IL FAUT TENTER DE VIVRE! - PAUL VALÉRY, Le Cimetière marin.
Publié le 22/02/2012
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IL FAUT TENTER DE VIVRE! - PAUL VALÉRY, Le Cimetière marin. Non, non!... Debout! Dans l'ère successive! Brisez, mon corps, cette forme pensive! Buvez, mon sein, la naissance du vent! Une fraîcheur, de la mer exhalée, Me rend mon âme... O puissance salée! Courons à l'onde en rejaillir vivant! Oui! Grande mer de délires douée, Peau de Panthère et chlamyde trouée De mille et mille idoles du soleil, Hydre absolue, ivre de ta chair bleue, Qui te remords l'étincelante queue Dans un tumulte au silence pareil, Le vent se lève!... Il faut tenter de vivre! L'air immense ouvre et referme mon livre, La vague en poudre ose jaillir des rocs! Envolez-vous, pages tout éblouies! Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies Ce toit tranquille où picoraient des focs! Introduction. Ces trois strophes constituent la conclusion, ou plutôt la péripétie finale, d'une longue méditation philosophique et lyrique inspirée au poète par le souvenir du cimetière de Sète, situé sur une colline d'où l'on domine la mer, et au pied de laquelle s'élevait sa maison natale. Nous sommes à midi, vers la mi-juin. L'ardent soleil méditerranéen semble régner seul sur les flots, sur la terre, sur le monde accablé, et devient aux yeux du poète le symbole de l'Être immuable et parfait; à l'immobilité de tout ce qui l'entoure, les choses et les morts, il sent qu'il est seul à s'opposer, parce que seul il est changement. Un vertige le saisit, en face de cette lumière inaltérable et de ces morts qui eux aussi se sont rangés du côté de l'immuable, et il a l'impression qu'il est sur le point de consentir à la stagnation de l'éternité. A cette espèce de démission, un brusque sursaut de ses forces vivantes va lui permettre d'échapper, en le rejetant, hors de la contemplation pure, vers l'action libératrice. Le texte. La soudaineté de ce mouvement s'exprime d'emblée par la structure même de la phrase, les répétitions et les coupes heurtées : Non! non! Debout! ... Brisez I, mon corps... Buvez !, mon sein... La suppression de tout sujet et de tout verbe au premier vers rend la violence du geste par lequel le poète se replonge, en s'arrachant à l'immuable, dans Père successive, c'est-à-dire dans le temps, formé d'une succession d'instants passagers, qui est la trame de l'existence humaine. Il ordonne à son corps de briser sa forme pensive, c'est-à-dire cette attitude de penseur qui était par elle-même une sorte d'adhésion à l'immobilité. Sorti d'un seul coup de sa méditation, il se retrouve parmi les réalités sensibles de l'univers créé, et la bouffée de vent qui l'enveloppe lui semble avoir la fraîcheur d'une naissance, comme s'il la recueillait à sa source. L'expression traduit en même temps le retour de la vie dans le paysage comme en son être, car les choses, d'un mouvement parallèle à celui du poète, s'animent et vont l'aider à secouer l'enchantement mortel; Une fraîcheur me rend mon âme : le poète se retrouve pleinement lui-même dans la conscience de cette vie individuelle et distincte par laquelle il s'oppose à l'Être immuable. Alors, il sent le besoin d'affirmer cette vie par un acte et de se purifier de toute contagion de l'immobilité. Aussi adresse-t-il à la mer les mots de puissance salée, parce qu'elle seule va pouvoir opérer cette sorte de résurrection ou de nouvelle naissance : Courons à l'onde en rejaillir vivant, dans l'acceptation totale de la condition d'homme, c'est-à-dire d'être changeant.
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