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L'Albatros de BAUDELAIRE

Publié le 17/01/2022

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baudelaire
Ce parcours nous permet de reconstituer les étapes d'une évolution de la création poétique ponctuant les moments d'une inspiration qui puise chaque fois dans une expérience vécue et dans un terreau conceptuel en perpétuelle transformation. L'oeuvre apparaît donc comme le fruit d'un cheminement intérieur dont nous ne percevons que les résurgences. La genèse de « L'Albatros » confirme la nature fugace et mobile d'une poésie qui, à partir de Baudelaire, cherche à sortir des limites qui lui étaient traditionnellement fixées pour devenir ce qu'Eliot appelle justement « une forme de la vie », pour faire corps avec l'existence même.


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« justement « une forme de la vie », pour faire corps avec l'existence même. Pourtant, Baudelaire a besoin du langage pour exister.

La poésie suppose avant tout pour lui la foi dans le pouvoirdes mots; sans cette adhésion intuitive à la force magique d'une configuration verbale sans cesse en quête de saforme, l'édifice patiemment construit tomberait en poussière.

Déjà cependant, Baudelaire, par la dimension spirituellequ'il assigne à la poésie, rejette implicitement, en dépit de son engagement en faveur de l'art pour l'art, toutepétrification formelle, toute sacralisation du texte qui serait la négation de cette vie supérieure, de cette altitude àlaquelle, comme le Cygne, comme l'Albatros, il tâche d'accéder, car il sait que là est son territoire, celui d'une patrieperdue. Il faut tenir compte d'une loi de l'organisation poétique qui, par-delà le texte et ses déterminations internes, faitapparaître l'importance des associations engendrées par le contexte. La chute de l'Albatros figurant l'exil du Poète souligne l'inutilité du voyage et la vanité des espoirs que les hommesplacent dans une quête condamnée à rester sans issue : «Amer savoir, celui qu'on tire du voyage! Le monde, monotone et petit, aujourd'hui, Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image: Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui!» Une altérité fondamentale La poursuite horizontale d'un but inaccessible représente la marche de l'homme dans le temps et met en évidence lecaractère illusoire d'un progrès incapable d'apaiser des besoins d'ordre spirituel et métaphysique. Le Poète n'est donc plus l'élu de Dieu comblé d'honneur pour ses dons exceptionnels de voyance prophétique, maisle pitre qui essuie les quolibets et les sarcasmes de la foule.

C'est pourquoi son destin est assimilé à celui de l'oiseautombé dans un milieu étranger et hostile. De même que l'albatros ne peut se mouvoir, s'adapter, parce qu'il est marqué par son appartenance à un autreélément, de même le poète incarne dans le monde contemporain le souvenir d'une autre dimension que les hommesont oubliée, à savoir une verticalité qui introduit entre les deux mondes, aérien et humain, une séparation de nature, non une différence quantitative relevant de l'ordre du temps,mais une altérité fondamentale traduisant l'exclusion d'un lieu originel et par essence intemporel. La détermination d'un point fixe, le navire qui progresse sans fin sur l'océan du temps, s'oppose à l'immensité sanslimite de l'espace d'où provient l'albatros déchu.

Les oscillations entre la chute et l'essor illustrent les balancementsdu mouvement de l'esprit sans trêve partagé entre la foi et le doute. Enfin, on remarquera que la déception apportée par le voyage est l'expression d'une lucidité qui marque une étapesur le chemin de la connaissance de soi.

On retrouve ici le thème du miroir déjà noté dans l'analogie constatée entrel'homme et la mer, dans le poème qui porte ce titre : le voyage a pour fonction d'éveiller l'homme à la conscience desoi, de le révéler à lui-même.

L'illusion du changement ne contribuera qu'à éclairer la morne condition de l'êtreenfermé dans sa cage existentielle, dans son identité, voué à la répétition du même. Seul le retour à une faculté de découverte, d'émerveillement, d'illumination, celle de l'éternité dans l'instant, qui estpeut-être le privilège de l'enfance, arrachera l'homme à ce « désert de l'ennui » et on ne peut attendre cettelibération que de l'envol de l'esprit poétique condamné par la société contemporaine à la solitude et à la dérision. Cette vision, qui se trouvera renforcée par l'insertion d'une nouvelle strophe, procède d'une conception globale dumonde et de l'histoire empreinte de désenchantement, mais aussi d'une conviction intérieure désormais inébranlable,celle de l'accomplissement apocalyptique de la parole jadis proférée sur le Golgotha : « Tout est consommé ! » Arrivé à ce moment de sa vie où il est hanté par le pressentiment de sa fin, Baudelaire décrypte la réalité d'unmonde en déclin à la lumière de son destin personnel, celui d'un poète que son don de mémoire et de voyance adestiné au naufrage. Cette certitude tragique qui lui fait porter sur l'Histoire un regard clairvoyant et désabusé est le fruit d'un lentmûrissement intérieur qui l'a amené à comprendre et à accepter le sens de sa propre existence en inscrivant celle-cidans l'ensemble d'une réalité qui le nie, car la force de conviction, de vocation et de fidélité à laquelle obéit le poètele pousse à contre-courant de ces transformations qu'il observe avec effroi et nostalgie dans le monde qui l'entoure,où il vit. Dans cette perspective et dans son ultime version, « L'Albatros » introduit un recul supplémentaire, celui de l'exil dupoète, non seulement par rapport à son environnement, mais par rapport à lui-même, tel qu'il se voit sur le fond desdestructions opérées par le temps.. »

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