FRÉNAUD André : sa vie et son oeuvre
Publié le 06/12/2018
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FRÉNAUD André (né en 1907). « Pourquoi je n’aime la voix que fêlée? » s’interroge, au point de départ de son aventure poétique, André Frénaud; et, de fait, la « fêlure » semble bien être au centre du questionnement ontologique qui hante ce poète secret, né en Bourgogne au début du siècle.
Paul Éluard a pu parler de sa « sociabilité » (Préface aux Mystères de Paris, 1945), c’est que la tâche que s’est donnée le poète est de « faire porter pierre » au langage, même — et surtout — si les hommes, débordant d’être, se découvrent séparés, alors qu’ils guettent la même fiancée mystique (la Noce noire, 1946) :
Pitié pour vous et pour moi
puisqu'il n'est pas permis, frères, d'être un seul être fraternel avant le sein noir de la nuit, dans l'unité de notre mère.
Dans cette recherche d’une « commune présence », dans ce retour à un « plus de réalité » opposé au « peu de réalité » surréaliste, il faut prendre garde qu’André Frénaud se situe plus à proximité d’un Jouve ou d’un Bonnefoy que d’un Guillevic ou d’un Follain, dont le « matérialisme » lui est étranger. Il chante, certes, le mystère des choses simples (cf. les Paysans, 1951, Hae-res, 1982),
Ce n’est pas cependant que Frénaud, quoique contemporain du surréalisme, se perde dans la tentative vaine d’une transfiguration du réel qui tournerait le dos au monde. Si on peut le qualifier de mystique, c’est d’un mysticisme de la présence au monde, et si, d'autre part,
«
Paul
Éluard a pu parler de sa « sociabilité » (Préface aux
Mystères de Paris, 1945), c'est que la tâche que s'est
donnée le poète est de « faire porter pierre » au langage,
même -et surtout -si les hommes, débordant d'être,
se découvrent séparés, alors qu'ils guettent la même fian
cée mystique (la Noce noire, l.
946) :
Pitié pour vous et pour moi
puisqu'il n'est pas permis, frères,
d'être un seul être fraternel
avant le sein noir de la nuit,
dans l'unité de notre mère.
Dans cette recherche d'une «commune présence»,
dans ce retour à un « plus de réalité» opposé au «peu
de réalité» surréaliste, il faut prendre garde qu'André
Frénaud se situe plus à proximité d'un Jouve ou d'un
Bonnefoy que d'un Guillevic ou d'un Follain, dont le
« matérialisme» lui est étranger.
il chante, certes, le
mystère des choses simples (cf.
les Paysans, 1951, Hae
res, 1982), « la qualité des êtres que ni l'orgueil ni la
folie ne secouent, la beauté des travaux qui ne tendent
qu'à l'accomplissement le plus humble, et la richesse
des mots qu'on emploie dans ces heures sans révélation
mais sans complaisances» (Bonnefoy), mais c'est pour
retrouver le sens de la célébration médiévale; et ses titres
(Les Rois mages, 1943; Il n'y a pas de paradis, 1962;
la Sainte Face, 1968; la Sorcière de Rome, 1973), loin
de renvoyer à la mystification d'un dieu personnifié,
évoquent bien plu�ôt la quête du Graal et le voyage aux
haltes fugaces (l'Etape dans la clairière, 1966) qui ne
mène à aucun havre :
Je maudis l'aventure, je voudrais retourner ( ...
)
Mais je ne puis guérir d'un appel insensé.
« Les noces de l'homme avec lui-même» qu'évoque
nostalgiquement le Roi mage ( « Plainte du Roi mage » ),
avant que de «reprendre les lourds chemins », ne sau
raient ainsi cacher, plus fatalement essentielle, « la noce
noire du ciel avec le voyageur ».
Inlassablement, en effet, l'étoile disparaît et réappa
raît, promesse et vanité, et rappelle insatiablement
qu'« il n'est de lucidité que précaire et de formulation
que fugace» (Bonnefoy).
Cette dialectique de l'affirma
tion et de la négation, du départ renouvelé et du repos
interrompu, dont le tout premier poème, « Épitaphe»,
donnait les prémisses ( « Mes chiffres ne sont pas faux/Ils
font un zéro pur»), se retrouve dans la vision de l'his
toire que développent ces grands poèmes que sont
l'« Énorme Figure de la déesse Raison>> et l'« Agonie
du général Krivitski », où transcendance et anéantisse
ment se conjuguent, comme dans la relation du rapport
amoureux ou amical, comme, encore, dans la présenta
tion que fait de lui-même André Frénaud : «Je me suis
inacceptable », ou, de nouveau, dans son « Autopor
trait » (Poèmes de dessous le pla nch er, 1949) :
Se niant lentement s'élève
Un homme porte-lumière.
Qu'une des figures majeures de son œuvre soit l'oxy
more ( « la fécondante déperdition », par exemple) n'est
donc pas pour étonner, non plus que ce lyrisme qui est
toujours rupture du lyrisme par méfiance à l'égard de la
rhétorique et qui luit de l'éclat des images brisées : il
témoigne (et, de même, l'alliance d'un langage fastueux
et d'un langage usuel, réaliste) de cette volonté de
s'enraciner dans le monde le plus quotidien pour attein
dre un au-delà, de demeurer aux prises -serait-ce dans
le déchirement -avec la terre plutôt que de se réfugier
dans 1' artifice langagier, dans la sécurité faJlacieuse
d'une constellation abstraite.
Ce refus de la complaisance au nihilisme et cette
volonté de vivre «en dépit de tout>> (Bénézet), c'est
encore ce que nous engage à comprendre (au sens étymo
logique) Notre inhabileté fatale ( 1979), le livre d'entre- tiens
qu'eut André Frénaud avec Bernard Pingaud, et
cette sérénité inquiète qu'on lit dans Source entière
( 1952) : « Puisqu'il n'était pas vrai que je n'attendais
plus».
Ainsi, Frénaud se place au cœur même de la
recherche poétique contemporaine.
BIBLIOGRAPHIE Georges-Emmanuel Clancier , André Frénaud, Seghers, 1963;
revue Sud, n• 39-40, 1981 (articles de Bonne fo y, Belaval, Les
cure, Clancier, Bénézet, Fauchereau, etc.); J.-Y.
Debreuille, Lire
Frénaud, Presses Univ.
de Lyon, 1985; NRF, nov.
1988; Europe,
n° 734-735, juin-juillet 1991; R.
Little, André Frénaud 011
l'interrogation et le vide, Marseille, Sud, 1989; «Pour André
Frénaud », cahier dirigé par F.
Boddaert, Obsidiane-Le Temps
qu'il fait, 1993..
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