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Jean CARRIÈRE, L'épervier de Maheux

Publié le 25/02/2011

Extrait du document

(Abel Reilhan se rend à Mazel-de-Mort rejoindre une bande de chasseurs que réunit, chaque année, l'ouverture de la chasse. Au long du sentier, dans un monologue intérieur, il se redit les bonnes raisons qu'il a de tenir bon dans son rude hameau de Maheux.) «Oui, bien sûr, il y avait ce retard qu'il n'arrivait pas à combler, cette course harassante après la saison, dont il n'était jamais parvenu à épouser le rythme, les récoltes à moitié perdues, la terre emportée par les orages, et qu'on était obligé de remonter dans des paniers, les pentes raides à dévaler et à gravir du matin au soir pour engranger le foin ou garnir le bûcher, il y avait la tristesse du soleil et la solitude du cœur, le silence du monde, l'incertitude de l'avenir, il y avait la pauvreté, cette pauvreté qui habitait chez vous de la naissance à la mort comme une compagne fidèle et que vous finissiez par aimer, cette pauvreté de la terre, de la table, des vêtements, cette pauvreté des gestes et des mots, cette pauvreté que tout le monde haïssait, refusait avec rage. Eh bien quoi, la pauvreté? Vous avez tous ce mot-là à la bouche. Comme s'il ne vaut pas mieux manger une cèbe1 assis devant sa porte et en étant un homme libre, que de se nourrir de langouste en prison; car enfin, ne me dites pas que ces gens-là ne sont pas en prison. Ne me dites pas que ces gens-là sont heureux. Ils ont beau être habillés comme des milords, rouler en voiture, aller au cinéma, faire des tas de trucs extraordinaires, ils ont l'air triste, ils sont toujours malades ou en colère après quelqu'un : ils se battent pour un oui ou pour un non, des guerres et des révolutions en veux-tu en voilà; quand on les voit marcher dans la rue, collés les uns aux autres, on se demande où ils vont, en tout cas ça n'a pas l'air de leur faire plaisir d'aller où ils vont et de faire ce qu'ils font, et c'est peut-être pour ça qu'à la fin ils se battent. Ils se battent parce qu'ils s'ennuient, et ils veulent qu'on aille se battre à leur côté; ils n'ont qu'à se battre tout seuls si ça leur chante : est-ce qu'ils s'intéressent à nous, le reste du temps? L'été, on en voit rappliquer quelques-uns par ici... « Jean CARRIÈRE, L'épervier de Maheux.

1. «Un oignon« (terme patois). sujets au choix 1) Évoquez la journée d'Abel Reilhan la veille de son départ pour Mazel-de-Mort. 2) «L'été, on en voit rappliquer quelques-uns par ici...« Complétez le texte. 3) Sous la forme de votre choix, traitez l'un des thèmes abordés par ce texte.   

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