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J.-J. Rousseau, La Nouvelle Héloïse (1761), IVe partie, lettre 17

Publié le 21/02/2011

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Ce lieu solitaire formait un réduit sauvage et désert ; mais plein de ces sortes de beautés qui ne plaisent qu'aux âmes sensibles et paraissent horribles aux autres. Un torrent formé par la fonte des neiges roulait à vingt pas de nous une eau bourbeuse, et charriait avec bruit du limon, du sable et des pierres. Derrière nous une chaîne de roches inaccessibles séparait l'esplanade où nous étions de cette partie des Alpes qu'on nomme les glacières, parce que d'énormes sommets de glace qui s'accroissent incessamment les couvrent depuis le commencement du monde. Des forêts de noirs sapins nous ombrageaient tristement à droite. Un grand bois de chênes était à gauche au-delà du torrent, et au-dessous de nous cette immense plaine d'eau que le lac forme au sein des Alpes nous séparait des riches côtes du pays de Vaud, dont la cime du majestueux Jura couronnait le tableau. Au milieu de ces grands et superbes objets, le petit terrain où nous étions étalait les charmes d'un séjour riant et champêtre ; quelques ruisseaux filtraient à travers les rochers, et roulaient sur la verdure en filets de cristal. Quelques arbres fruitiers sauvages penchaient leurs têtes sur les nôtres ; la terre humide et fraîche était couverte d'herbe et de fleurs. En comparant un si doux séjour aux objets qui l'environnaient, il semblait que ce lieu désert dût être l'asile de deux amants échappés seuls au bouleversement de la nature.

J.-J. Rousseau, La Nouvelle Héloïse (1761), IVe partie, lettre 17, Éd. Pléiade, p. 518.

Sous la forme d'un commentaire composé (sans vous limiter nécessairement à la démarche proposée), vous étudierez le paysage évoqué par l'auteur ; vous montrerez, par exemple, comment ce cadre crée un climat favorable à l'épanouissement des émotions de deux êtres qui s'aiment, et comment Rousseau illustre cette communion de la nature et des âmes, qui annonce les textes romantiques.

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« beauté. II.

Les sentiments. 1.

Le paysage répond aux goûts de Rousseau.Celui-ci est une de ces « âmes sensibles » auxquelles il est fait allusion au début du paysage.

On sait à quel point lesentiment de la nature intervient dans La Nouvelle Héloïse, comme source et en même temps reflet des impressionshumaines.

Dans ce texte, les adjectifs qui décrivent le paysage sont chargés d'une sorte d'affectivité (cf.

sauvage,majestueux, riant).

Rousseau ne peut trouver là que ce qui lui plaît : le goût de la solitude (« ce lieu solitaire...sauvage et désert » et même plutôt de la solitude à deux (« deux amants échappés seuls ») ; ceux de la mélancolie(« tristement »), de la pureté (cf.

« les filets de cristal » des ruisseaux). On retrouve dans ce texte la fascination préromantique qui s'épanouira chez les Romantiques, pour le chaos originel,pour les cataclysmes (cf.

« échappés seuls au bouleversement de la nature ») pour les visions cos-miques (cf.

«d'énormes sommets de glace qui s'accroissent incessamment...

depuis le commencement du monde »), pour lesoppositions for-tes aussi (ici, la petitesse de l'homme est soulignée, du fait de l'immensité des espaces). 2.

Un éloge de la nature.Malgré son aspect qui peut être effrayant, la nature, par d'autres côtés, est une bienfaitrice de l'homme.

Elle luioffre une protection (« le petit terrain », « l'asile », conduisent à l'apaisement final) ; elle met à sa disposition desfruits et des fleurs (« quelques arbres fruitiers sauvages...

la terre était couverte d'arbres et de fleurs »), ainsi quede l'eau.

A ce propos, on peut d'ailleurs noter que les arbres fruitiers sont « sauvages » : la nourriture éventuelleproviendrait dans ce site, non du travail de l'homme, mais de la seule nature.

Enfin, on peut remarquer quelquechose qui ressemble à de la complicité entre l'homme et la nature : « quelques arbres...

penchaient leurs têtes surles nôtres ». CONCLUSION On voit qu'est suggérée, à la fin de ce texte, l'idée d'une passion envisa-gée dans un cadre naturel, loin del'hypocrisie du monde.

A la lecture de ces lignes, on comprend que La Nouvelle Héloïse, venue à son heure prendresa revanche sur la froide raison, ait répandu parmi ses lecteurs de l'époque le goût de la vie rustique, et l'attirancepour la montagne qui paraissait « horrible » auparavant.. »

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