HAMANN
Publié le 02/09/2013
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1730 -1788
EN 1756, les frères Berens, négociants de Riga, chargeaient d'une mission à Londres un jeune homme de leur connaissance, Johann Georg Hamann. Né le 27 août 1730 à Kcenisberg, fils d'un chirurgien, il avait reçu, au sein de l'ambiance piétiste de sa famille, une instruction dont le carac¬tère à la fois indigeste et sans ordre aurait selon lui contribué à développer la discontinuité de son tempérament. Une « curiosité naïve pour toutes les formes d'hérésie «, sa connaissance de l'hébreu et son goût pour l'exégèse comme pour les problèmes du langage l'avaient poussé d'abord à l'Université, mais un défaut d'élocution, une mémoire déficiente, beaucoup de dissimulation et de restriction mentale, prétendra-t-il plus tard, auraient été pour lui autant d'obstacles à poursuivre des études régulières de théologie. De nouvelles inclinations, une sorte de dilettantisme esthétisant menaçaient de le disperser. Puis venu se soumettre de nouveau à une discipline intellectuelle, il avait fait des études de jurisprudence. Sous prétexte de sauvegarder son indépendance matérielle, il avait cru devoir se faire précepteur et avait exercé cette fonction successivement en Livonie et en Courlande, au milieu des malentendus et des querelles avec les parents de ses élèves. Intérieurement agité, insatis¬fait et incapable de se supporter lui-même, avec l'orgueil de s'en faire une énigme, tel est Hamann quand ses amis Berens lui offrent un voyage à Londres afin de se distraire et de s'en revenir avec plus de considération et de savoir-faire. Ce voyage se présente donc sous la forme d'une épreuve; on lui demande de recouvrer une dette et il apparaîtra plus tard comment, Hamann s'étant endetté lui-même, cette circonstance va prendre une signification spirituelle. Une fois à Londres, on s'étonna, écrit-il lui même, de l'importance de cette dette, davantage du mode de recouvrement envisagé, et le plus peut-être du choix de la personne à qui on l'avait confié. Inapte à prendre quelque initiative dans ce domaine, se complai¬sant bientôt dans l'inaction et la dissipation, il se trouve rapidement à bout de ressources : Seuls l'imagination d'un chevalier errant et les grelots de mon bonnet de fou constituèrent ma bonne humeur et mon courage héroïque.
«
burlesque de sa vie privée, le génie de Hamann se donne libre cours, tantôt dans des pamphlets
tels les Mémorables socratiques ( 1759), qui ne seront qu'un singulier commentaire métaphysique et
religieux de la querelle précédente sous forme d'un portrait de Socrate, tantôt dans des opuscules
comme les Lettres hellénistiques et les Croisades d'un philologue concernant des questions d'exégèse et
contenant la célèbre /Esthetica in Nuce ( 1762) dont l'influence fut révélatrice pour des esprits
comme Herder et Gœthe.
Ou encore dans les Dernieres déclarations du chevalier Rosenkreuz sur les
origines divines et humaines du langage, suscitées par sa controverse avec Herder ( 1772-1776); dans sa
Métacritique de la Raison pure où il définit son opposition à Kant, dans son Golgotha et Scheblimini
où il attaque le déisme humanitariste de Mendelssohn au nom de la tradition hébraïsante de la
Réforme luthérienne; enfin, dans sa Lettre volante où il dresse le bilan de sa « prédication dans le
désert
».
Mais c'est surtout dans sa vaste correspondance avec Herder, avec Jacobi sur qui il
exerce
une influence immédiate, avec Lavater ou avec ses familiers, que l'expression de Hamann
est encore la plus accessible, sans être moins stimulante que ses opuscules, et que l'on voit le mieux
vivre son esprit : Hamann a poussé jusqu'à un humour délirant la référence de l'instant vécu à
quelque citation appropriée de l'Ecriture.
Au lendemain de la mort de son père dont il s'était fait
entretenir après sa brouille avec les Berens, il avait fait un mariage de conscience avec la servante
de la maison paternelle dont il eut deux fils.
Kant lui avait procuré une situation de secrétaire
d'administration et de secrétaire-traducteur des Douanes dont le médiocre salaire ne pouvait
suffire à l'entretien de son foyer.
Son existence matérielle paraissait désespérée, quand un jeune
homme fortuné qui le vénérait, le baron Buchholz de Wellbergen, le pria de l'adopter pour son
fils et le dota d'un capital destiné à l'éducation de ses enfants.
En 1787, Hamann se rend en
Westphalie, à Münster, auprès de ce fils adoptif, et à Dusseldorf auprès de Jacobi; le « Mage du
Nord » y était attendu et fut reçu par tout un cercle de « belles âmes » que présidait la princesse
Galitzine.
Il est frappant de constater que la carrière de Hamann se soit à peu près terminée
comme elle avait commencé : dans la dépendance qui allait lui rendre une fois de plus intolérables
l'affection
et les bienfaits d'autrui.
On l'a vu au début rompre cette dépendance en affirmant la
liberté de sa personnalité géniale.
Et maintenant que cette personnalité exerce son autorité sur
des êtres, il ne tolère pas davantage que ce soit des êtres compréhensifs qui lui fournissent les
moyens
de l'exercer librement.
Serait-ce donc qu'il ait été indispensable à sa nature de paraître
avoir tort devant les hommes pour se sentir fortifié et justifié par le Seigneur? Toujours est-il
qu'au bout de quelque temps, après avoir, paraît-il, suffisamment pratiqué envers Jacobi sa
maïeutique : troubler les autres dans leur croyance, il quitte brusquement sa maison pour celle de
Wellbergen dont Jacobi dira plus tard que Hamann a probablement payé de sa vie les bienfaits
qu'il lui devait.
Il meurt le 20 juin 1788, à Münster, où la princesse Galitzine l'ensevelit dans son
parc.
Qu'oN place ou non avec Hegel sous le signe de l'équivoque cet amalgame de dons visionnaires,
de simulation, de piété fervente, de volupté, d'égocentrisme, toujours est-il que ces dispositions,
si contradictoires
et surprenantes chez un homme qui affirme avoir trouvé la paix du Christ,
entrent en activité à partir du moment où il se reconnaît pour le meurtrier grâcié de Jésus-Christ.
C'est donc la foi en la grâce du sauveur, la conscience même du pécheur justifié qui, dans ce jeune
homme, la veille encore dispersé et tâtonnant, réunit en une totalité agissante toutes les chances
de dispersion et de perdition de sa personne.
SANS doute le pécheur justifié a-t-il tout d'abord acquis une prodigieuse liberté de parole à
l'égard de ceux dont il dépend, matériellement, tels les Berens, moralement, tel Kant.
A leurs
yeux il
n'est peut-être pas loin de faire figure de Tartufe, puisqu'il s'autorise de ses échecs pour
glorifier la grâce divine qui s'est manifestée dans sa faiblesse.
Mais son autorité est précisément
celle
d'une conscience qu'ils n'ont pas et que les habitudes de penser rationalisantes et moralisantes
les
empêchent d'avoir, conscience de son authenticité d'autant plus forte qu'elle s'appuie sur l'abso
lutisme
scripturaire de la Parole de Dieu dont il tire un pessimisme non moins intransigeant à
l'égard des illusions de leur morale.
Si on lui demande de distinguer les choses divines des choses
humaines, il
répond que le chrétien fait toutes choses en Dieu : manger et boire, quitter une cité pour
une autre,y demeurer, agir et errer de-ci de-là une année durant, ou bien y rester inactif dans l'expectative;
239.
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