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Émile Zola (La Débâcle): Partie 3/Chapitre VIII

Publié le 29/09/2010

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Jean, plein d'angoisse, se retourna vers Paris. A cette fin si claire d'un beau dimanche, le soleil oblique, au ras de l'horizon, éclairait la ville immense d'une ardente lueur rouge. On aurait dit un soleil de sang, sur une mer sans borne. Les vitres des milliers de fenêtres braisillaient, comme attisées sous des soufflets invisibles; les toitures s'embrasaient, telles que des lits de charbons; les pans de murailles jaunes, les hauts monuments, couleur de rouille, flambaient avec les pétillements de brusques feux de fagots, dans l'air du soir. Et n'était-ce pas la gerbe finale, le gigantesque bouquet de pourpre, Paris entier brûlant ainsi qu'une fascine géante, une antique forêt sèche, s'envolant au ciel d'un coup, en un vol de flammèches et d'étincelles? Les incendies continuaient, de grosses fumées rousses montaient toujours, on entendait une rumeur énorme, peut-être les derniers râles des fusillés, à la caserne Lobau', peut-être la joie des femmes et le rire des enfants, dînant dehors après l'heureuse promenade, assis aux portes des marchands de vin. Des maisons et des édifices saccagés, des rues éventrées, de tant de ruines et de tant de souffrances, la vie grondait encore, au milieu du flamboiement de ce royal coucher d'astre, dans lequel Paris achevait de se consumer en braise. Alors, Jean eut une sensation extraordinaire. Il lui sembla, dans cette lente tombée du jour, au-dessus de cette cité en flammes, qu'une aurore déjà se levait.

Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez, par exemple, étudier comment l'écrivain donne vie et signification au spectacle tragique de Paris incendié.

1. Braisillaient : brillaient d'une lueur rougeâtre. 2. Fascine : fagot de bois sec. 3. La caserne Lobau : lieu où étaient fusillés les Communards condamnés par la cour martiale.

 

 

La Débâcle raconte l'effondrement du Second Empire au terme de la guerre franco-prussienne (1870-1871). Le roman s'achève sur la répression sanglante qui a mis fin à la Commune de Paris (28 mai 1871). Jean Macquart, bouleversé par la mort d'un ami, contemple, dans les dernières pages du roman, la capitale incendiée par les Communards désespérés.

 

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« rouge et le bleu.Les sons reproduisent les bruits de l'incendie : le principal est celui des « pétillements» (l.

9) ; mais ce mot serapporte aussi à la lumière.

On notera quelques allitérations* ou assonances* imitant le froissement des flammes :allitérations en [1], [z] et assonances en [e], [E] et [i] dans la phrase « braisillaient, comme attisées sous dessoufflets invisibles» (l.

4-5) ; allitérations en [1] dans l'expression «vol de flammèches et d'étincelles» (l.

13).La brutalité, les fantaisies et le caractère inéluctable de l'incendie, qui connaît des rémissions et de brusques accèsavant de s'achever en feu d'artifice, puis en cendres, sont également retranscrits.

On trouve ainsi le rythme dessoufflets qui scande le jaillissement des flammes (l.

4-5), et des expressions comme «s'envolant au ciel d'un coup»(l.

12), «montaient toujours » (l.

14), «gerbe finale » (l.

10), « achevait de se consumer en braise» (l.

22).Enfin, l'absence d'humidité renforce la chaleur du feu : le chardon est une fleur que l'on fait souvent sécher, et laville est assimilée à une «forêt sèche» (l.

12).La cité est atteinte et concernée par le désastre en toutes ses parties : « vitres» (l.

5), «pans de murailles » (l.

7),« hauts monuments» (l.

8), «maisons et édifices» (l.

18-19), « rues » (l.

19).Mais on ne saurait oublier ses habitants : leur présence donne au tableau sa dimension tragique. *** Les habitants ne sont pas épargnés par la frénésie de la passion, que symbolise le feu.

Évoqués dans la dernièrepartie du texte, ils participent à la violence de la description par celle des sentiments extrêmes qui les animent.Le thème de la mort est très présent : mort des immeubles («Des maisons et des édifices saccagés, des rueséventrées», 1.

18-19) mais aussi des êtres avec «les derniers râles des fusillés» (l.

15-16).

Le « sang » qui coule (l.4), l'évocation de «tant de ruines et de souffrances» (l.

19-20), l'« angoisse » (l.

1) de Jean Macquart bouleversépar le spectacle mais d'abord par le décès d'un ami renforcent cette atmosphère funèbre.La mort s'accompagne de violences : violence du feu, des destructions dues aux incendies et aux pillages qui lesaccompagnent, des exécutions dues à la guerre civile.Pour faire sentir cette âpreté, Émile Zola recourt à un procédé littéraire, le grandissement épique* : tout prend unedimension supérieure à la normale.

La ville est « immense »(l.

3) et comparée à « une mer sans borne » (l.

4); les fenêtres se comptent par « milliers » (l.

5) ; les adjectifs «gigantesque » (l.

10), « géante » (l.

11), «grosses » (l.

14) ponctuent la description des flammes, et le coucher desoleil est « royal » (l.

21).

Enfin, la rumeur humaine est « énorme » (l.

15) et Jean éprouve une « sensationextraordinaire » (l.

23).Le caractère exceptionnel de la situation vient aussi du fait qu'il s'agit d'une guerre civile, le pire des conflits parcequ'il oppose les membres d'un même peuple : la terreur des vaincus et la joie des gens qui n'ont pas participé auconflit coexistent en un contraste frappant.

Les uns sont aux prises avec l'agonie («derniers râles des fusillés», 1.15-16), d'autres avec le bonheur d'une belle journée de printemps («la joie des femmes et le rire des enfants, dînantdehors après l'heureuse promenade, assis aux portes des marchands de vin», 1.

16-18; « cette fin si claire d'unbeau dimanche», 1.

1-2).L'espoir n'est donc pas absent de l'évocation.

D'abord, le coucher de soleil est symbole de disparition et de mort,mais il est suivi plus tard d'un nouveau jour, ici présent par la mention, à la fin du texte, de « l'aurore » (l.

25).D'autre part, aux cris des mourants se mêlent, dans la même phrase, les bonheurs des femmes et des enfants,symboles de la vie qui continue et de la douceur.

Au milieu des ruines subsistent les boutiques des « marchands devin » (l.

18), et « la vie grondait encore» (l.

20), ce qui montre que Paris n'est pas entièrement détruit.

Auvocabulaire négatif s'ajoutent les termes plus positifs : « beau dimanche» (l.

2), « joie » (l.

16), « rire » (l.

17),«heureuse promenade» (l.

17-18).C'est pourquoi, comme le lecteur, Jean passe, devant ce spectacle, de la frayeur à l'espérance. *** Dans La Débâcle, comme dans l'ensemble de son oeuvre, Émile Zola voulut retracer fidèlement les principauxévénements de son époque.

Son évocation de la Commune, par l'art des contrastes et l'expression de la violenced'une guerre civile, remplit ce rôle.Mais le romancier se fait également poète par une peinture de Paris où les couleurs de la ville sont exaltées entouches vives, où le ciel, les bâtiments et le feu se mêlent en un mouvement de fusion.

Ces procédés étaient déjàutilisés dans La Curée pour exprimer à la fois les effets du soleil et ceux de la spéculation immobilière, qui fontpleuvoir une pluie d'or sur la capitale.Ces tableaux littéraires se rapprochent de la technique des peintres impressionnistes comme Claude Monet, quiprirent d'ailleurs souvent Paris comme modèle.. »

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