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Essai sur les mœurs - Le Seizième siècle (Chap. 118) - Voltaire

Publié le 01/04/2011

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Ce qui frappe encore dans ce siècle illustre, c'est que malgré les guerres que l'ambition excita et malgré les querelles de religion qui commençaient à troubler les États, ce même génie qui faisait fleurir les beaux-arts à Rome, à Naples, à Florence, à Venise, à Ferrare, et qui de là portait sa lumière dans l'Europe, adoucit d'abord les mœurs des hommes dans presque toutes ces provinces de l'Europe chrétienne. La galanterie de la cour de François Ier opéra en partie ce grand changement. Il y eut entre Charles-Quint et lui une émulation de gloire, d'esprit de chevalerie, de courtoisie, au milieu même de leurs plus furieuses dissensions; et cette émulation qui se communiqua à tous les courtisans, donna à ce siècle un air de grandeur et de politesse, inconnu jusques alors. Cette politesse brillait même au milieu des crimes : c'était une robe d'or et de soie ensanglantée. L'opulence y contribua; et cette opulence, devenue plus que générale, était en partie (par une étrange révolution) la suite de la perte funeste de Constantinople : car bientôt après, tout le commerce des Ottomans fut fait par les chrétiens, qui leur vendaient jusqu'aux épiceries des Indes, en les allant chercher sur leurs vaisseaux dans Alexandrie, et les portant ensuite dans les mers du Levant. Les Vénitiens surtout firent le commerce. L'industrie fut partout excitée. Marseille fit un grand commerce. Lyon eut de belles manufactures. Les villes des Pays-Bas furent plus florissantes encore que sous la maison de Bourgogne. Les dames appelées à la cour de François Ier en firent le centre de la magnificence comme de la politesse. Les mœurs étaient plus dures à Londres où régnait un roi capricieux et féroce; mais Londres commençait déjà à s'enrichir par le commerce. En un mot l'Europe voyait naître de beaux jours; mais ils furent troublés par les tempêtes que la rivalité entre Charles-Quint et François Ier excita; et les querelles de religion, qui déjà commençaient à naître, souillèrent la fin de ce siècle : elles la rendirent affreuse, et y portèrent enfin une espèce de barbarie que les Hérules, les Vandales, et les Huns, n'avaient jamais connue.

COMMENTAIRE : Idée générale de l'ouvrage L'Essai sur les mœurs embrasse l'Histoire de la Civilisation de Charlemagne à Louis XIV. Par une conception nouvelle, Voltaire a substitué à l'histoire des héros et des guerres celle de l'esprit, des mœurs, des usages des nations principales, appuyée des faits qu'il n'est pas permis d'ignorer. Cette œuvre immense exigeait une vaste documentation3, mais il fallait aussi savoir se borner et choisir, il fallait dégager les traits dominants, les grandes vues d'ensemble qui seraient susceptibles de faire comprendre l'atmosphère des époques retracées. Voltaire était ainsi amené à s'arrêter aux tournants décisifs et à composer des tableaux de synthèse historique qui, embrassant l'esprit de tout un siècle, en indiqueraient le caractère propre et permettraient de mieux le comparer à ceux qui l'ont précédé ou suivi. Ces sortes de pauses ou de tours d'horizon qui, négligeant les détails sans intérêt et s'élevant au-dessus de la poussière des faits, ne retiennent que les événements caractéristiques pour en souligner la signification, sont très fréquentes dans l'ouvrage. Elles permettent en effet au philosophe de « faire le point « et de mieux illustrer cette idée essentielle que l'Humanité progresse par étapes, mais que ce progrès est discontinu, marqué par des périodes de recul et de barbarie dont sont responsables la fureur guerrière et le fanatisme religieux. Nous retrouverons cette idée dans la Légende des Siècles de V. Hugo et le Qaïn de Leconte de Lisle. C'est elle qui domine et éclaire ce tableau du XVIe siècle.

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« mœurs et les séductions du luxe, dont il avait précisément fait l'apologie dans Le mondain, quelques annéesauparavant. La civilisation matérielle c) Enfin, établissant un rapport entre la civilisation spirituelle et la civilisation matérielle, il était persuadé que l'unene va pas sans l'autre.

Il soutenait que le commerce, la liberté des échanges, le développement de l'industrie et desmanufactures contribuent à l'opulence des États et au bonheur des individus.

Il devait plus tard se glorifier d'avoirexploité son domaine de Ferney en s'inspirant de ces principes.

C'est la raison pour laquelle il signale les heureusestransformations économiques de ce début du XVIe siècle qui, grâce au développement du commerce et de l'industrieen France et en Europe, vit partout naître l'opulence, mère des arts et des heureux travaux (L'opulence ycontribua...

L'industrie fut partout excitée...). II.

— Les causes de ce progrès En philosophe du XVIIIe siècle, Voltaire ne se borne pas à constater, il cherche à déterminer, comme le faitnotamment Montesquieu, les causes et les conséquences.

Il donne comme raisons de cette transformation moraled'une part, l'action personnelle de François Ier, d'autre part, là prise de Constantinople par les Turcs. Rôle des grands hommes a) On sait que, d'après lui les grands hommes peuvent influer sur le sort d'une nation.

C'est cette idée qu'il met enlumière dans le deuxième paragraphe : La galanterie de la cour de François Ier opéra en grande partie cechangement. Rôle du hasard b) Il remarque ensuite (2e paragraphe) les conséquences inattendues (une étrange révolution) de la Prise deConstantinople en 1453.

Funeste en soi, cet événement a eu les plus heureux résultats : Les chrétiens ont étéamenés à faire un commerce que s'étaient jusque-là réservé les Ottomans, c'est-à-dire les Turcs, et cettecirconstance a permis à l'Europe de s'enrichir.

Ces développements imprévisibles de l'Histoire qui font souvent sortirle Bien du Mal, Voltaire y a souvent insisté : Zadig est l'illustration romancée de cette idée que le monde n'estgouverné ni par la logique, ni par la Providence, mais par le hasard. III.

— L'ombre au tableau Malheureusement, des guerres horribles ensanglantèrent le XVIe siècle et ces guerres furent d'autant plus affreusesque, rendant inutiles les efforts accomplis, elles firent retomber dans la barbarie un siècle qui s'était pourtantengagé sur les voies du Progrès. Les guerres Ces guerres furent de deux sortes : d'une part, les guerres politiques provoquées par la rivalité entre Charles Quintet François Ier, d'autre part, les guerres religieuses, sur lesquelles Voltaire semble insister davantage (cf.

la dernièrephrase), parce qu'elles lui ont toujours paru encore plus odieuses et plus absurdes que les autres. La Barbarie En opposant les ravages que ces guerres exercèrent (première phrase du dernier paragraphe) aux beaux jours quicommençaient à naître, Voltaire rend plus sensible et plus lourde la responsabilité de ces deux fléaux dans le retourà la Barbarie.

En second lieu, par le choix des mots, le texte a l'avantage de mettre l'accent sur cette idée que dejour en jour les coups portés par ces fléaux à la civilisation ont été de plus en plus rudes.

Les furieuses dissensionsentre Charles Quint et François Ier sont devenues des tempêtes et les querelles religieuses, après avoir simplementtroublé les États, souillèrent la fin du siècle et la rendirent affreuse.

De même, les mœurs qui s'étaient d'abordadoucies, laissaient encore la politesse briller même au milieu des crimes, mais peu à peu les guerres déchaînèrentdes cruautés et des violences qu'on n'avait jamais connues même à l'époque des invasions barbares.

La dernièrephrase du texte qui évoque les hordes des Huns, des Vandales et des Hérules s'oppose ou plutôt se superpose à ladernière phrase du premier paragraphe : C'était une robe d'or et de soie ensanglantée.

Ce sont là deux visionscolorées et vivantes — relativement rares dans l'œuvre de Voltaire —.

Elles restent gravées dans l'esprit du lecteuret retiennent son attention par leur caractère saisissant.

L'ombre s'est progressivement étendue.

Ce qui n'étaitd'abord qu'une tache sombre s'est agrandi et le siècle s'est achevé dans la nuit de la Barbarie. IV.

— Les Réserves à faire On pourrait supposer que l'effort de Voltaire pour équilibrer les 115 mérites et les faiblesses du XVIe siècle procèded'un désir d'impartialité.

En réalité, il a donné à sa composition un éclairage tendancieux. Dédain pour le Moyen Age. »

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