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Guy de MAUPASSANT, Sur l'eau, «Journal»

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

maupassant

À l'heure où le soleil se couche, le marais m'enivre et m'affole. Après avoir été tout le jour le grand étang silencieux, assoupi sous la chaleur, il devient, au moment du crépuscule, un pays féerique et surnaturel. Dans son miroir calme et démesuré tombent les nuées, les nuées d'or, les nuées de sang, les nuées de feu ; elles y tombent, s'y mouillent, s'y noient, s'y traînent. Elles sont là-haut dans l'air immense, et elles sont en bas, sous nous, si près et insaisissables dans cette mince flaque d'eau que percent, comme des poils, les herbes pointues.

Toute la couleur donnée au monde, charmante, diverse et grisante, nous apparaît délicieusement finie, admirablement éclatante, infiniment nuancée, autour d'une feuille de nénuphar. Tous les rouges, tous les roses, tous les jaunes, tous les bleus, tous les verts, tous les violets sont là, dans un peu d'eau qui nous montre tout le ciel, tout l'espace, tout le rêve, et où passent des vols d'oiseaux. Et puis il y a autre chose encore, je ne sais quoi, dans les marais, au soleil couchant. J'y sens comme la révé-lation confuse d'un mystère inconnaissable, le souffle originel de la vie primitive qui était peut-être une bulle de gaz sortie d'un marécage à la tombée du jour.

Vous ferez de ce texte un commentaire composé, que vous organiserez à votre gré. Vous pourrez, par exemple, montrer comment s'organisent les métamorphoses du paysage et de son évocation.

 

 

 

 

 

Un texte descriptif

Coucher de soleil sur les marais.

Un paysage d'air et d'eau ; métamorphoses ; miroir. Décrit de façon très subjective.

Un paysage en pleine métamorphose

Les métamorphoses du paysage : la chute des nuées. Les couleurs.

Une interrogation sur le monde et sur la vie

Un monde de reflets et d'illusions.

Un monde du passage et de l'éphémère.

Le gigantesque accouplement de l'eau et de l'air.

Les origines de la vie.

 

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« plurielle, «nous» : «elles sont en bas, sous nous»...) d'un bout à l'autre du texte : le «je» assure même de mieux enmieux son existence ; plus on avance dans le texte, plus la subjectivité impressionniste y affleure ; surtout dans lesdeux dernières lignes où l'interprétation devient très personnelle, avec ce «je ne sais quoi» et surtout le verbe quiouvre la conclusion : «j'y sens» dans lequel Maupassant affirme nettement qu'il s'agit de sensations qui lui sontparticulières et non de vagues généralités.

Peut-être s'agit-il, pour lui aussi, d'une sorte de métamorphose quiaccentue celle du paysage. En effet, le paysage se transforme à vue tout au long de l'extrait, pour devenir «un pays féerique et surnaturel»,d'abord par la présence des «nuées», préférées au terme «nuages» probablement parce que ce mot est plusinquiétant, évoquant des choses plus larges, plus amples, quasi bibliques, surtout répété quatre fois à la suite, avecreprise en rythme ternaire : «nuées d'or, nuées de sang, nuées de feu», qui évoquent certes de façon classique lescouleurs d'un coucher de soleil rouge et or, mais «le sang», «le feu» donnent à l'ensemble une dimensionsurnaturelle, étrange, teintée de connotations morbides et violentes.

À ces quatre «nuées» répondent poétiquementquatre verbes d'action, de mouvement : «elles y tombent, s'y mouillent, s'y noient, s'y traînent» ; ce sont des images de chute (comme si le ciel tombaitdans l'eau) et là encore porteuses de sentiments sombres et de mort : image de noyade (comme chez Baudelaire :«le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige») où les «nuées» sont comme personnifiées, transformées en un êtregigantesque que l'eau vient happer et blesser...

À cause de cela, le «voyageur» voyeur est comme pris, au centred'une sphère gigantesque, enserré dans les nuées, «en haut» celles du ciel, «en bas» celles du miroir d'eau... Le second paragraphe introduit davantage de sérénité : aux images violentes succède une peinture des couleurs, oùles adjectifs «charmante, diverse et grisante» atténuent nettement les effets du paragraphe précédent.

Lesadverbes aussi, «délicieusement, admirablement, infiniment», transforment le décor dans le même sens : un mondeplus beau, plus accueillant.

Le rythme ternaire - trois séries d'adjectifs, puis trois autres précédés d'un adverbe demanière - renforce l'aspect équilibré de ce début de paragraphe ; les assonances en «an» (adjectifs, adverbes)accentuent encore cette sensation.

Éclat, nuance, griserie : tout semble charmant aux yeux de l'observateur.

Toutsemble aussi parfaitement ordonné, comme une construction géométrique parfaite, bien centrée et organisée«autour d'une feuille de nénuphar» : on se trouve dès lors, bien sûr, devant un tableau où les couleurs jouent unrôle bien plus essentiel que le «sujet représenté».

La suite du passage confirme encore cette impression.

La phraseen effet est composée d'abord d'une accumulation de six groupes sujets, commençant tous par l'indéfini «tous»accentuant encore l'impression d'abondance, suivis par des adjectifs de couleur qui justifient les précédents,«diverse» et «nuancé», dont ils sont l'illustration : «rouges», «roses», «jaunes», «bleus», «verts», «violets»évoquent les couleurs principales de l'arc-en-ciel ; les pluriels introduisent une infinité de nuances à l'intérieur de lacouleur de base citée.

Cette accumulation hyperbolique s'achève en antithèse, dans la seconde partie de la phrase,puisque tout cela est «là, dans un peu d'eau», comme si l'eau, ce microcosme, cet espace ici infime, reflétaitnéanmoins la quasi-totalité du cosmos et ses variations infinies.

En effet l'eau reflète «tout le ciel, tout l'espace,tout le rêve» : on remarquera la répétition anaphorique (répondant comme en écho à la précédente) des indéfinis«tout» (avec, autre écho subtil, le chiffre trois («tout» est répété trois fois) succédant au chiffre six - les trois«tous» du début de phrase) et la gradation intensive qui part du monde connu et visible, «le ciel», pour se dirigervers «l'espace», donc l'infini, pour s'achever sur le «rêve» qui est l'infini humain, plus infini encore (si l'on peut dire) que l'infini réel...

C'est cet aspect-là du décor qui naturellementséduit l'écrivain : le paysage est un prétexte, l'eau est source de rêverie personnelle.

Le marécage permet devoyager loin de la terre, comme ces «vols d'oiseaux» qui «passent» et qui à cet instant du texte, prennent encharge tous les désirs de l'écrivain...

Ainsi, comme prévu, ce paysage est bien «féerique» par ses couleurs superbeset «surnaturel» par la magie qui émane du tableau, de cette minuscule surface d'eau capable de refléter l'immensitédu monde.

Mais il permet aussi de s'interroger sur des questions fondamentales qui sont au centre despréoccupations de Maupassant. Car c'est surtout sur l'esprit même, sur les sens de l'observateur qu'agit ce couchant sur les marais.

Enivré, affolé, ilvoit le monde autrement.

Ce qu'il voit, c'est donc un monde d'illusion, des reflets dans un miroir, quelque chose enl'existence de quoi l'on croit, mais qui se dérobe si Fon s'en approche, telles ces «nuées», allégorie peut-être de cesrêves que l'on fait, dont on finit par croire en l'existence, mais qui s'échappent si vite, «en bas, sous nous, si près etinsaisissables»...

Peut-on, du monde, saisir autre chose que le reflet ? Le monde est «si près» et en même temps ilest impossible d'en rendre compte par écrit : le texte ne peut proposer qu'une illusion, non le monde réel, mais sonsimple reflet dans des mots, des phrases qui s'enchaînent.

Tout n'aurait-il pas plus de réalité que le rêve, oùs'inscrivent «ces vols d'oiseaux» ? Ce qui ressort du texte, par la peinture des métamorphoses, par les modifications que le couchant fait subir aupaysage, c'est que l'univers où nous sommes est instable, fugitif, avec cet air immense et cette eau qui en sont enquelque sorte la représentation concrète et explicite : comme l'air, la vie n'a pas de forme ou les prend toutes,comme l'eau ; comme l'air elle est insaisissable, comme l'eau elle fuit entre les doigts de ceux qui voudraient la saisir.De même ces couleurs, on les sent artificielles, provisoires : spectacle éphémère qui bientôt disparaîtra dans la nuit. Ce spectacle en outre n'est pas dénué de violence : sang, feu, noyade, chutes, on l'a vu, créent une sensationassez angoissante.

On a parfois l'impression d'un combat entre ces «nuées» et l'eau.

En regardant certainspassages d'un peu plus près, on pourrait peut-être y voir aussi comme les traces d'un gigantesque accouplementavec cette «flaque d'eau que percent, comme des poils, les herbes pointues».

Les psychanalystes savent que l'eau. »

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