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Decadentisme

Publié le 31/07/2014

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LE DÉCADENTISME : UNE ESTHÉTIQUE DU MORBIDE ET DU MALADIF Emmanuel Boldrini - Morgane Coston Complément Ariane Chaumat - Emilie Husson Introduction Si les protagonistes du décadentisme ont voulu, chacun à leur échelle, fonder une pensée diamétralement opposée à la doctrine positiviste, ils n'ont cependant pas hésité à puiser dans le naturalisme certains de ses aspects pour les remanier d'une manière novatrice. En effet, le thème du corps chez les décadents a ceci de naturaliste qu'il est (mal)traité de manière frontale, matérielle... Ce traitement qui, chez les naturalistes, servait un texte d'une science aigue et précise devient, avec les décadents, prétexte à l'élaboration d'une esthétique morbide, maladive décadente. Peu étonnant, donc, que cet héritage inavoué par les décadents se manifeste le mieux chez le plus naturaliste d'entre eux : Joris Karl Huysmans. À rebours est constellé des pathologies de son héros, qui use toute son intelligence d'esthète aristocrate « f in de race » à fuir un corps de douleur et une société gangrénée. Emile de Goncourt admettra lui- même que le roman lui aura « apporté une petite fièvre à la cervelle » ; l'oeuvre, dans sa marche frénétique, propageait sa névrose en forçant les lecteurs à considérer les troubles qu'elle faisait naître en lui. Si Des Esseintes fera des émules (en témoigne le poème choisi de Jean Lorrain) c'est que son attitude répond à un sentiment socialement global ; elle est en quelque sorte l'esthétisation des craintes omniprésentes dans l'inconscient collectif d'alors : partout on loue le progrès et prophétise ses apports, pourtant l'hygiène peine à s'améliorer (l'éclairage au gaz noie les villes sous une couverture noire et polluée, les plans d'hausmannisation ne sont pas aboutis), la maladie recule peu et la récente psychologie en met à jour de nouvelles sans les soigner vraiment. Cependant le progrès aura également une influence toute autre chez certains décadents : bien que décrié par ces auteurs dans sa globalité, il servira un thème inhérent à ces littératures, celui de l'artificialité. Huysmans substitue la locomotive à la trop humaine femme ; Villiers de Lisle Adam, quant a lui, mécanise le corps féminin jusqu'à en faire un robot, dans son Ève future. Cette vision robotique du corps, préfigurant les ouvrages de science fiction et faisant suite aux appréhensions de Mary Shelley (Frankenstein), exclut toute considération érotique. Le rapport au corps chez les décadents et, plus encore, chez les symbolistes a souvent été réduit à un érotisme parfois immaculé (chez Joseph Péladan notamment) parfois débridé ( chez Rachilde ou Catulle Mendès). Nous avons choisi de centrer notre choix sur une facette moins reconnue de la vision décadente du corps, pourtant inhérente à ces littératures : celle de la mort et de la maladie. L'essor des sciences et la ~ 111 ~ Florilège fin de siècle diversité de leurs nouvelles perspectives (en particulier la psychologie) ont permis une acuité plus profonde du regard que portaient les auteurs sur la maladie. Le mal dont souffre Des Esseintes est comparable à celui de Roderick Usher dans la nouvelle d'Edgar Poe (auteur admiré par les décadents et les symbolistes) mais, sous le plume de Huysmans, il est décrit de manière plus médicale. Il nous a paru intéressant de nous pencher sur le traitement du corps chez ces auteurs, d'abord pour le caractère inédit de l'esthétique pathologique, ensuite pour son intérêt thématique : elle peut être considérée comme le support de leur thème privilégié, à savoir le rapport qu'entretient l'homme avec la mort. La maladie offre à voir la mort dans la vie même et permet au questionnemen t métaphysique sur la mort de transcender la vie des personnages. Ainsi, par une description parfois médicale des symptômes, des pathologies, des causes et des effets, les auteurs décadents parviennent à soutenir un discours sur la mort tout en ancrant ce discours dans une réalité frontalement réaliste. C'est cet aspect de la littérature décadente qui nous a particulièrement intéressés parce qu'il prouve la complexité de fond et de forme des axes de pensée chez ces auteurs. En mettant à nu le corps dans ce qu'il a de plus dégradant, en prolongeant le sabotage esthétique et moral entamé par Baudelaire (on pense à sa théorie du « beau bizarre » particulièrement éloquent avec la maltraitance du corps dans « Une charogne ») les décadents opèrent un tournant décisif dans l'histoire de la littérature. Toutefois, le fantasme érotique, chez ces auteurs, ne se distingue pas toujours de la vision morbide ; en témoigne la description que fait Huysmans de la Salomé de Gustave Moreau, à la fois vierge et criminelle, ou en core, picturalement toujours, les dessins érotico-macabres de Félicien Rops. Ainsi, le personnage malade est (théories de Paul Bourget à l'appui) bien souvent le reflet d'une société malade et souvent le fruit d'une imagination malade. Huysmans, rongé par ses rhumatismes autant que le fut Rollinat par sa névralgie, écrivit À rebours dans un état de réelle hypocondrie. Aussi, dans une lettre à Zola datée de 1884, évoque-t-il l'apport de sa « trop personnelle névrose » et avoue avoir voulu émettre « des idées vraiment malades ». Ces idées se traduisent dans le roman par l'image d'un corps affaibli apparaissant en filigrane dans À rebours, résultat d'un héritage dégénéré (à l'image des personnages de Zola), et d'une cervelle excitée et lasse à la fois, qui cherche à ignorer son corps souffrant par une fuite dans l'au- dedans. Paradoxalement, ces aspects du décadentisme confirment la thèse toute positiviste du cerveau génial dans un corps malade (émise par Louis-Francisque Lelut puis approfondie par Gaston Loygue au début du XXème siècle entre autres). Ainsi, les décadents s'érigent contre les thèses positivistes dans leurs écrits et les confirment dans le geste d'écriture. Par la dévalorisation du corps et l'élaboration d'une esthétique de la fragilité, les décad ents cultivent l'image d'une humanité à bout de course, fébrile, que ses propres stratagèmes (la technique et la médecine) pour échapper aux maux naturels (la maladie et la mort) ne suffisent pas à sauver. En poétisant la faiblesse des hommes face au pouvoir de l'espèce, ces littératures vont dans le sens du pessimisme schopenhauerien en vogue à l'époque. ~ 112 ~ Le décadentisme : une esthétique du morbide et du maladif Nombre de symbolistes se poseront cette question que Mallarmé avait formulée avant eux : « v écut- il ? » (Le pronom ne renvoyant pas à une personne définie). Ayant dépassé la pensée décadente tout en s'appuyant sur elle, les symbolistes admettront le corps comme barrière de souffrance et le considèreront comme première limite à dépasser pour transcender le réel. Cette idée survivra à la fin du siècle et se retrouvera chez des auteurs bien éloignés des théories symbolistes comme Antonin Artaud et sa conception quasi-métaphysique de la « f écalité ». COMPLÉMENT : LE LIEN ENTRE BEAUTÉ ET MORBIDE Héritiers du romantisme noir, les poètes symbolistes et décadents traitent souvent de la mort, du mal...