DU BELLAY - FRANCE, MÈRE DES ARTS... (REGRETS, 9)
Publié le 15/02/2011
Extrait du document
France, mère des arts, des armes et des lois, Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle : Ores, comme un agneau qui sa nourrisse appelle, Je remplis de ton nom les antres et les bois. Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois, Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ? France, France, réponds à ma triste querelle : Mais nul, sinon Echo, ne répond à ma voix. Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine; Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau. Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture, Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure : Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.
Dans l'un des premiers sonnets des Regrets Du Bellay précise quel sera son nouvel art poétique : « Je me contenterai de simplement écrire Ce que la passion (== sensibilité) seulement me fait dire. Les Regrets sont en effet la confidence sincère et pathétique des déceptions du poète, de ses souffrances, de sa nostalgie. Leur ton est foncièrement naturel, car la science de l'artiste se fait humble, les procédés de style se pliant aux mouvements spontanés par lesquels s'expriment les sentiments.
«
et de joie.
Ces vers épiques sont transfigurés, chez Du Bellay, par l'émotion présente :
France, mère des arts, des armes et des lois...
A la fierté, qui persiste, (on saisit les allusions à la Renaissance, aux victoires de François Ier et à son œuvreréformatrice), s'ajoute quelque intention satirique (c'est la France, et non plus l'Italie, qui, désormais, est la nationcivilisatrice par excellence), et surtout le ton est nouveau : c'est celui de la plainte, du reproche.
« Mère », dans lesvers de Du Bellay, est uniquement du registre affectif.
Même sens de l'imitation originale avec l'évocation de la nymphe Echo.
Celle-ci, repoussée par son amant,remplissait elle aussi de ses plaintes « les antres et les bois ».
C'est la douleur, et non le désir d'étaler son érudition,qui a suggéré à Du Bellay la vision de la nymphe éplorée, comme lui abandonnée et désespérée.
La comparaison de l'agneau est prise à l'Italien Pamphilo Sasso (10 vers !).
Mais Du Bellay ajoute des détails sentisde façon personnelle (D'une tremblante horreur...) et révèle, dans la mise en œuvre de la comparaison, un artpuissamment original (Cf.
§ 3).
2.
— Savante et pourtant naturelle est la composition du sonnet.
Dans les deux quatrains est traité le thème de l'abandon, chaque quatrain comportant une antithèse entre le passéet le présent.
Mais le second est plus véhément que le premier.
Les tercets, poursuivant la progression pathétiqueamorcée, ajoutent à l'idée d'abandon les craintes qu'inspire la maladie et l'amertume que provoque l'injustice dont DuBellay se sent victime.
Le crescendo est donc bien ménagé.
Mais n'est-il pas naturel aussi que le désespoir aillecroissant avec la méditation sur le malheur ?
3.
— La comparaison qui constitue l'armature même du sonnet est un procédé poétique que Du Bellay utilise trèssouvent.
Elle lui permet la représentation concrète, c'est-à-dire vivante, tangible, de ses sentiments.
Grande est,en effet, la puissance de suggestion de ce cadre désert : « les antres et les bois », ou dangereusement dépouillé :
Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine.
La douleur physique est plus éloquente que la douleur morale qu'elle symbolise :
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Artiste toujours, Du Bellay prépare sa comparaison avec « mère » des arts et le vers 2 (« nourri », « lait », «mamelle ») qui sont à prendre dans un sens figuré sans plus.
Les correspondances qui vont du symbole à la réalitésont nombreuses, scrupuleuses : derrière les personnages ou les choses nous voyons la France, Du Bellay, ses amis(le troupeau), l'exil, la vieillesse et la maladie (l'hiver), les courtisans romains (les loups cruels)...
Savant encore estle passage hardi de la comparaison à l'identification.
Du Bellay ne se compare plus à l'agneau : il est l'agneau.
Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine.
Savant enfin le rappel du 1er tercet tout entier par le seul second vers du second tercet :
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure.
Et pourtant nulle part on ne sent l'artifice.
La naissance de la comparaison, puis le glissement de la comparaison àl'identification s'observent dans le langage courant dès qu'une émotion violente cherche à s'exprimer, et s'expliquentici par l'excès de la souffrance éprouvée et sa violence croissante.
Quant à la nature même de la comparaison, quelsymbole plus simple et plus naturel que celui de la mère pour évoquer la tendresse dont l'âme de notre poète a lanostalgie, et, pour suggérer le caractère monstrueux de l'abandon dont il est victime, quel symbole plus juste et plussimple encore que l'abandon de l'en fant par sa mère ?
4.
— En étudiant le détail du style pathétique de Du Bellay
nous pourrons déceler un art très raffiné, et pourtant nous sentirons combien naturels, voulus par les sentimentseux-mêmes, sont les mises en relief, les accumulations de termes expressifs, les antithèses, — procédés spontanésde tout plaidoyer véhément, — et combien justes sont les effets musicaux si délicats.
(V.
1) France //
cri spontané de l'exilé ; mis en relief par une coupe forte prématurée.
mère des arts, / des armes / et des lois, vers grave par sa lenteur (coupes) et ses a sonores : voilà pour l'éloge.Pour peindre l'appel ou le reproche : accentuation pathétique de « mère » ; voiler la sonorité des a surtout à l'aidedes r gutturaux..
»
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