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EN VISITE - Guy de Maupassant, Une Vie

Publié le 22/02/2012

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maupassant

Enfin, une des hautes portes tourna, découvrant le vicomte et la vicomtesse de Briseviile. Ils étaient tous les deux petits, maigrelets, sautillants, sans âge appréciable, cérémonieux et embarrassés. La femme en robe de soie ramagée (1), coiffée d'un petit bonnet douairière (2) à rubans, parlait vite de sa voix aigrelette. Le mari serré dans une redingote pompeuse saluait avec un ploiement des genoux. Son nez, ses yeux, ses dents déchaussées, ses cheveux qu'on aurait dits enduits de cire et son beau vêtement d'apparat luisaient comme luisent les choses dont on prend grand soin. Après les premiers compliments de bienvenue et les politesses de voisinage, personne ne trouva plus rien à dire. Alors on se félicita de part et d'autre sans raison. Et l'atmosphère glaciale du salon pénétrait les os, enrouait les gorges. La baronne (3) toussait maintenant sans avoir cessé tout à fait d'éternuer. (...) Chacun cherchait une phrase, un mot à dire. On parla de l'hiver pluvieux. Jeanne (4), avec d'involontaires frissons d'angoisse, demanda ce que pouvaient faire leurs hôtes, tous deux seuls, toute l'année. Mais les Briseviile s'étonnèrent de la question, car ils s'occupaient sans cesse, passant leurs journées en des occupations microscopiques, cérémonieux l'un vis-à-vis de l'autre comme en face des étrangers, et causant majestueusement des affaires les plus insignifiantes. Et sous le haut plafond noirci du vaste salon inhabité, tout empaqueté en des linges, l'homme et la femme si petits, si propres, si corrects, semblaient à Jeanne des conserves de noblesse. «

(1) Les dessins de la soie représentent des rameaux. (2) Bonnet porté par les veuves. (3) La visiteuse. (4) La fille de la baronne. Guy de Maupassant, Une Vie Dans un commentaire composé, vous étudierez la description des personnages et l'atmosphère de cette visite en précisant bien le ton et les intentions de Maupassant.

Les textes qui semblent les plus simples sont ceux dont il convient de se méfier le plus. En effet ou bien le texte n'a que peu d'intérêt et l'on risque d'être un peu court, ou bien sa simplicité n'est que de surface et l'on risque fort de passer à côté. Les portraits et plus généralement toutes les descriptions font partie de ces textes faussement simples. Il est d'autant plus difficile de les expliquer que par force, ils se trouvent coupés de leur contexte qui bien souvent les éclaire grandement et leur donne leur véritable fonction. Méfiez-vous donc qu' (( après les premiers compliments de bienvenue et les politesses « d'usage, vous n'ayez plus rien à dire.   

maupassant

« coïncider plus étroitement aux personnages de Maupassant ? Peut-être.

Approfondissons la définition.

Unemarionnette, c'est sans doute un être humain, mais de taille et de proportions réduites.

En outre, les marionnettesservent surtout à divertir les enfants, à leur faire peur aussi.

Enfin, les marionnettes sont inconcevables sans unescène, ou plutôt une sorte de fenêtre, celle du théâtre où elles se produisent.

Nous touchons là un certain nombrede particularités qui pourraient bien s'appliquer à nos « marionnettes ». La théâtralité tout d'abord.

Il est évident que toute cette scène de « visite » est mise en scène, si l'on nous permetle pléonasme.

D'ailleurs comment pourrait-il en être autrement d'une visite ? Tout dans la visite est régi par descodes sociaux qui la définissent.

C'est la raison pour laquelle, de la première visite dépendait en grande partie lesrapports que l'on allait nouer avec le nouvel arrivant.

Les récits de « premières visites », attendues, espérées,manquées, abondent dans la littérature, et l'on se souvient de celle de Lucien chez Madame de Bargeton.

Dansl'exemple qui nous préoccupe, la particularité vient de ce que la mise en scène sociale se vide de son contenu.

Ils'agit bien encore d'une visite, mais elle se réduit à la plus grande superficialité.

Tout commence pourtant le mieuxdu monde.

L'importance de la visite est bien rendue par le « Enfin » initial qui signifie l'attente d'un momentimportant.

On sait qu'on faisait parfois attendre les visiteurs pour les faire attendre, renforçant ainsi l'importance dela réception.

« Les hautes portes » tournent à la fois majestueusement et théâtralement, pour que se produisel'apparition, l'entrée en scène qui est aussi découverte des personnages, des acteurs.

Et l'on n'est pas déçu par lamédiocrité des protagonistes puisque Maupassant les introduit d'abord par leur titre : « le vicomte et la vicomtesse de Briseviile ».

Mais nous l'avons dit, la scènecommence avec d'autant plus de conformité aux règles du genre, qu'elle n'est soutenue que par sa forme.Expliquons-nous.

L'usage veut qu'après une salutation mutuelle aussi rituelle que le « Comment allez-vous ? » desrencontres plus roturières, une conversation agréable et futile, en un mot « de bon ton », s'engage.

Or que sepasse-t-il ? Les « compliments de bienvenue et les politesses de voisinage » s'échangent réglementairement.

Maisensuite, la machine demande un peu plus d'initiative personnelle, se fait moins directive...

et tout se détraque.

Lascène échoue à se remplir, les conventions théâtrales ne réussissent pas à susciter un rapport qu'elles n'ontpourtant pour but que de faciliter, si artificiel et obligé qu'il soit.

A qui la faute ? Quelle est le grain de sable qui faitgrincer cet engrenage ? A n'en pas douter ce sont les acteurs qui ne sont pas à la hauteur du rôle, au sens propre et au sens figuré.

Lethéâtre est en effet un théâtre de marionnettes.

Guy de Maupassant insiste sur la petitesse des personnages : « Ilsétaient tous deux petits, maigrelets, sautillants...

».

La vicomtesse est réduite à une « voix aigrelette », le vicomte,lui, apparaît vraiment comme un mannequin : ses mouvements sont ceux d'un automate, ses cheveux serapprochent de la cire, matière privilégiée des fabricants d'automates et autres marionnettes.

Tout en eux est faux. Mais la petitesse n'est pas seulement physique, elle atteint aussi les personnages dans leur vie intérieure, qui est siréduite qu'elle semble avoir disparu à qui l'observe de l'extérieur : « ils s'occupaient sans cesse, passant leursjournées en des occupations microscopiques.

» La raison de cette amenuisement, de cette réduction vient d'undécalage temporel.

Maupassant ne nous livre la clef de cette mise en scène à laquelle il se livre si finement qu'àl'extrême fin du texte.

Cette raison est sociale, politique, historique.

Le vicomte et la vicomtesse de Briseville sonten quelque sorte les survivants d'un autre âge.

Comme la grande noblesse, ou plutôt comme la noblesse au tempsde sa splendeur, ils vivent « sous le haut plafond » d'un « vaste salon ».

Comme la noblesse jadis, ils respectent lesusages : la fréquence des mots qui indiquent la « pompe », la « majesté », nous l'indique assez : « ils étaient tousles deux...

cérémonieux et embarrassés », le mari est « serré dans une redingote pompeuse », « un beau vêtementd'apparat », ils se montraient « cérémonieux l'un vis-à-vis de l'autre » et causaient « majestueusement des affairesles plus insignifiantes ».

Ils ne sont plus que des marionnettes « sans âge », des « conserves de noblesse » sur unthéâtre déserté comme leur salon « tout empaqueté en des linges ».

L'histoire est passée, et eux sont restéscomme deux naufragés momifiés. Mais ce théâtre de marionnettes n'est pas, comme souvent chez Maupassant un théâtre gai.

Les enfants n'y rientguère.

Jeanne, la fille de la baronne qui est venue rendre visite aux Briseville, fait ici office de public.

Comme lesenfants au guignol, si elle ne rit pas, c'est qu'elle a peur.

C'est bien ce que nous indique le texte de Maupassantquand il précise dans une petite phrase : « Jeanne, avec d'involontaires frissons d'angoisse...

» Elle est donc saisied'une peur sourde, angoissée.

Sans doute cela tient-il à des causes évidentes comme « l'atmosphère glaciale dusalon », le « froid » qu'a jeté sur cette visite le silence pénible qui a succédé aux compliments et politesses d'usage.Mais cela tient aussi à une raison plus profonde et qui est liée à la dimension de marionnettes que nous nousattachons à souligner depuis le début chez nos personnages.

La marionnette, comme le mannequin, l'automate, estporteuse de la même ambiguïté que le revenant.

Il met en question les limites du vivant et du mort.

Ni tout à faitvivant ni tout à fait mort, cet être efface en quelque sorte les limites qui tiennent à distance ces deux mondes.

Ilmenace donc le vivant dans sa vie même.

C'est la raison pour laquelle, Jeanne se sent parcourue de frissons enprésence de ces deux marionnettes, ces deux revenants d'un autre âge.

Ils sont le signe de la déchéance que lamort inscrit dans la vie même.

Leur apparence physique, si minutieusement décrite, en est le signe privilégié. Cette visite est donc à plus d'un titre la bien nommée.

Elle l'est d'abord en ce qu'il s'agit bien en quelque sorte d'uneessence de « la » visite, d'une présentation nue des règles qui la définissent.

Essence et règles qui apparaissentd'autant mieux que ces règles sont incapables de produire autre chose qu'elles-mêmes jusqu'à l'absurde.

« Alors onse félicita de part et d'autre sans raison.

» Visite, le passage nous emmène comme en un musée social où survivraitencore l'image dégradée d'une noblesse passée.

Enfin « visite », le texte nous en conte une non des plusrassurantes, celle de la mort qui vient parmi les vivants, en eux.

Le texte est pour ainsi dire parcouru par un frisson. »

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