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La peur - Guy de Maupassant, Contes d'angoisse

Publié le 30/03/2011

Extrait du document

maupassant

   Au siècle dernier, le narrateur voyage seul, à pied, en Bretagne. Il fait nuit noire et, dit-il, « peu à peu entrait en moi une appréhension vague ; de quoi ? Je n'en savais rien. Il est des soirs où l'on se sent frôlé par les esprits «.    Le vent, un vent bas soufflant par rafales, faisait siffler les ajoncs autour de moi. Et bien que j'allasse très vite j'avais froid dans les bras et dans les jambes, un vilain froid d'angoisse.    Oh ! comme j'aurais voulu rencontrer quelqu'un, parler à quelqu'un. Il faisait si noir que je distinguais à peine la route, maintenant.    Et tout à coup j'entendis devant moi, très loin, un roulement. Je pensai : « Tiens, une voiture. « Puis je n'entendis plus rien.    Au bout d'une minute je perçus distinctement le même bruit, plus proche.    Je ne voyais aucune lumière cependant ; mais je me dis : « Ils n'ont pas de lanterne. Quoi d'étonnant dans ce pays sauvage ! «    Le bruit s'arrêta encore, puis reprit. Il était trop grêle pour que ce fût une charrette ; et je n'entendais point d'ailleurs le trot du cheval, ce qui m'étonnait, car la nuit était calme.    Je cherchais : « Qu'est-ce que cela ? « Il approchait toujours ; et brusquement une crainte confuse, stupide, incompréhensible me saisit. — Qu'est-ce que cela ?    Il approchait très vite, très vite ! Certes, je n'entendais rien qu'une roue — aucun battement de fers ou de pieds — rien. — Qu'était-ce que cela?    Il était tout près, tout près. Je me jetai dans un fossé par un mouvement de peur instinctive, et je vis passer, contre moi, une brouette, qui courait... toute seule, personne ne la poussant... Oui... une brouette... toute seule !...    Mon cœur se mit à bondir si violemment que je m'affaissai sur l'herbe, et j'écoutais le roulement de la roue qui s'éloignait, qui s'en allait vers la mer. Et je n'osais plus me lever, ni marcher, ni faire un mouvement ; car si elle était revenue, si elle m'avait poursuivi, je serais mort de terreur.    Je fus longtemps à me remettre, bien longtemps. Et je fis le reste du chemin avec une telle angoisse dans l'âme que le moindre bruit me coupait l'haleine.    Est-ce bête, dites ? mais quelle peur !    En y réfléchissant, plus tard, j'ai compris ; un enfant, nu-pieds, la menait sans doute, cette brouette ; et moi, j'ai cherché la tête d'un homme à la hauteur ordinaire ! Comprenez-vous cela... quand on a déjà dans l'esprit un frisson de surnaturel... une brouette qui court... toute seule!... quelle peur!    Guy de Maupassant, Contes d'angoisse.    Vous ferez de ce récit un commentaire composé. Vous pourrez, en particulier, analyser les procédés d'écriture qui font vivre au lecteur l'angoisse du personnage.   

maupassant

« Le cadre de cette aventure nocturne est propice à l'épanouissement de la peur.

Le narrateur voyage seul enBretagne, contrée peu touristique à l'époque, arriérée sans doute comme le fait supposer la phrase relative auxlanternes : « Ils n'ont pas de lanterne.

Quoi d'étonnant dans ce pays sauvage.

» C'est donc une nuit noire, sansclair de lune : « Il faisait si noir que je distinguais à peine la route maintenant.

Le vent ne fait qu'ajouter à l'hostilitéde la nature.

» « Le vent, un vent bas soufflant par rafales, faisait siffler les ajoncs autour de moi.

» La solitude rend cette marche nocturne effrayante avant même l'arrivée de la brouette et explique l'état d'esprit dunarrateur.

Seul dans ce paysage hostile, dans une province au folklore riche en phénomènes surnaturels, encréatures mystérieuses, il est mûr pour toutes les terreurs : « Il est des soirs où l'on se sent frôlé par les esprits.

»Le besoin de communiquer, fût-ce à n'importe qui, est intense : « Oh ! comme j'aurais voulu rencontrer quelqu'un,parler à quelqu'un.

» Retrouver un autre individu permettrait de conjurer la peur qui s'installe et d'interprétercalmement et rationnellement les signes mystérieux.

Même après le dénouement, le besoin de partager demeure cequi explique la forme du récit et particulièrement les appels au lecteur : « est-ce bête, dites ? Mais quelle peur ! »et « comprenez-vous cela...

quand on a déjà dans l'esprit un frisson de surnaturel ».

La solitude explique égalementle monologue intérieur qui rythme la narration.

Se parler permet de rompre un peu la solitude et de reprendrepartiellement ses esprits : « Je me dis...

je cherchais.

Qu'est-ce que cela ? » La peur est d'autant plus grande que le phénomène est inexplicable selon la logique habituelle.

Maupassant analyseprécisément les étapes de son raisonnement, les réfute une à une pour démontrer dans un premier temps que seul lesurnaturel est plausible.

Rapidement ensuite, dans la conclusion, il donne une explication logique dont nousanalyserons plus tard le bien-fondé et l'impact dans la nouvelle.

Le plus important est de laisser le champ libre aufantastique.

Le narrateur entend d'abord un bruit de roulement, celui d'une voiture, pense-t-il.

Le bruit lui-même nerépond pas à l'attente.

Sa perception est inégale : « J'entendis devant moi, très loin un roulement »...

« puis jen'entends plus rien »...

« je perçus distinctement le même bruit »...

« le bruit s'arrêta puis reprit »...

« il approchaittoujours »...

A ces irrégularités s'ajoute le fait que l'on ignore l'origine du bruit.

Le narrateur, en bonne logique,réfute les différentes hypothèses.

Ce n'est pas une voiture, car il n'y a pas de lanterne; pas une charrette car lebruit est « trop grêle », pas un véhicule tracté par un cheval « et je n'entendais point d'ailleurs le galop du cheval,ce qui m'étonnait car la nuit était calme ».

Cependant le bruit en s'intensifiant montre que le véhicule avance, mûpar quelle force ? Ni animale, ni humaine apparemment : « aucun battement de fers ou de pieds — rien ».

Dès lors,le narrateur et le lecteur sont prêts à accepter le surnaturel, c'est-à-dire une brouette avançant seule et peut-êtredotée d'intentions maléfiques comme le souligne cette supposition terrorisée : « car si elle était revenue, si ellem'avait poursuivi, je serais mort de terreur ». En faisant revivre au lecteur son aventure avec la même chronologie, le narrateur permet au climat de peur des'épanouir pleinement.

Cette mise en condition par le cadre, l'insupportable solitude et la perte des repères logiquesnous font vivre l'angoisse du héros.

Quels sont les procédés utilisés ? Maupassant recourt à différentes techniques pour faire partager au lecteur sa peur.

Parmi les principales, nousétudierons l'économie générale du texte, l'analyse objective, quasi clinique de ses différents sentiments etimpressions et enfin nous nous interrogerons sur la valeur de l'explication finale. L'économie générale du texte montre que la nouvelle est entièrement tournée vers l'évocation de la peur et sacomplète résurrection dans l'esprit du lecteur. Ainsi les lignes précédant l'extrait mettent en condition le lecteur, le préparant simultanément à un climat d'angoisseet de surnaturel, donc à accepter la vision aberrante de la brouette fantastique.

Le texte lui-même réserve une partsans commune mesure à l'évocation de la peur et du phénomène surnaturel par rapport à l'explication rationnellelimitée à un seul paragraphe et même à une seule phrase : « En y réfléchissant, plus tard, j'ai compris : un enfant,nu-pieds, la menait sans doute, cette brouette ; et moi j'ai cherché la tête d'un homme à la hauteur ordinaire ! »L'ordre enfin du récit va du surnaturel au rationnel.

Le narrateur se garde bien de dévoiler la solution de l'énigme, lelecteur vit donc exactement comme le narrateur cette nuit d'angoisse. Maupassant pour mieux faire partager et revivre ses terreurs recourt à une analyse précise, objective et minutieusequi, par inadéquation avec le phénomène surnaturel, est d'autant plus effrayante.

Le texte est composé deparagraphes très courts (le plus long ne compte que quatre lignes et le plus bref une demi-ligne : « Est-ce bête,dites? Mais quelle peur! ») Chaque paragraphe correspond à une constatation ou à une observation et le passage àun nouvel alinéa indique un nouveau degré dans l'inexplicable et par conséquent dans la peur.

Les principales étapessont à partir du troisième paragraphe la perception du bruit, la distance, la lumière, la difficulté pour l'identifier, lapanique, la distance et enfin la vision fantastique de la brouette.

Cette objectivité est renforcée par l'emploi denombreux adverbes de temps, qui telle la musique dans le film d'angoisse, rythme la peur du lecteur : « Et tout àcoup, au bout d'une minute, et brusquement...

» L'occurrence de termes logiques contribue à créer un climat depanique car le raisonnement que tient le narrateur est en totale discordance avec le spectacle qu'il voit.

Or cedécalage est également ressenti par le lecteur puisqu'il ignore le dénouement et qu'il éprouve la même impuissancepanique à comprendre ce qui lui est raconté : « Je ne voyais aucune lumière cependant; mais je me dis (...), il étaittrop grêle pour que ce fut une charrette et je n'entendais point d'ailleurs le trot du cheval (...) Certes, jen'entendais rien qu'une roue »...

Les répétitions obsédantes traduisent la peur du narrateur, tout d'abord lalancinante question « qu'est-ce que cela ? » (répétée trois fois), puis l'inexplicable : « une brouette qui courait...toute seule, personne ne la poussant...

Oui...

une brouette...

toute seule (...) une brouette qui court...

touteseule!...

». »

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