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DIDEROT, Paradoxe sur le Comédien.

Publié le 17/01/2022

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diderot
Les grands poètes, les grands acteurs, et peut-être en général tous les grands imitateurs de la nature, quels qu'ils soient, doués d'une belle imagination, d'un grand jugement, d'un tact fin, d'un goût très sûr, sont les êtres les mains sensibles. Ils sont également propres à trop de choses; ils sont trop occupés à regarder, à reconnaître, à imiter, pour être vivement affectés au-dedans d'eux-mêmes. Je les vois sans cesse le portefeuille sur les genoux et le crayon à la main. Nous sentons, nous; ils observent, étudient et peignent. Le dirai-je? Pourquoi non ? La sensibilité n'est guère la qualité d'un grand génie. DIDEROT, Paradoxe sur le Comédien. Situation du passage. Le Paradoxe sur le Comédien a été écrit en 1773. Commencé vraisemblablement à Paris avant le départ pour Saint-Pétersbourg, cet essai a dû être continué en Hollande et achevé en Russie. D'un point de départ technique et sans grand intérêt, la pensée de Diderot s'élargit et édifie une théorie générale, d'après laquelle le génie est opposé à la sensibilité. Le passage proposé est au centre même de la théorie. La thèse de Diderot. Une longue phrase, énergiquement martelée et d'un ton catégorique (malgré une légère atténuation : peut-être), pose la thèse sous sa forme la plus générale : tous les grands imitateurs de la nature... sont les êtres les moins sensibles. Diderot n'hésite pas à heurter de front les idées reçues. Comment! Les grands poètes seraient insensibles? Virgile, les écrivains de la Pléiade et, postérieurement à Diderot, Lamartine, Musset, Verlaine, ne sont-ils pas, entre tant d'autres, des exemples de poètes sensibles? Et n'est-ce pas le même Diderot qui, dans son Discours sur la poésie dramatique, écrit en 1758, définissait l'inspiration poétique à la manière platonicienne, comme un délire qui nous transporte hors de nous-mêmes? En ce qui concerne les grands acteurs, on pourrait discuter à perte de vue. Diderot cite la Clairon comme type de comédienne qui joue « d'étude », « de réflexion »; on pourrait aussi invoquer à l'appui de sa thèse les confidences de Talma, toujours maître de lui sur la scène, ou l'exemple contemporain d'un Louis Jouvet; mais les acteurs sensibles semblent être aussi nombreux que les acteurs de sang-froid. D'ailleurs presque tous ceux qui ont parlé de l'interprétation théâtrale sont opposés à la doctrine de Diderot et celui-ci est obligé de reconnaître dans ce même Paradoxe que les acteurs qui jouent « d'âme » sont parfois sublimes.

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