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Corneille, Nicomède I, 2, v. 156-183 (commentaire)

Publié le 09/02/2011

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corneille

Nicomède Seigneur, je crains pour vous qu'un Romain vous écoute;

Et si Rome savait de quels feux vous brûlez,

Bien loin de vous prêter l'appui dont vous parlez,

Elle s'indignerait de voir sa créature A l'éclat de son nom faire une telle injure, Et vous dégraderait peut-être dès demain Du titre glorieux de citoyen romain. Vous l'a-t-elle donné pour mériter sa haine, En le déshonorant par l'amour d'une reine, Et ne savez-vous plus qu'il n'est prince ni rois Qu'elle daigne égaler à ses moindres bourgeois? Pour avoir tant vécu chez ces cœurs magnanimes, Vous en avez bientôt oublié les maximes. Reprenez un orgueil digne d'elle et de vous; Remplissez mieux un nom sous qui nous tremblons tous, Et sans plus l'abaisser à cette ignominie D'idolâtrer en vain la reine d'Arménie, Songez qu'il faut du moins, pour toucher votre cœur, La fille d'un tribun ou celle d'un préteur; Que Rome vous permet cette haute alliance, Dont vous aurait exclu le défaut de naissance, Si l'honneur souverain de son adoption Ne vous autorisait à tant d'ambition. Forcez, rompez, brisez de si honteuses chaînes; Aux rois qu'elle méprise abandonnez les reines; Et concevez enfin des vœux plus élevés, Pour mériter les biens qui vous sont réservés.   

Dans l'Avertissement au lecteur, Corneille nous prévient que sa pièce est « d'une constitution assez extraordinaire «. Nicomède est en effet l'envers de la grandeur; Corneille y montre ce que la soif de domination coûte à un Etat de petitesses politiques et de mesquineries diplomatiques. Attendons-nous donc à voir tous les médiocres se donner rendez-vous à la cour de Prusias : un seul personnage domine par sa grandeur et son amour de la liberté : c'est Nicomède lui-même. Paradoxalement, le héros fait tout pour renforcer la ligue qui s'est formée contre lui. Le spectateur fait le rapprochement avec Polyeucte et s'attend pour Nicomède au même sort. Mais voici que va triompher la volonté sur les âmes veules.

corneille

« 1.

Nous sommes à la cour de Prusias, roi de Bithynie, peu de temps après la mort d'Hannibal.

Docile aux volontés desa seconde femme, Arsinoé, le roi a éloigné Nicomède, fils d'un premier mariage.

Prusias, par ailleurs, tremble devantFlaminius, ambassadeur de Rome.

Enfin il retient à sa cour, et sous sa surveillance, Laodice, reine d'Arménie, qu'ilvoudrait marier à son second fils, Attale, né de son mariage avec Arsinoé.

Cependant Nicomède est revenu, aprèsde brillantes victoires, à la cour de Prusias, pour confondre Arsinoé qui a voulu le faire assassiner et défendreLaodice qu'il aime et qui partage toutes ses idées, en particulier la haine des Romains, inspirée par le souvenird'Hannibal.

Quant à Attale, il vient de passer toute son enfance à Rome, où l'on s'est chargé de son éducation, afinde faire de lui un disciple tout dévoué à la politique romaine. Dans la scène dont notre fragment est un extrait, Attale déclare son amour à la reine d'Arménie, en présence deNicomède qu'il ne connaît pas et qu'il prend pour un suivant : d'où le quiproquo.

Laodice se moque des galanteriesd'Attale.

Nicomède, sans se dévoiler, accable Attale de son ironie. 2.

La tirade qui nous occupe est un chef-d'œuvre d'ironie, ironie sous laquelle se déguise, imparfaitement d'ailleurs,une fureur concentrée contre la politique romaine, d'où deux tendances principales qu'il nous appartiendra demontrer : a) Le goût de Corneille pour la philosophie politique.

Le dramaturge oppose à « l'orgueilleuse masse de la puissanceromaine » (Examen)...

qui « agit impérieusement aves les rois ses alliés », la fierté d'un représentant de larésistance à la tyrannie; b) Le goût de Corneille pour le mélange des genres : nous avons ici une scène de quiproquo digne de Molière.N'oublions pas que Nicomède est une tragi-comédie.

Mais l'ironie du héros n'est pas surajoutée : elle est chez lui unearme : elle est partie constitutive du drame.

Le discours est la seule manifestation de Nicomède, mais unemanifestation combien brillante! En présence' des déclarations amoureuses d'Attale, Nicomède n'a réagi jusqu'àprésent que par quelques picoteries.

Le voici lancé maintenant dans une longue invective qu'il soutient avec unsouffle combien puissant. II.

— Plan. La tirade se décompose en trois mouvements distingués nettement par la forme et l'emploi des verbes : leconditionnel, l'interrogation, l'impératif. 1° Nicomède intrigue Attale qui s'était vanté d'obtenir l'appui de Rome pour forcer Laodice à l'épouser.

Ces septpremiers vers paraissent encore énigmatiques.

Le conditionnel développe une hypothèse un peu sibylline (vers 1-7). 2° Nicomède dévoile son intention satirique : Attale qui veut épouser une reine, oublie bien rapidement les leçonsdes Romains.

On pourrait appliquer à cette partie le vers tiré de la Bérénice de Racine et ainsi transformé : Rome hait tous les rois et Laodice est reine. 3° Dans une charge martelée par une série d'impératifs, Nicomède accable Attale de son mépris en feignant de luidonner des conseils de volonté et de courage (vers 14-27). a) crescendo oratoire : trois impératifs répartis comme suit : 1 vers : reprenez..., — 3 vers : remplissez...-, — 6 vers : songez...

Loin de s'épuiser, le souffle de Nicomèdes'amplifie donc. b) invective finale : forcez, rompez, brisez, abandonnez, concevez. Comme toujours chez Corneille, la tirade se termine sur un temps fort, ici une redoutable accumulation d'ordres.

Nicomède se révèle un brillant orateur qui, tour à tour, déroute l'adversairepar la surprise, le harcèle de questions, l'accable d'ordres ironiques. III.

— Explication détaillée. Je crains pour vous : affectation de pitié ou de sympathie qui contraste avec Seigneur.

Nicomède feint de témoignerde l'intérêt aux sentiments et à la personne d'Attale.

En réalité il renverse brusquement la menace d'Attale et laretourne contre son auteur. Qu'un Romain...

et si Rome savait : Nicomède change en épouvantail la puissance dont Attale se vantait d'obtenir laprotection pour lui.

Rome a partout ses espions (qu'un Romain vous écoute) et contrôle jusqu'aux sentimentsindividuels. De quels feux vous brûlez : l'expression, tout à fait précieuse, n'a plus aucun sens expressif.

Mais elle est justementpropre à intriguer Attale qui est pleinement convaincu de la légitimité de son amour (Rome, qui m'a nourri, vous. »

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