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FROMENTIN Eugène Samuel Auguste : sa vie et son oeuvre

Publié le 06/12/2018

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FROMENTIN Eugène Samuel Auguste (1820-1876). Trop longtemps réduite au seul Dominique, dans lequel on ne voyait que la traduction romanesque d’un épisode autobiographique, l’œuvre littéraire de Fromentin a souffert d’une mutilation tant quantitative que qualitative dont Proust s’est fait l’interprète en qualifiant le peintre-écrivain de « court et de niais ». Il est vrai que l’isolement des Maîtres d’autrefois dans les rayons de la critique picturale comme la méconnaissance des récits algériens ont interdit toute réflexion sur l’originalité d’une écriture conçue comme un substitut de la peinture et provoquée moins par l’imagination que par la mémoire. Écriture avant tout en quête d’une forme et qui, telle la peinture hollandaise, se caractérise « par l’absence totale de ce que nous appelons aujourd’hui un sujet » (les Maîtres d’autrefois, « Hollande », iv).
 
« Une triste et trop ordinaire destinée » (J.-P. Richard)
 
D’une famille rochelaise aisée, Fromentin connut une jeunesse sans souci : une brillante scolarité, quelques essais littéraires dans les revues locales, des études de droit à Paris tracent le portrait assez conventionnel d’un jeune bourgeois provincial. A ceci près que Fromentin
 
dut, par deux fois, transgresser les interdits familiaux : une première fois pour des raisons sentimentales lorsque ses parents s’opposèrent à sa liaison avec Jenny Chessé, l’amie d’enfance devenue Jenny Béraud; une seconde fois en s’inscrivant dans les ateliers parisiens — notamment celui de Cabat — pour y apprendre la peinture en dépit de l’opposition formelle de son père, lui-même peintre d’occasion. Ce n’est qu’en 1847 que Fromentin pourra écrire : « Mon père est converti, je suis libre; je suis peintre : mon avenir est entre mes mains ». Entretemps l’apprenti peintre avait trouvé sa voie propre au cours d’un voyage en Algérie (mars-avril 1846) : « Plus j’étudie cette nature, plus je crois que, malgré Marilhat et Décamps, l’Orient reste encore à faire ». Au salon de 1847, il expose trois toiles dont Une mosquée près d’Alger et les Gorges de la Chiffa. De septembre 1847 à mai 1848 il retourne en Algérie (Blida, Constantine, Biskra) et en rapporte cinq toiles (les Tentes de la smala de Si-Hamed-bel-Hadj, Une rue à Constantine, etc.) qui lui vaudront une « médaille de 2e classe » au salon de 1849. Il retourne une troisième fois en Algérie (novembre 1852-octobre 1853) et visite en compagnie de sa jeune épouse les confins sahariens. Mais au retour en France, sa peinture ne lui assurant que le minimum, il accepte de donner ses souvenirs de voyage à la Revue de Paris (1854) et regroupe ses feuilletons deux ans plus tard en publiant Un été dans le Sahara (1857). Bien accueilli par la critique et les écrivains (Gautier et Sand en particulier), ce premier volume l’incite à récidiver avec Une année dans le Sahel édité en feuilleton d’abord dans l’Artiste (1857) puis dans la Revue des Deux Mondes (1858), avant de connaître la consécration du volume (1859). La même année, il reçoit une «médaille de lrc classe» au salon; Baudelaire commente: «Il n’est précisément ni un paysagiste ni un peintre de genre. Ces deux terrains sont trop restreints pour contenir sa large et souple fantaisie (...); son âme est une des plus poétiques et des plus précieuses que je connaisse » (Salon de 1859). Désormais reconnu comme peintre et comme écrivain, Fromentin accède aux honneurs : Légion d’honneur, invitations à la Cour impériale, participation au jury de l’Exposition universelle de 1867, etc. Buloz lui commande un roman pour sa revue : maturation lente, écriture laborieuse qui aboutiront à la publication de Dominique en trois livraisons (1862) et à l’édition définitive de 1863. Personnage de plus en plus «officiel», Fromentin est envoyé à l’inauguration du canal de Suez (1869) d’où il rapporte croquis, tableaux et notes (celles-ci seront éditées en 1935 sous le titre de Voyage en Égypte). Il poursuit son activité picturale, envoie régulièrement toiles et dessins dans les salons, se rend en Belgique et aux Pays-Bas (1875) pour prendre des « notes » d’où sortiront les Maîtres d’autrefois (1876) — immédiatement reconnus comme l’un des grands livres de la critique d’art —, échoue de peu à F Académie, projette un nouveau roman, mais meurt subitement dans sa retraite rochelaise, laissant une œuvre mince mais travaillée, construite à la fois à partir des données du romantisme et en réaction contre lui.
La plume et le pinceau
 
« Si cela continue, je serai de plus en plus les deux moitiés mal assorties de quelque chose. Et l’homme entier ne sera nulle part » : cette confession de Fromentin au peintre Gustave Moreau pourrait servir d’autoportrait. Assurément, elle définit un parcours et un échec.
 
Parcours au long duquel la volonté d’écrire se heurte à l'impuissance de l’imagination et suscite dès lors, sinon la « vocation » picturale, du moins le « métier » de peintre: «Je sentis, ou crus sentir, que n’étant point

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« ou ne pouvant point devenir un écrivain, je réussirais peut-être à faim un peintre » (à Charles Godelier, 1845); et plus tard, à Léopold Delayant, cette fois-ci : « Dois-je avouer que je ne suis pas du tout un homme de plume.

Je n'en ai ni l'habitude, ni la fertilité, ni les ressources.

Si jamais j'en ai eu les penchants, ils se sont appliqués ailleurs; et en devenant ce quelque chose ambigu qu'on appelle un artiste ...

>> Devant cette négation de l'être ­ « n'étant point>>, «je ne suis pas >> -, Fromentin provo­ que un paraître -«je réussirais à faire >>, -compatible avec l'échec du créateur puisque la peinture, chez lui, est essentiellement acquisition et maîtrise d'une technique.

D'où la définition restrictive qu'il en propose dans le« Préambule » des Maîtres d'au­ trefois: >.

Le Martyre de St-Liévin appelle d'autres compa­ raisons : le peintre s'y montre « éloquent.

Sa langue, à la bien définir, est ce qu'en littérature on appellerait une langue oratoire >>.

Quant au portraitiste, il devient un créateur de > que caractérisent « la logique d'un sujet bien conçu (et) les nécessités de l'action, pres­ que toujours dramatiques >>.

Poète.

rhéteur ou drama­ turge, la conclusion s'impose: Rubens ,précise Fromentin dans la « Préface >> ajoutée à la J< édition (1874) d'Un été dans le Sahara.

Et de conclure : « Le livre est là, non pour répéter l'œuvre du peintre, mais pour exprimer ce qu'elle ne dit pas ».

Ainsi l'écriture apparaît-elle semblable à la peinture -elle s'applique aux mêmes «thèmes» -et pourtant diffé­ rente : investie de pouvoirs plus larges, elle permet non seulement de dire et de décrire, mais d'être, comme à la fin d'Une anné'e dans le Sahel, un discours sur la pein­ ture (l'inverse n'est guère possible) et surtout de traduire les émotions de la vie intérieure.

De là, dans les récits africains, la description de tableaux fondée sur le refus de la transposition : « Autant vaut ne pas parler de cou­ leur et dire que c'est très beau >> ou encore « Ce n'est plus ni de la clarté ni de l'ombre>> , au profit du seul impact affectivement esthétique.

Dominique, de même, sera pour son auteur l'occasion de « s • émouvoir encore avec des souvenirs » et« d'exprimer sous forme de livre une bonne partie, la meilleure, qui ne trouvera jamais place dans des tableaux » (à George Sand).

De nouveau peinture et écriture se chevauchent, montrant qu'au-delà des variations formelles, l'œuvre s'élabore dans l'unité du souvenir conquis.

L'œuvre et le fragment Tableaux, récits de voyage, roman procèdent d'une commune démarche qui ne réside pas dans la saisie immédiate de ce qui est, mais dans le revécu de ce qui fut.

Ainsi s'explique la genèse intellectuelle du Sahara : «Je rapportais de ce voyage de vifs souvenirs à défaut de bons documents.

>>Et Dominique doit en grande partie d'être un récit intradiégétique non pour sacrifier à une tradition romanesque éprouvée mais à une nécessité exis­ tentielle : l'histoire ne peut qu'être rétrospective, encla­ vée comme une parenthèse dans un présent qui lui sert de tamis selon un mécanisme parfaitement décrit par le héros au sortir des deux mois de bonheur passés aux Trembles avec Madeleine : «Je passai les derniers moments qui nous restaient à rassembler, à mettre en ordre pour l'avenir toutes les émotions si confusément amassées dans ma mémoire.

Ce fut comme un tableau que je composai avec ce qu'elles contenaient de meilleur et de moins périssable» (Xl).

«Rassembler», «mettre en ordre », «composer» : la mémoire n • est donc pas seulement rétentrice, elle est surtout organisatrice.

Les Maîtres d'autrefois en fournissent d'ailleurs la preuve a contrario : rédigés dans la foulée des visites, ils se pré­ sentent non comme une œuvre, mais comme son ébau­ che : « Au vrai, ces études ne seront que des notes, et ces notes les éléments décousus et disproportionnés d'un livre qui serait à faire >>(« Préambule >>).

Reste que Dominique est, en dépit des protestations de Fromentin à George Sand -«Moi, je n'ai aucune idée de la tenue, de la logique et des vraies conditions d'équilibre d'un livre construit >>- , un roman composé jusqu'en ses moindres détails, au point que résumant son « histoire>>, le héros pourra signaler à son interlocuteur que « le pignon de sa maison natale (figure) au début comme à la fin >> (m).

Récit clos sur lui-même, enfermé dans l'espace comme dans le temps, et qui tire précisé­ ment de cet isolement son organisation : « Ordre né du dedans >> ainsi que le suggère Jean-Pierre Richard, «du seul déroulement des événements revécus dont aucun préjugé antérieur ou extérieur à l'aventure n'infléchit plus la coulée naturelle >>.

L'intérieur et l'extérieur Et de fait, rien ne vient troubler « ce récit très simple et trop peu romanesque )> (!) : nulle date, nulle référence permettant un repérage précis.

Tout s'ordonne autour de la seule mémoire, sablier d'une aventure dont ne subsiste qu ·une chronologie relative : « Trois jours après » (Iv), «Toute une année s'écoula de la sorte ...

>> (v), «Quel­ ques semaines après ...

» (vi), etc.

Et comme pour mieux confirmer que tout est ici soumis au rythme de la vie intérieure, les saisons perdent leur caractère propre pour n'être plus que métaphoriques de l'existence de Domini­ que : (w), sert de cadre aux deux mois de « séjour unique ( ...

) mélange de continuelles délices er de tourments » (Xl), etc.

Tout se passe donc comme si l'extérieur perdait son autonomie sous l'influence de cette « mémoire spéciale, assez peu sensible aux faits, mais d'une aptitude singulière à se pénétrer des impres­ sions >> (111); dès lors, tout ce qui n'est pas assimilé par la conscience de Dominique -la ville, le monde, l'His­ toire - disparaît de l'univers romanesque: en ce sens, Dominique est un livre-refuge où l'individu se protège,. »

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