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JOHN DONNE

Publié le 02/09/2013

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1571 - 1631

LES Histoires de la Littérature anglaise font de Donne le chef de file des poètes métaphysiques, dont les plus célèbres après lui sont Herbert, Traherne, Vaughan, Crashaw, Marvell, Lovelace, Carew. Ce qualificatif de métaphysiques leur fut appliqué par le Dr Johnson. Il ne prétendait pas par là qu'ils fussent métaphysiciens, mais voulait désigner — et condamner — une certaine « sophistication « des idées et du langage qui se manifestait chez eux dans des juxtapositions d'ima¬ges hétérogènes et des subtilités d'esprit que les lettrés du xvme siècle tenaient pour du charabia. Il est certain que Donne se complaît dans l'élaboration de l'image creusée parfois jusqu'aux limites extrêmes de l'ingéniosité. La raison en est moins une théorie littéraire personnelle que la façon de sentir et de penser particulière à la première moitié du xvue siècle et si Donne et ses successeurs ne sont pas des poètes qui prétendent mettre la philosophie ou la théologie en vers, il n'en reste pas moins vrai que leur sensibilité s'enracine dans certaines structures intellectuelles qui n'ont plus de sens pour les générations suivantes. Le système du monde et de la société reste lié dans leur esprit à des catégories de pensées médiévales; la science n'a pas encore rompu définitivement avec la théologie, et la sensibilité fait un avec une intellectualité qui en est à la fois l'inspiration et le cadre. D'où le caractère raisonnant (je ne dis pas raisonneur) d'une poésie comme celle de Donne, où l'image est toujours une idée, qui se fraie son chemin sous des revêtements figuratifs successifs jusqu'à ce que soit démontrée une thèse ou posé un problème. La sensibilité poétique de Donne a été singulièrement aiguisée par son intellectualisme, sans être jamais durcie ou dessé¬chée — il est trop passionné pour que ce fût possible — et si ses poèmes sont parfois malaisés à déchiffrer à la première lecture, c'est plus en raison de la subtilité du raisonnement que de la complication du langage. Celui-ci est simple, plus simple que le langage des poètes spenseriens contre lesquels réagissent les métaphysiques qui rejettent délibérément la phraséologie de la littérature courtoise, allégorisante, pastorale, et une certaine rhétorique du xvle siècle, affectée de lieux communs et de redondances. En fait, c'est dans le langage courant et concret que Donne prétend formuler les émotions et les problèmes qui le touchent, avec leur complexité et leurs contradictions.

« lyrisme érotique intense et subtil inspiré par des sentiments qui vont de l'affection la plus brûlante au cynisme le plus impitoyable; la sensualité y alterne avec la spiritualité, l'ironie avec la tendresse, la sérénité avec le tourment, la douceur avec la brutalité; mais ils sont toujours cérébraux et pas­ sionnés à la fois.

Le thème de la Mort y revient souvent, ainsi que l'aspiration déçue des âmes qui veulent s'unir mais que sépare la barrière des corps.

Après son mariage et son expulsion, Donne vécut d'expédients sans trouver de situation stable, mais soutenu par des amis généreux.

C'est probablement vers 161 l-1612 qu'il écrivit les deux poèmes intitulés Anniversaries, les deux seuls qu'on puisse qualifier de métaphysiques au sens habituel du mot, où il essaie de concilier, sans y réussir, les nouvelles hypothèses sur l'Homme et la Nature ave~ les conceptions tradition­ nelles dérivées de la scolastique où l'enfermait son conformisme anglican.

En 1615, il accepta de recevoir les Ordres à la demande pressante du roi Jacques Jer, qui avait une profonde admira­ tion pour son intelligence et sa piété.

Il se trouvait, à partir de ce moment, assuré du nécessaire pour nourrir les cinq enfants qui lui restaient après qu'il en eût perdu sept.

Deux ans plus tard sa femme mourut et l'affiiction inspira à Donne le plus beau de ses poèmes : A Nocturnal upon St Lucy's day.

Il s'absorba de plus en plus dans l'étude de la religion et la pratique de la sainteté, se confinant dans une vie ascétique et retirée du monde.

Il fut nommé Dean (doyen) de Saint-Paul par le roi, puis vicar de Saint-Dunstan; il devint un prédicateur célèbre, et dans le recueil de Sermons qui fut publié après sa mort on trouve autant de subtilité intellectuelle et de passion que dans sa poésie, avec les mêmes rythmes syncopés et formules à l'emporte-pièce.

Un autre écrit de cette époque, Dévotions ( 1624), révèle aussi sa spiritualité, mais sans doute est-ce dans les Holy Sonnets ou Sonnets Sacrés que sa vie intérieure s'exprime avec le plus de vérité.

La technique poétique y est aussi parfaite que dans les élégies profanes et la sensibilité inquiète n'a pas changé mais s'est transposée sur le plan religieux.

Ces sonnets sont imprégnés d'une spiritualité augustinienne influencée par le protestantisme, c'est-à-dire d'une théologie du rachat, de la substitution et de la justice imputée, qui met le Christ crucifié à l'avant-plan plutôt que le Christ Logos et Esprit de Vaughan et de Traherne.

La « Peur » est un des thèmes dominants des Holy Sonnets : peur de la mort, liée à la peur du péché, de la réprobation divine et de l'enfer; Donne n'a aucune certitude de la Grâce et lorsqu'il affirme son assurance d'être sauvé, c'est comme un homme qui parlerait très haut pour ne pas entendre le bruit qui l'inquiète.

Sa vie religieuse reste égocentrique et jamais il ne s'abandonne à Dieu, comme les mystiques véritables, pour se laisser emporter par lui.

Alors que son âme savait se reposer dans celle de la femme qu'il aimait, elle ne réussit pas à trouver la paix dans le sein de Dieu, à y perdre le contact avec le temps, le péché, les contingences et le Moi.

Les vrais poèmes d'extase sont à chercher dans la partie profane de son œuvre.

Ceci dit, malgré sa crainte de la mort, ses dernières années furent paisibles.

Izaak Walton, dans ses Lives, nous raconte comment il se fit faire son dernier portrait, vêtu d'un linceul, et comment il s'étei­ gnit paisiblement, entouré de ses amis et leur adressant des paroles d'espérance.

Donne fut un homme divisé et le resta toute sa vie.

Il fut partagé entre son intérêt pour la science moder,ne et sa fidélité aux schèmes de pensée médiévaux; il oscillait entre deux visions du monde : celle de l'unité cosmique et celle du désordre et de la désagrégation; son amour du monde sensible et de la gloire se heurtait à son aspiration vers l'Esprit; il était partagé entre la confiance en Dieu et la crainte de la mort, la certitude d'être sauvé et la terreur d'être damné.

C'était un homme qui avait peur de la vie et de lui-même, qui doutait et n'osait aller au bout de son doute.

Cette division intérieure et cette insécurité expliquent en partie le caractère tourmenté, nerveux, on pourrait presque dire cyclothymique de sa poésie, l'érotisme parfois morbide des premières œuvres et la complaisance un peu masochiste des sonnets religieux pour les aspects sanglants et effrayants de la Passion et de la Rédemption.

Mais sans cette tension intérieure continuelle aurions-nous les rythmes ensorcelants et les images fulgurantes qui courent à travers toute sa poésie? Le remarquable technicien que fut Donne s'est toujours livré tout entier dans son œuvre et ses poèmes sont pétris de chair et de sang; c'est pourquoi son message est apparu si valable en notre époque tourmentée alors qu'il a été renié en des siècles plus sereins.

Depuis que T.S.

Eliot a rappelé Donne à l'attention des hommes, il a retrouvé sa place, celle du plus grand poète anglais de son siècle, après Miltoa.

DOMINIQUE DE GRUNNE 129. »

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