JAUFRÉ RUDEL : sa vie et son oeuvre

JAUFRÉ RUDEL (xiie siècle). Six chansons conservées, d’attribution certaine, dont quatre avec leur mélodie, c’est peu. Mais de cette œuvre minuscule se nourrit, depuis la postérité immédiate du poète jusqu’au romantisme, une immense rêverie poétique. C’est que Jaufré Rudel, poète de l’amour lointain et de la dame jamais vue, constitue l’un des types littéraires les mieux dessinés de la culture européenne.

Sous la surcharge mythique, dont la forme achevée est la Vida qui le fait amoureux de la comtesse de Tripoli sur la seule foi de ses mérites et l’imagine mourant entre les bras de la dame au terme du voyage, on devine un grand personnage de la vie politique et artistique.

Il était seigneur de Blaye, d'une famille où l’on se donnait le titre de « prince », vassal des comtes d'Angou-lême. La première mention qu’on ait de lui en un acte coïncide à peu près avec la mort de Guilhem IX, le duc d’Aquitaine, premier troubadour en date. C’était le temps de la gloire d’Èbles de Ventadorn, le «chanteur». Le Saintongeais reçoit donc et relance une mode du trobar dans sa première jeunesse. Il dut être en querelle féodale avec Guilhem X, qui occupa un moment son château. Deux de ses chansons permettent de suivre la renommée de son chant, dans les terres d'Hugues de Lusignan et dans celles de Toulouse.

La vie légendaire mais aussi une allusion précise de son ami Marcabrun le relient à l’Orient chrétien. On peut conjecturer qu’il fut de l’expédition de 1148 et qu’il connut ce comté de Tripoli, fondé par la maison de Toulouse, où il a pu chanter l’une ou l’autre dame : Meli-senda, fille du comte Raimon II, ou Odierna, épouse de celui-ci. A moins qu’il ne s’attachât à la personne d’Éléonor, alors en Palestine avec son premier mari, Louis VII de France.

Qu’il ait, dans ce cadre de vie élégant, prétendu aimer une dame qu’il n'avait jamais vue, rien ne s’y oppose. Comme l’a noté Martin de Riquer, le thème appartient à la poésie amoureuse de plusieurs traditions, et un modèle direct pourrait figurer dans les Héroïdes d’Ovide. A vrai