Érasme et Guillaume Budé
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
De là on passa à la terreur et aux menaces...
Par la force et la peur, nous essayons de faire croire aux hommes cequ'ils ne croient pas, de leur faire aimer ce qu'ils n 'aiment pas, de les forcer à comprendre ce qu'ils ne comprennentpas.
La contrainte ne peut s'unir à la sincérité; et le Christ n'accepte que le don volontaire de nos âmes.
La «philosophie du Christ»
Machiavel adresse son «Prince», par delà les Médicis, à tout homme capable et désireux de prendre et de conserverle pouvoir.
Erasme, lui, adresse son « Manuel du chevalier chrétien » (Enchiridion militis christiani, 1504) — on auraitpresque envie de « traduire » : «manuel du militant évangélique » — comme son « Institution du prince chrétien »(Institutio principis christiani) à tout quiconque se fait et se veut serviteur de la paix et de la concorde, ce qui, pourlui, résume la « philosophie du Christ».S'il aime recourir à cette définition-programme, c'est bien parce que, pour lui, le christianisme est une discipline devie où la morale soit sans compromission, comme la spiritualité sans rites extérieurs obligatoires.
C'est dire qu'il setient et se maintient au plus près de l'évangile dans sa double leçon : non violence active (comme on diraitaujourd'hui), rejet des rites extérieurs (ce qu'Erasme appelle d'un terme quelque peu méprisant et passe-partout :les « pratiques judaïques», dont il voyait l'Eglise-spectacle par trop encombrée).C'est parce qu'il est lui-même animé d'un tel esprit qu'il peut dire du sage :Qu'ont-ils donc besoin d'imposer des lois à un homme qui fait de lui-même des choses meilleures que tout cequ'exigent les préceptes humains.Il va sans dire que cette thèse qui consonne avec celle d'Augustin («aime donc, et fais ce que tu veux») futcondamnée par ceux qu'une telle liberté accordée à la subjectivité et à l'«anarchie» d'un chacun effraye, et nonsans raison d'ailleurs, puisqu'Erasme lui-même trouve imprudent de la répandre, étant donné l'usage calamiteux quipourrait en être fait.
Il n'empêche qu'à mesurer la vanité des rites extérieurs qui se substituent au véritable courageévangélique, et en lui tournant le dos, Erasme va à l'essentiel du message évangélique, qu'il interprète toujoursselon l'esprit qui vivifie, jamais selon la lettre qui tue.Ce n'est pas seulement dans l'Ancien Testament, mais aussi dans le Nouveau que la lettre tue.
L'Evangile lui-même asa chair, et il a son esprit.
Le Christ a dit : «La chair ne sert de rien, c'est l'esprit qui vivifie».
Je me serais faitscrupule de dire : elle ne sert de rien ; j'aurais dit : elle sert de quelque chose, mais l'esprit est bien plusavantageux.
Non : la Vérité même a prononcé : elle ne sert de rien.C'est encore en référence à ce même principe de l'esprit vivifiant et de la lettre mortelle qu'Erasme prend position —vivement sollicité par les plus hautes instances politiques et religieuses, et comme pour se défendre, bien malgré lui,d'«avoir pondu l'œuf que Luther a couvé» — sur la question du libre arbitre.
C'est dans son Essai sur le libre arbitre(1524) qu'Erasme, dans la langue simple, et sans technicité théologique, qui est la sienne, donne son opinion surcette question délicate entre toutes :A quoi servirait l'homme...
si Dieu agissait avec lui comme le potier sur l'argile ?Si l'homme, comme le prétend Luther, était impuissant à faire son salut, qui ne dépendrait que de la seule grâce deDieu : «quel pécheur soutiendrait cette lutte continuelle et laborieuse avec sa chair ? Quel méchant s'appliquerait àcorriger sa vie ? »C'est pourquoi pour Erasme, la réponse est claire et simple, le libre arbitre est :Ce pouvoir de la volonté humaine grâce auquel l'homme peut s'appliquer à tout ce qui mène au salut éternel, ou, aucontraire s'en détourner.Ce n'est pas qu'Erasme nie la grâce.
Non, elle est toujours pour lui la cause principale du salut, comme,parallèlement d'ailleurs, la volonté de Dieu est cause principale de tout ce qui se fait.
A dire vrai il ne s'ingénie pastellement à trouver un lien théologiquement impeccable entre, d'une part, la grâce, et, d'autre part, le libre arbitrede l'homme, mais bien plus à prôner une voie moyenne, et surtout à défendre le libre arbitre sans lequel la grâceserait désolante :Quelle origine pourrions-nous assigner aux mérites dans un monde où il n'y aurait que nécessité perpétuelle et où lalibre volonté n'aurait jamais à intervenir ?
La complainte de la Paix
C'est parce que toute guerre ne peut qu'en engendrer une autre, c'est parce que la guerre n'est douce qu'à ceuxqui ne l'ont pas faite, c'est parce que la guerre est toujours un remède pire que le mal auquel elle prétend répondre,c'est parce que la guerre entre chrétiens, est non seulement fratricide mais encore sacrilège (de part et d'autre,communiant avant la bataille, de soi-disants chrétiens s'entretuent, le corps du Christ lové en eux!), c'est parce quela guerre est le comble de la folie, c'est parce que la guerre est anti-naturelle et anti-chrétienne — et l'on pourraitallonger la liste des parce que — qu'Erasme la condamne de la façon la plus absolue qui soit, même s'il réserveparfois, par pure hypothèse d'école, sa rarissime éventualité.Dans son œuvre, la Complainte de la paix qui, au XVIe s.
verra tant de traductions en français, allemand, espagnol,et qu'il est aujourd'hui presque impossible de se procurer, Érasme démonte les mécanismes qui mettent en branle laguerre, le coût horrible en dégradations physiques, morales et matérielles qu'elle provoque, et en tire la conclusionqui est celle de tous les pacifismes : la paix n'est jamais payée trop cher.
"Je me suis souvent étonné, je ne dis pas que des chrétiens, mais simplement des hommes en arrivent à ce point defolie de mettre tant d'efforts, d'argent, de courage à s'assurer leur perte mutuelle...
Toutes les bêtes ne se battentpas, mais seulement les fauves : elles ne se battent pas à l'intérieur d'une seule espèce; elles se battent avec leursarmes naturelles, et non, comme nous, avec des machines nées d'un art diabolique; elles ne se battent pas pourn'importe quoi, mais pour leurs petits et pour leur nourriture.
La plupart de nos guerres naissent de l'ambition ou dela colère ou de la luxure ou d'une autre maladie de l'âme.
Enfin les animaux ne vont pas à la mort par troupeaux.
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