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Jules RENARD « Le cygne », Histoires naturelles.

Publié le 17/01/2022

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Jules RENARD « Le cygne », Histoires naturelles. II glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage. Car il n'a faim que des nuages floconneux qu'il voit naître, bouger et se perdre dans l'eau. C'est l'un d'eux qu'il désire. Il le vise du bec et il plonge tout à coup son col vêtu de neige. Puis, tel un bras de femme sort d'une manche, il le retire, il n'a rien. Il regarde : les nuages effarouchés ont disparu. Il ne reste qu'un instant désabusé, car les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l'eau, en voici un qui se reforme. Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame et s'approche. Il s'épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu'il mourra, victime de cette illusion, avant d'attraper un seul morceau de nuage. Mais qu'est-ce que je dis ? Chaque fois qu'il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et ramène un ver. Il engraisse comme une oie. • « Le Cygne », dixième poème en prose des Histoires Naturelles de Jules Renard (première édition en 1896), clôt la première section sur la basse-cour. • L'oeuvre fait référence à Buffon qui fut un maître d'observation pour le poète. L'oiseau est ici en effet évoqué de manière très précise et vraie. • Pourtant, le texte nous invite à mettre à distance le charme poétique même de l'anecdote. « Le cygne » s'offre ainsi comme un exercice de style qui vient en contre-point d'une longue tradition et propose une vision parodique de cet animal mythique. • D'où les pistes d'étude suivantes : 1. Une anecdote poétisée 2. L'ironie du poète

« • Nous avons une anecdote dans laquelle l'auteur se laisse d'abord fasciner par la majesté traditionnelle du cygneavant de se reprendre par la question : « Mais qu'est-ce que je dis? (l.

14).— La structure est éclairante.

Le poème se décompose en deux temps : la quête du cygne et le retour à la réalitéqui réinterprète les éléments précédents.

Le cygne se promène ainsi sur un modeste « bassin » au lieu d'un lac.— La chute du texte établit un constat prosaïque : le cygne n'est qu'une oie gourmande.

La fin éclaire d'un jourironique l'autre faim, celle de l'oiseau pour les nuages.

La brièveté de la formule contraste avec le rythme glissant dela première partie du texte : « Il engraisse comme une oie » (l.

16) (voir le texte des Histoires naturelles intitulé «L'oie »).— Le retour au prosaïsme donne un sens plein à l'appellation de poème en prose : c'est à la fois un texte d'images,de rythmes, de sonorités, mais aussi de réalité.• La désillusion : c'est le refus de l'illusion dont semble être victime le cygne lui-même : la quête de la beauté, del'ineffable que sont les nuages.

Le poète exerce contre lui-même son ironie puisqu'il a été capable, un moment, decroire au cygne mangeur de nuages.— Le caractère de magie à laquelle on ne doit pas se laisser prendre, apparaît dans l'étape du cou qui ressort del'eau, sans rien, comme le bras de l'illusionniste qui ne réussirait pas à faire sortir du chapeau quelque vaporeuxfoulard. 2.

La perversion du sérieux• Buffon : le titre des Histoires naturelles est le pluriel de celui de l'ouvrage de Buffon : Histoire naturelle.

MaisRenard prend le contre-pied de son modèle qui déclarait que le cygne est « supérieur en tout à l'oie » et sait « seprocurer une nourriture plus délicate et moins commune ».

Toute noblesse est déniée à ce cygne qui ne vaut pasmieux que l'oie.• La tradition poétique : Les sonorités fluides, comme l'allitération en [s] au début du texte, se transforment : ellesdeviennent dodues, en [r] (l.

15-16).— C'est un refus en réalité de « faire littéraire » : le cygne, animal favori de la littérature et de la mythologie, oiseaud'Apollon (dieu de la poésie), est aussi, par sa couleur, l'expression de la pureté.

Or ici, le beau sujet devientobservation sans complaisance d'attitudes purement animales : « chaque fois qu'il plonge...

ramène un ver » (l.

15-16).— A noter le ton parodique de « L'Étranger », poème en prose de Baudelaire : « J'aime les nuages qui passent...

lesnuages qui passent...

là-bas...

là-bas...

les merveilleux nuages.

» Conclusion • Renard voulait une poétique « en morceaux, en petits morceaux, en tout petits morceaux ».

Ce texte, court,composé par petites touches, semble d'abord pousser l'observation jusqu'à la préciosité.• Mais l'humour du poète nous ramène au maillon réel d'un bestiaire qui sait distinguer rêverie poétique et spécificitéauthentique d'un animal.• La structure du recueil, qui commence sur l'ouverture de la chasse et se clôt sur sa fermeture, fait du poète unchasseur...

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