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LA FONTAINE ET LE SECOND RECUEIL DE FABLES

Publié le 23/06/2011

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Le 29 juillet 1677, La Fontaine prenait un privilège pour une nouvelle édition illustrée de ses fables en 4 tomes in-12. Les deux premiers reproduisent les six livres de 1668 ; les deux autres, datés l'un de 1678, l'autre de 1679, contiennent cinq livres nouveaux, numérotés I et II pour le troisième tome, III à V pour le quatrième : ce sont les livres VII à XI des éditions modernes. Les huit fables de 1671 reparaissent, dispersées, dans les trois premiers livres de cette seconde série. Dans l'avertissement placé en tête des deux tomes inédits La Fontaine déclare qu'ayant puisé cette fois à des sources nouvelles, parmi lesquelles il cite « Pilpay, sage indien «, il a donné à ses récits « un air et un tour un peu différent « : il y a semé moins de « traits familiers « et a dû chercher, en récompense, « d'autres enrichissements « ; en particulier il a « étendu davantage les circonstances de ces récits, qui d'ailleurs, ajoute-t-il, me semblaient le demander de la sorte «. Dans les Œuvres posthumes de Maucroix, publiées par d'Olivet en 1710 avec tant de désinvolture, on lit une lettre adressée, le 30 mars 1704, à un jésuite (peut-être d'Olivet lui-même), dans laquelle le chanoine déclare ne trouver « nulle différence « entre les deux recueils : « Je crois, dit-il, que notre ami n'a pas trop pesé ses paroles en cette occasion «. Si cette lettre est authentique, c'est à nous de ne pas comprendre.

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« Pilpay ne lui en impose pas davantage : Cette fableProuve assez bien ce point ; mais à la voir de près,Quelque peu de sophisme entre parmi ses traits. Dans la méditation qui fait suite au Songe d'un habitant du Mogol, il n'emprunte quelques vers aux Géorgiques quepour « en détourner le sens », comme dira Chénier, et les orienter vers une pensée toute sienne.

Virgile, qui veutramener ses compatriotes à la vie rurale, proclame que le sort de l'agriculteur est le plus enviable, après celui dugrand poète.

La Fontaine ne compare pas deux genres d'existence, mais deux genres d'inspiration : s'il ne peut,disciple de Lucrèce, célébrer dans ses vers les mystères du ciel, il se contera de peindre le charme des ruisseaux.Mais, poète astronomique ou bucolique, la solitude lui est nécessaire, loin des cours et des villes.

Le poème, quisemblait du dehors un jeu raffiné d'humaniste, est tout animé par le plus profond des sentiments que La Fontaineporte en lui.Ainsi est-il sans cesse présent dans cette oeuvre dont la matière est étrangère.

Il nous livre, chemin faisant, sesidées, mais aussi ses souvenirs et ses rêves.

Comme Montaigne, il semble parfois ne rapporter ses lectures que pourse peindre par ce détour.

Une fable d'Abstemius lui fournit le point de départ d'une méditation personnelle sur lamort.

Esope dans L'Orateur Démade condamne durement les insensés qui se détournent des affaires sérieuses pourécouter de vaines fables.

La Fontaine, qui lui emprunte l'anecdote, prend exactement le contre-pied de cette banalesagesse ; loin de blâmer la frivolité des hommes, il confesse la sienne et se refuse à rougir d'une légèreté qui estpeut-être l'un des secrets du bonheur :Nous sommes tous d'Athène en ce point, et moi-même...La conclusion du Pot au lait est plus remarquable encore.

D'un conte qui tendait à ridiculiser les chimères, il tireavec une hardiesse imprévue l'éloge des rêves qui consolent de la vie : Chacun songe en veillant ; il n'est rien de plus doux ;Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes... Il vient de rapporter les malheurs du pigeon à l'« humeur inquiète ».

Voici venu le moment de condamner sa folie ;mais le moraliste ésopique s'efface ; le chant du poète s'élève, du poète qui souffre de sa propre inquiétude et nes'en peut guérir, qui se sent plus incapable, à mesure qu'il vieillit, de fidélité et d'attachement : Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête ?Ai-je passé le temps d'aimer ? Ainsi bien des fables de notre recueil ne sont-elles plus des fables.

Les deux Pigeons sont une élégie, Tircis etAmarante, une pastorale, Le mal marié, une satire contre les femmes d'un emportement rabelaisien, La Fille, unconte narquois et attendri, Le Berger et le roi, un conte édifiant, Les Souhaits, un conte de fées, Le Lion, un essaipolitique, La Souris et le Chat-huant, une observation de naturaliste, Le Songe d'un habitant du Mogol, uneméditation poétique, Le Paysan du Danube, un tableau d'histoire.Mais cette diversité chère au poète ne lui fait pas perdre de vue que « l'uniformité de style est la règle la plusétroite que nous ayons ».

Comme dans Psyché, il a dû trouver un « caractère nouveau » qui fût mêlé de tous lesautres et le « réduire dans un juste tempérament ».

De la plus haute poésie à la narration familière, de la philosophieau sens commun, de l'ironie à l'émotion il ménage des transitions insensibles.Il continue à mettre en scène les bêtes de la fable qui ne ressemblent que de loin parfois à celles de la nature : lacouleuvre est « méchante », le hibou est « l'époux de la chouette ».

Voici pourtant une autre nouveauté de notrerecueil.

Le problème des rapports de l'homme et de la bête se pose maintenant à l'esprit de La Fontaine.

Si nouspouvons retrouver dans les animaux notre propre image, n'est-ce pas le signe qu'il existe d'eux à nous une parentéprofonde ? Ne participons-nous pas, tous ensemble, à une nature commune ? L'animal a-t-il une âme raisonnable ?ou seulement une âme corporelle, que l'homme possèderait aussi, comme il possède d'autre part une âme immortelle? La Fontaine soutient et combat tour à tour chacune de ces thèses dans Les Lapins, dans La Sourismétamorphosée en fille, dans Les Souris et le chat-huant, dans le Discours à Mme de La Sablière.

Ces contradictionsmêmes semblent prouver que son esprit, si accueillant et si mobile, nourri de Lucrèce et de l'Evangile, d'Horace et desaint Augustin, n'est pas devenu le prisonnier d'un système.

M.

Jasinski a pu soutenir pourtant, en s'appuyant surdes rapprochements très frappants, que les dernières fables offrent à qui sait les lire un exposé complet de ladoctrine gassendiste.

Il est sûr, du moins, que La Fontaine a lu, directement ou dans l'Abrégé de Bernier, leSyntagma de Gassendi, et qu'il a prêté beaucoup d'attention aux thèses des atomistes et des animistes.

Telleindication légère et donnée en passant, prend un sens précis et profond si on l'interprète à la lumière de cesdoctrines.Mais l'abeille vole de fleur en fleur et fait son miel de toute chose.

Sur cette question, alors si débattue, de l'âmedes bêtes, La Fontaine a consulté, ou à peu près, tout ce qui avait paru en son temps 6.

Elle intéresse son esprit ;elle émeut aussi sa sensibilité.

Car, si l'animal a une âme — quelle qu'en soit d'ailleurs la nature — et si « la plante. »

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