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La poésie et les rôles que le lecteur peut lui assigner

Publié le 07/02/2012

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C'est un lieu commun d'affirmer que la poésie, tant par sa forme mêlant contraintes et libertés que par les thèmes qu'elle aborde, est le genre privilégié de la rêverie et du voyage. Dans l'imagerie populaire, le poète est un vagabond, indifférent au mouvement du monde réel, et la poésie se préoccupe du beau, mais pas du vrai. Pour autant, le lecteur attend-il de la poésie qu'elle le fasse voyager, découvrir autre chose que l'univers qui l'entoure au quotidien ? Poser cette question revient à se demander si la poésie a pour unique vocation de nous éloigner du réel. Nous verrons d'abord que la poésie peut être une forme d'évasion. Nous montrerons ensuite que son regard singulier sur le monde peut cependant nous inviter à découvrir ou redécouvrir la banalité de l'univers qui nous entoure. Nous nous demanderons enfin si elle n'est pas, en soi, une forme de voyage.

« Ponge dans Proêmes , « à propos de n'importe quoi non seulement tout n'est pas dit, mais à peu près tout reste à dire ».

En décrivant ces objets, le poète porte cependant un regard neuf sur eux et leur donne une dimension inattendue ; ainsi, le pain évoque « les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes ».

La comparaison poétique permet alors de redécouvrir le pain.

La réalité de l'objet est bien exprimée mais en même temps dépassée ; le lecteur s'évade de son quotidien à travers la nouvelle perspective offerte par le poète.

Apollinaire affirme ainsi qu'« on peut partir d'un fait quotidien : un mouchoir qui tombe peut être pour le poète le levier avec lequel il soulèvera tout un univers ».

Dès lors, le lecteur devient une sorte de « voyageur immobile » : il ne cherche pas forcément une évasion géographique, mais un voyage dans l'espace même du texte poétique. En effet, quel que soit le thème choisi, la poésie n'a pas une vocation purement descriptive ou documentaire.

La dimension dans laquelle elle immerge le lecteur est propre au texte lui-même, à sa structure, aux réseaux lexicaux qui l'irriguent, aux échos sonores : bref, au « bruissement » de la langue.

Ce qui anime la chose évoquée, c'est le mot – « matériau » du poème, qui ne renvoie pas à la réalité de cette chose, comme l'illustre à sa manière Mallarmé : « Je dis : une fleur ! et, hors de l'oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d'autre que les calice sus, musicalement se lève, idée même et suave, l'absente de tous bouquets.

» L'émotion poétique relève donc moins du caractère réaliste ou non du thème développé que d'une vibration, d'une sensation partagée entre le poète et le lecteur, même si la réalité du monde ne peut être étrangère à l'univers poétique, même si, comme l'indique Éluard dans un article intitulé « La poésie de circonstance », le monde réel doit « imbib[er] la tête du poète », sous peine de ne « restituer au monde qu'abstraction et confusion, rêves informes et croyances absurdes ».

Le poète, sans renier le réel, peut cependant le recréer. Si l'on en revient à l'étymologie du terme « poésie », du grec poiein : créateur, on comprend alors que l'on peut attendre de ce genre qu'il soit une véritable recréation du monde.

La poésie offre une vision du monde qui dépasse une simple retranscription de la réalité.

Dès lors, l'exotisme n'est pas nécessaire au voyage et, par « l'Alchimie du verbe » poétique, le lecteur découvre une réalité transcendée, fruit d'une relation mystérieuse entre le poète et le monde.

Ainsi Rimbaud, dans les Illuminations , offre des visions fulgurantes et énigmatiques.

Dans son poème en prose intitulé « Les ponts », il mêle des détails réalistes – « des mâts, des signaux » – à des expressions déroutantes, vagues ou incertaines, telles qu'« un ciel gris de cristal ».

À mi-chemin entre la description réaliste et une représentation fantastique ou fantasmée du monde, de tels poèmes installent le lecteur dans une stimulante « hésitation », qui constitue l'espace singulier de la poésie.

Le poète peut même proposer au lecteur de dépasser cette incertitude entre l'ancrage réaliste et le fantastique. La poésie, ainsi, a partie liée avec le voyage et l'évasion.

Qu'elle soit reflet d'une fascination pour la conquête ou recherche de l'exotisme, la forme poétique est à même de satisfaire l'aspiration de tout être à fuir la pesanteur de la réalité.

Le poète peut cependant nous offrir d'autres formes de voyage, en nous invitant à considérer la part de mythologie et de merveilleux contenue dans un quotidien « nettoyé » de sa banalité, ou en nous faisant naviguer dans l'univers singulier de ses mots et de ses délires.

Finalement, la poésie est, par essence, l'écriture du voyage, puisqu'elle est le voyage : le monde qu'elle se propose d'évoquer plonge le lecteur dans un univers qui n'est jamais le sien et qu'il lui appartient de s'approprier.. »

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