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Ghelderode et les masques

Publié le 31/12/2011

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L’univers très particulier de Michel de Ghelderode ne se conçoit pas sans les marionnettes, sans les masques, sans tous les artifices liés au théâtre, sans le jeu sans cesse renouvelé des apparences.
Rien d’étonnant donc à rencontrer, de-ci de-là dans son théâtre bon nombre d’indications scéniques qui renvoient explicitement aux masques, comme pour les notables de La Farce des Ténébreux[1] ou pour Ignotus, double du vieux Charles Quint cloîtré dans sa retraite à Yuste, dans Le Soleil se couche[2] ; ou encore pour les masques ensoriens de la pantomime intitulée Masques ostendais[3]. Dans de tels cas, la volonté de se dissimuler est évidente, elle est d’ailleurs avouée par le masque lui-même ; mais c’est surtout la volonté de passer pour un autre qui importe. Il apparaît très vite en effet que le véritable masque, chez Ghelderode, n’est pas tant un objet de cuir ou de carton qui dissimule un visage, que l’affirmation, à visage découvert, d’une identité usurpée ou inventée.
[1] Théâtre II, Gallimard, Paris, 1952, pp. 209-314.
[2] Ibid., V, 1957, pp. 7-58.
[3] Ibid., IV, 1955, pp. 313-324.

« 2 signes du pouvoir (le sceptre royal) et de son contraire (la marotte \ du bouffon) pour que leurs identités s’inversent au point de faire d\ ire au moine venu annoncer la mort de la reine : « Il faut que le roi vienne, quel qu’il soit !... 9 » Il est clair que nous sommes là en présence d’un théâtre résolument non réaliste, où tout concourt à souligner la précarité des ê\ tres.

Point donc ici de héros, pas d’avantages de valeurs à établir ou à asseoir.

On ne s’étonnera pas, dans un tel contexte, d’arracher un masque pour en découvrir \ un autre.

Et le plus subtil des tous ces masques est indéniablement celui que porta Ghelderode lui-même.

Ne s’est-il pas empressé en effet de fondre la personne, banale et bien peu édifiante d’Adémar Martens en l’\ identité tellement plus mystérieuse et évocatrice de Michel de Ghelderode ? Mais il serait naïf de penser que Ghelderode se limita à l’usage d’un seul masque : il en porta bien d’autres ! C’est sous le pseudonyme de Babylas qu’il écrivit pour la revue dadaïste Haro des textes à caractère anarchisant, dans les années vingt.

Comment ne pas évoquer ici son plus beau canular : au terme d’une conférence, il annonce à son public qu’il vient de découvrir un poète surprenant, croque-mort de son métier, et qui répond au nom de Philostène Costenoble.

Sous ce masque singulier, c’est le poète Ghelderode 10 , pas trop sûr de rencontrer le succès, qui se dissimule, non sans malice.

Il demeure que c’est le masque en tant qu’objet tangible qui symbolise le mieux la démarche ghelderodienne, qui focalise à coup sûr l’\ attitude existentielle de l’auteur face aux jeux sociaux qu’il n’a au fond jamais cessé de montrer, pour mieux en dénoncer les effets néfastes, à travers son œuvre entier.

La contemplation d’un masque a, en fin de compte, quelque chose de rassurant quand on sait que les véritables masques ghelderodiens sont\ aussi peu tangibles que ceux portés par nos semblables.

Ignorer qu’une personne porte un masque, c’est évidemment en être totalement la dupe.

Lorsque, dans le conte Sortilèges 11 , le narrateur prie une repoussante mégère d’ôter son masque de carnaval, elle lui répond : « Méchant ! […] Je n’ai pas de masque, moi, c’est ma figure ! 12 » Voilà du Ghelderode à l’état pur ! C’est en effet dans l’ambiguïté des choses et des êtres que l’auteur livre le meilleur de lui-même, comme si la précarité même des êtres constituait à ses yeux la seule valeur véritable, le seul sujet vraiment digne d’intérêt.

Comme l’a fort bien compris Roland Beyen, il s’agit ici de la Comédie des apparences 13 , ou mieux, de la Hantise du masque 14 ! 9 Opus cité, p.

84.

10 C’est sous « le masque » de Costenoble que Ghelderode fera publier le recueil de poèmes intitulé Ixelles mes amours.

11 Labor, collection Espace Nord, Bruxelles, 2001, avec une lecture de Jacqueline Blancart -Cassou, 279 pg.

12 Opus cité , p.

126.

13 Roland Beyen, Michel de Ghelderode ou la Comédie des apparences, Ministère de la Communauté française, Bruxelles, 1980, 254 pg.

Catalogue illustré de l’exposition de Bruxelles ( 1980).. »

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