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Harmonie du soir - Charles Baudelaire

Publié le 17/01/2022

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  Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

 Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;  Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir;  Valse mélancolique et langoureux vertige!  Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;  Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige;  Valse mélancolique et langoureux vertige!  Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.  Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige,  Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir!  Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;  Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.  Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,  Du passé lumineux recueille tout vestige!  Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...  Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!    Les Fleurs du mal - Spleen et Idéal - Charles Baudelaire

« Harmonie du soir« est, dans la première partie des Fleurs du Mal, l'avant-dernier poème du cycle de l'amour spirituel, inspiré par Madame Sabatier, que Baudelaire avait idéalisée comme « L'Ange, la Muse et la Madone«. Cette femme radieuse, dans la vie comme dans l'oeuvre du poète, s'oppose à la figure de Jeanne Duval, à laquelle est consacrée la série de poèmes qui précèdent le cycle orageux de l'amour charnel. Ce rappel est sans doute nécessaire pour expliquer l'origine d'un poème où « rayonne « littéralement le souvenir de la femme aimée ; mais il ne suffit évidemment pas à en comprendre l'exceptionnelle beauté. Pour cela, il nous faut oublier les circonstances biographiques, recevoir et ressentir le texte tel qu'en lui-même, et par une analyse interne de ses thèmes et de son art, rendre compte de l'émotion qu'il nous invite à partager.

Le sujet du poème est apparemment simple : un homme saisi par l'atmosphère harmonieuse d'un soir se sent envahi par le souvenir d'une femme qu'il a aimée et, «tout naturellement «, compare cette image radieuse dans son coeur au soleil qui se couche à l'horizon. Mais à y regarder de plus près, on peut se demander si cette évocation est si naturelle que cela. S'agit-il d'un crépuscule, observé un soir, qui a suscité ces pensées dans l'esprit du poète? Ou bien, n'est-ce pas plutôt Baudelaire qui, pour célébrer le culte de la femme aimée, a inventé ce tableau d'un soir pour servir d'écrin au souvenir rayonnant de son amour? Cette question nous invite à distinguer en Baudelaire l'homme et le poète : l'état d'âme du premier est en effet le matériau sur lequel travaille l'art du second, pour transformer sa vie en poésie, son émotion en musique, son souvenir en contemplation.

 

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« Il serait ridicule de proposer un « plan » de ce texte.

Le terme de « mouvement » n'est pas lui-même approprié,puisque le poème ne progresse que vers son immobilisation, et ne vibre que pour se taire.

Aussi choisissons-nous lemot de composition, qu'il faut prendre dans toute sa valeur musicale, symphonique. A la manière d'une partition, le poème fond ensemble plusieurs motifs présents du début jusqu'à la fin : Le premier motif est visuel, pictural : il évoque la lente évolution du moment crépusculaire ; le soir tombe, les parfums s'exhalent, le monde s'agite encore ; le ciel s'ouvre à la venue du crépuscule ; le soleil rougeoieencore et se fige, mais il ne se couche pas vraiment, il est comme arrêté par le poème, immobilisé pourtoujours, comme si jamais il ne devait disparaître. Le second motif est musical : il chante le dernier soupir, la vibration finale du jour.

D'une part, les termes exprimant des sensations auditives (sons, valse, violon) sont explicitement présents dans les dix premiers vers.D'autre part, la disposition des vers selon la forme fixe du pantoum (le deuxième et le quatrième vers dechaque strophe doivent devenir le premier et le troisième vers de la strophe suivante, et ainsi de suite) conduità un effet de refrain, de reprise des thèmes et des sonorités, d'incantation.

Tout le poème repose sur deuxrimes, -ige (indice de mouvement) et -oir (indice de quiétude).

L'évolution du texte, musicalement commepicturalement, est un passage de la vibration à l'immobilité ; il y a correspondance entre les sons et les imagesdans le ralentissement et l'apaisement du jour.

Peu à peu, la musique cède la place à la lumière, l'oreille à lavue, car le silence est nécessaire à la contemplation. Le troisième motif est religieux : ce poème est une cérémonie.

Pour le poète qui a écrit « La Nature est un temple» (dans le sonnet «Correspondances »), l'harmonie du soir n'est pas seulement une réalité physique ; c'est un mystère religieux.

Les comparaisons des éléments de la nature àdes objets de la liturgie chrétienne (encensoir/reposoir/ostensoir) préparent la célébration du souvenir de la femmeaimée, dont l'éclat irradie le dernier vers. Le dernier motif est intérieur ; il raconte un état d'âme, l'histoire d'un coeur triste, hanté par la peur de l'oubli, qui tente d'arrêter le temps pour maintenir en lui-même l'image de la femme qu'il a aimée, la divinise enorganisant son culte, et s'éternise lui-même en la contemplant.

Ce motif est le sens du poème, bien sûr; maisce sens n'aurait pas de consistance s'il ne se constituait des motifs précédents : c'est grâce à ceux-ci que lepoète parvient à fixer son âme en un paysage intérieur qui sublime son émotion, et lui apporte la paix. ÉTUDE SUIVIE « Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir; » Solennité du ton : cette annonce des temps à venir est prophétique ; elle nous suggère, dès le début, que nousn'allons pas assister à un simple tableau du soir; la nature va servir un mystère qui la dépasse — sans quoi, nous nepourrions comprendre qu'une formule aussi religieuse soit employée pour nous signifier un simple balancement desfleurs.

Le second vers, que l'enjambement rend inséparable du premier, décrit l'office de chaque fleur : comme sichacune, prise isolément, et bien montrée en gros plan sur sa tige, avait conscience de sa fonction d'encensoir.

Lenaturel (les (leurs/le soir/exhalent leur parfum) est au service du surnaturel : l'élévation de l'odeur des plantesencense le temple de la nature et la divinité (non encore nommée) qui y réside. Pour souligner cette atmosphère de célébration, Baudelaire opère une fusion des sensations : visuelles(vibrer/encensoir), olfactives (évaporation/odeur d'encens) et musicales, ces dernières étant données par le rythme lent, mais soutenu, du premier vers, aux assonances et allitérations calculées (-i et -an ; -v et -t). «Voici venir les temps où vibrant sur sa tige» On note aussi, dans le second vers, la présence de voyelles ouvertes, accentuées, et qui, prolongées par les -r,obligent la voix du lecteur à exhaler le son comme les fleurs exhalent leur odeur : «Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ; » Ces deux premiers vers nous décrivent une nature encore en mouvement ; les deux suivants accentuent cettevibration du soir, en l'accompagnant explicitement de musique (proche ? lointaine ? réellement entendue ? simplemétaphore ?) : « Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir;Valse mélancolique et langoureux vertige! » Tout se meut dans l'air du soir, mais les choses n'y existent que dans leur émanation (le son, le parfum), donnantainsi une impression d'apesanteur.

Ce mouvement est une danse (les émanations « tournent», tout «valse» lentement, donnant une sensation de «vertige», qui est justement « l'impression selon laquelle on croit que les objets environnants sont animés d'un mouvement circulaire », cf.

Petit Robert).

Le rythme souligne, et même crée,. »

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