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JARRY : sa vie et son oeuvre

Publié le 30/12/2018

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jarry

JARRY Alfred (1873-1907). Il y a un « cas » Jarry. Les symptômes en sont multiples. Le plus éclatant d’entre eux s’observe au niveau du lexique : il n’existe pas d'adjectif usuel formé sur le nom de Jarry — même si quelques-uns des spécialistes de son œuvre, d’ailleurs assez peu nombreux, utilisent de loin en loin « jarryque » ou « jarryesque ». Mais le nom d’Ubu a donné lieu à la formation du dérivé « ubuesque », qui est entré dans le lexique commun, avec le sens de « simultanément odieux et ridicule » — l’une ou l’autre de ces qualités étant alternativement accentuée. Cas relativement rare d’occultation de fauteur par l'une de ses créations. Autre symptôme : le déséquilibre patent qu'on observe dans la connaissance de l'œuvre de Jarry. Ubu roi est universellement connu ( et traduit), constamment réédité, fréquemment représenté. Ubu enchaîné, Ubu cocu et l'ensemble du cycle ubique profitent petitement du prestige d'Ubu roi. Mais le reste de l’œuvre était il y a peu presque inconnu, et il y a encore beaucoup à faire pour que les romans de Jarry, ses poèmes, ses Spéculations, sans parler de la non négligeable production critique et de la correspondance, atteignent véritablement le public. Et ce n’est évidemment pas un hasard si les différents projets d'édition des Œuvres complètes de Jarry n'ont encore abouti qu’à des résultats insuffisants ou partiels. Dernier aspect du cas Jarry : l’intérêt qui se porte sur sa « vie »

 

ou, plus justement, sur certains épisodes, jugés significatifs : les trop fameuses anecdotes, rapportées à foison par des témoins souvent fugitifs, voire indirects ou franchement mythomanes et reprises dévotement par les biographes, y compris les plus « sérieux ». Même si André Breton a, indirectement, appuyé de son autorité cette attitude hagiographique, elle n'en a pas moins comme conséquence d’occulter le texte aux dépens d'un mythe, en lui-même intéressant, mais fort éloigné de ce qu'on peut savoir (ou deviner) du (des) sujet(s) Jarry.

 

Un petit-bourgeois déclassé

 

Alfred Jarry est né à Laval (Mayenne). Son père, Anselme Jarry, alors négociant en toiles et coutils, est à la tête d’une petite fortune immobilière, et sa profession lui permet de faire vivre dans le confort son épouse — fille d’un juge de paix breton — et la jeune Charlotte, sœur aînée d’Alfred. Mais bientôt ses affaires périclitent, et il est contraint de reprendre son ancien métier de représentant de commerce, en sauvegardant toutefois une part non négligeable de ses biens immobiliers. Mais à cette époque son épouse s’éloigne définitivement de lui, et s’installe avec ses deux enfants à Saint-Brieuc (1879)

 

où réside son père — puis à Rennes (1888).

 

Après quelques mois passés dans la classe des « minimes » du lycée de Laval, Jarry fera — de façon à la fois brillante et désinvolte — ses études classiques aux lycées de Saint-Brieuc, puis de Rennes. Dès la classe de quatrième, il écrit de nombreux textes poétiques, que, plus tard, il réunira sous le titre Ontogénie, avec l'intention

 

à la fois affichée et retenue — de les publier.

 

Lorsqu’il entre en rhétorique (première) au lycée de Rennes, Jarry a pour professeur de physique un M. Hébert, qui est abominablement chahuté, depuis la nuit des temps, par ses élèves. Le triste Félix Hébert, sous les noms variés de P.H., père Heb, Eb, Ebé, Ebon, Ebance, Ébouille, est depuis plusieurs années le héros d'une geste potachique abondante et multiforme. Entre plusieurs autres textes, un épisode de ses aventures a pour titre les Polonais: il a été rédigé vers 1885 — soit trois ans avant l’arrivée de Jarry au lycée — par un élève, Charles

 

Morin, et relate les aventures du P.H. devenu roi de Pologne. Ce texte, dont la version originelle est perdue, est à l’origine du futur Ubu roi.

 

Muni du baccalauréat, le jeune Jarry se prépare, d’abord comme « vétéran » au lycée de Rennes, puis, à la khâgne du lycée Henri-IV, au concours de l’École normale supérieure. Il y est par trois fois refusé (1891, 1892, 1893), comme il est, à deux reprises (en 1894), refusé à la licence ès lettres.

 

Dès 1892, Jarry fréquente le milieu littéraire parisien. Il commence à publier en 1893.

 

Après la mort de sa mère (1893), puis de son père (1895), Jarry mène, à Paris, la vie d’un homme de lettres à la mode. Le modeste héritage de ses parents lui permet de vivre, d’abord confortablement, puis de plus en plus petitement. Aucun de ses ouvrages — à la seule réserve, peut-être, de Messaline — ne sera vraiment lucratif : il en est vite réduit à la chasse aux « piges » dans les revues. Lorsqu’en avril 1903, la Revue blanche, à laquelle il collaborait régulièrement, cessera de paraître, ce sera la misère noire.

 

Miné par l'alcool — c’était le moyen qu'il avait trouvé pour compenser sa sous-alimentation chronique

 

Jarry meurt de tuberculose à trente-quatre ans. Depuis plusieurs mois, ses ultimes efforts de production littéraire n’aboutissaient qu’à des ébauches partielles, qu'il ne parvenait plus à intégrer à un texte. On trouve la trace

 

émouvante — de ces efforts dans l’immense dossier de son dernier « roman », la Dragonne.

 

On ne connaît à Jarry aucune relation féminine affichée, et l'on ne peut que spéculer (inutilement?) sur la nature de ses rapports avec quelques femmes, jeunes (Fanny Zaessinger) ou, bien souvent, beaucoup plus âgées que lui (Rachilde, Mme Claudius-Jacquet, Berthe de Courrière). Quant au personnage de sa mère, on est évidemment tenté d’en trouver la mise en scène textuelle dans l'Amour absolu, sous le nom de Varia : objet, précisément, de l'« amour absolu » du jeune Emmanuel Dieu.

 

Les relations masculines de Jarry étaient moins secrètes. Son amitié avec Léon-Paul Fargue fit scandale dans le milieu littéraire parisien, et le fils de Mme Claudius-Jacquet fut certainement fort intime avec lui. On peut repérer la trace, plus ou moins profonde, laissée par ces tensions dans les Jours et les Nuits.

 

Existence étrange, hantée par l’échec (ou ses apparences?). A chacun de ces échecs, Jarry opposait une indifférence désinvolte, qui, pour être sans doute partiellement feinte, n’en est que de façon plus significative à l’exact opposé de cette intention de « faire de sa vie une œuvre d’art » que lui ont prêtée, après Breton, de trop nombreux critiques.

 

La machine à décerveler

 

Rien de plus hétéroclite, apparemment, que l’œuvre de Jarry. La simple énumération des genres littéraires qu’il a abordés est, à cet égard, édifiante : du poème au roman, du théâtre à l’essai philosophique, de la chronique à la critique. Encore ne faudrait-il pas se laisser abuser par l’identité des termes : quoi de commun en effet entre le drame hypersymboliste (à tous les sens du mot « symbole ») de César-Antechrist et l'extrême légèreté (à tous les sens du mot « légèreté ») du « théâtre mirlitonesque »? Quelle ressemblance, dans le domaine dit « romanesque », entre l’autobiographie rêvée de PAmour absolu et les descriptions de paysages littéraires ou les calculs pataphysiques des Gestes et opinions du docteur Faustroll?

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« On ne se donnera pas ici le ridicule de chercher à mettre en évidence une « cohérence)) qui risquerait fort de ne se situer qu'au niveau de notre propre discours critique.

On se contentera de décrire quelques textes, en insistant toutefois sur les relations, parfois peu attendues, qui se manifestent entre eux, et qui constituent une sorte de réseau, à la fois souple et contraignant, entre les mail­ les duquel les textes en viennent comme à jouer une interminable partie d'échecs.

Jarry n'a pas encore trouvé tous ses lecteurs.

Il scan­ dalise encore jusqu'aux universitaires qui lui consacrent VIE 1863 Mariage, à Hédé (Ille-et- Vilaine).

d'Anselme Jarry et de Caroline Quernest.

1865 Naissance, à Laval, de Caroline -bientôt appelée Char­ lotte -, sœur aînée de Jarry.

1873 8 sept.

: naissance.

à Laval, d'Alfred Jarry.

1878 Alfred Jarry entre au lycée de Laval, dans la division des Minimes.

1879 Mme Jarry quitte son mari et s'installe avec ses deux enfants à Saint-Brieuc.

1888 Mme Jarry s'installe à Rennes.

Jarry entre en première au lycée de la ville.

1889 Oct.

: Jarry entre en classe de philo.

1890- Il prépare, d'abord à Rennes, puis à Paris, le concours de 1893 l'École normale supérieure.

1893 1893- 1894 10 mai : mort, à Paris, de la mère de Jarry.

Période de l'amitié de Jarry et de Léon-Paul Fargue.

1894 Jarry fréquente les mardis de Mallarmé, puis ceux de Rachilde.

Oct.

: fonde la revue l'Ymagier avec Rémy de Gourmont (7 numéros).

13 nov.

: il est incorporé à Laval au IOle R.I.

1895 Janv.

: rupture de Jarry et de Fargue.

19 aoOt : mort du père de Jarry.

Sept.

: épisode de « la vieille dame» (Berthe de Cour­ rière) qui déclare sa flamme à Jarry (bien en vain!).

Déc.

: Jarry est classé « réformé définitif».

1896 Jarry propose à Lugné-Poc, directeur du théâtre de l'Œu­ vre, de monter Ubu roi (nouveau titre des Polonais).

Il devient.

en juin, secrétaire de Lugné-Poe.

10 déc.

: la p rem ièr e représentation d'V bu roi déclenche un énorme scandale.

1897 Jarry, qui connaît déjà de sérieuses difficultés pécuniai­ res, s'installe dans un étrange local, au 7, rue Cassette; l'appartement a été coupé en deux horizontalement! 1898 Ja rry passe plusieurs mois au Phalanstère, grande maison de Corbeil louée en commun avec plusieurs amis.

dont Rachilde et son époux Alfred Vallelle, directeur du M erc ure de France .

1899 Aprè s la dissolution -en janv.

- du Phalanstère, Jarry passe la période des vacances dans une maison louée, toujours avec Rachilde et Vallette, à La Frette.

des thèses.

Tabou sexuel? Tabou sémiotique -moins apparent, mais aussi fort? Sans doute.

L'essentiel est ailleurs : le véritable scandale du texte jarryque, c'est qu'il ne comporte pas de sens préétabli : c'est bien plutôt une étrange machine -ingénieusement bricolée - à produire et détruire le sens.

«Voyez, voyez, la machin' tourner! » hurlent les Palotins d' Ubu roi autour de la Machine à décerveler.

C'est un fait qu'on peut la faire tourner indéfiniment, et dans tous les sens.

Les lecteurs d'aujourd'hui ne semblent pas encore tout à fait prêts à ces jeux et à ces tours.

ŒUVRE 1885- Jarry.

qui vient d'entrer en quatrième, écrit de très nom- 1886 breux textes poétiques.

qui seront plus tard réunis dans Omogénie.

1888 Composition de la Seconde Vie ou Macaber, poème.

Adaptation théâtrale, par Jarry, du texte des Polonais.

Déc.

: représentation des Polonais par les marionnettes du théâtre des Phynances, chez les parents de Charles Morin.

1888- Jarry écrit Onésim e ou les Trib ula tion s de Priou.

prc- 1889 mière ébauche du furur Ubu cocu.

1893 Premières publications.

1894 Publication successive de «Visions actuelles et futu­ res», d'>.

1897 Jarry achève, puis publie les Jours et/es Nuits.

ll remanie le texte d' Ubu cocu.

Il travaille en outre à l'Amour en visites (dont un chapitre deviendra l'Amour absolu) et aux Gestes et opinions du docteur Faustroll.

p ata physi cien .

1898 Publication de l'Amour en visites.

Jarry continue à tra­ vailler à Faustro/1 et à l'Amour absolu.

ll termine une première version de Par la taille et commence, avec Claude Terrasse, à rédiger une première version de l'opéra bouffe Pantagruel.

1899 Jarry publie (à ses frais) l'Amour absolu .

A La Frette, il écrit Ubu enchaÎné.. »

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