au vers 5, les membres de phrase se détachent un par un (et coïncident avec le vers).

A présent, la voix. »

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