D'un poète - Jean Amrouche, Chants berbères de Kabylie

« Sous forme de commentaire composé, dégagez la portée de cette vision et ce qui vous paraît caractériser satonalité poétique. On note une nouvelle fois que les orientations fournies par l'examinateur sont très imprécises : « la portée de cettevision » ne signifie rien de plus que la signification de ce poème et la « tonalité poétique » rien d'autre que la valeurdu texte sur le plan poétique.

Ces formules qui peuvent s'appliquer indifféremment à tous les poèmes, n'en éclairenten définitive aucun. Le commentaire sera construit autour de deux thèmes : 1 — La puissance du poète créateur L'impression immédiate laissée par le poète tel que le conçoit Amrouche est celle d'une inépuisable vigueur, dont ilfaut dégager les composantes : a) Il déploie des efforts démesurés pour réorganiser le monde selon d'autre lois.

Il a « ancré » ses mains, « tué »tous ses muscles.

Il s'épuise jusqu'aux « craquements » des os et aux « éclatements » de sa chair.

L'entrepriseambitieuse d'un esprit qui veut remodeler la création devient la lutte titanesque d'un géant avide de bouleverser lescontinents.

La démesure de l'ambition poétique mobilise à plein toutes les facultés dans une exorbitante tension del'âme et du corps. b) Le principe de son énergie est inépuisable, comme celui du feu souterrain.

Commenter ici le vers.

8 : « De toute la force d'un volcan grondant au creux de lui.

» Cela marque l'ardeur, la conviction dynamique,l'impatience impétueuse (« grondant »).

Sa marche est comme un déchaînement : elle revêt l'ampleur majestueused'un irrésistible déferlement, qui est en outre lucidement décidé : « Et maintenant voyez-le qui s'avance.

» c) Il a la stabilité des puissants.

L'image de l'île immobile dans le chaos universel (« il est une île dans la merd'ombres », v.

7), puis dans le flot de la foule humaine : « On le voit comme une île immobile « Quand les marées d'hommes obscurs « Déferlent contre ses flancs »; l'image de l'île donc marque qu'il est le pointde référence fixe, la certitude absolue, le roc inébranlable auprès duquel chacun peut trouver réconfort, assistanceet foi. d) La démesure de son intelligence lui permet d'embrasser dans une vaste synthèse les secrets du ciel et lesmystères de la terre profonde : « La tête au sein des étoiles « Les pieds emmêlés aux racines de la terre...

» Et plus loin : « Il a des bras immenses » (il ramène tout à lui, il comprend et rassemble la création dans sa totalité).« Sa tête émerge parmi les étoiles » marque combien son pouvoir est cosmique.

Il englobe par l'esprit la complexitéde l'univers.

Il le domine de sa stature et l'étreint de ses bras pour mieux le reconstruire. 2 — La pénétration du poète visionnaire à) L'acuité du regard.

Relever ici tous les termes qui décrivent les yeux du géant : « Les yeux sont comme les yeux»...

(v.

10 à 14).

Puis « il est celui qui voit en Dieu » et « ses larges yeux d'oiseau de nuit », alors qu'on avait « lesyeux des oiseaux de soleil » au v.

10.

Il perçoit les choses distinctement, aussi bien dans l'ardeur lumineuse du soleilque dans les profondeurs de la nuit : il n'est pas de domaine opaque à son regard. Son regard est « oblique » (v.

11), ses yeux « Fermés de biais » (v.

29) comme si le mince filet de ce regard avait lapénétration d'une lame étroite. b) L'intention du regard.

Il « traverse et cerne les objets...

etc.

».

Il va jusqu'au fond des choses, jusqu'au plussecret de leur beauté, admirablement exprimée par « leur noyau de miel et d'or mêlés »; car chaque chose est riched'une splendeur insoupçonnée, incluse au dedans d'elle-même, et que le poète est capable de révéler, comme uncorps harmonieux sous la banalité des vêtements.

Cette opération libératrice du regard se continue en estimationintellectuelle : il « Pèse leur masse secrète ».

Les choses sont ainsi restituées dans leur valeur authentique, avecleur vraie dimension esthétique. c) Le but suprême est de créer la beauté.

Après avoir apprécié les choses à leur juste poids, les avoir circonscrites« avec leur volume vrai », il les recompose et les établit selon les lois intérieures de son esprit.

Il les dispose avecharmonie « Dans l'univers interne où il est Dieu ».

Son pouvoir créateur est sans entrave.

Il est maître absolumentd'élaborer à sa guise et selon les exigences déterminées par son génie les volumes et les couleurs d'un mondenouveau, régi par les aspirations esthétiques propres à l'âme humaine. Il possède dans l'ordre intellectuel un pouvoir égal à celui des forces qui ont engendré le monde physique.. »