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LARBAUD Valéry : sa vie et son oeuvre

Publié le 10/01/2019

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LARBAUD Valéry (1881-1957). «Un petit oublié du commencement du XXe siècle », c’est ainsi que Larbaud se définit lui-même, et l'histoire littéraire lui a, en partie, donné raison.

 

Une œuvre personnelle relativement mince, étroitement liée aux événements de sa vie, une voix secrète et retenue devaient naturellement souffrir de l’écrasant voisinage d’écrivains à l’envergure plus vaste ou au souffle plus puissant. Larbaud n’a pas trouvé sa place parmi les « grands » du début du XXe siècle; Gide, Valéry, Claudel ou Saint-John Perse, dont il fut l'ami et le compagnon littéraire. Avant que la maladie ne le condamne à un oubli prématuré, des absences prolongées hors de France, un souci constant de garder ses distances l'avaient déjà, de son vivant, maintenu dans une situation marginale à demi consentie.

 

Ses abondants travaux de traducteur et de critique lui valent une notoriété à l’étranger, mais le relèguent encore au rang second de découvreur dépassé par ses découvertes et de pionnier victime de son enthousiasme pour des œuvres rares qui n'intéressent que des spécialistes. La célébrité de Joyce a occulté le nom de son introducteur en France; Landor et Butler, auxquels il consacra des années de sa vie, n’ont pas fait plus pour sa renommée que Levet, Gomez de la Sema, Svevo ou Dondcy de Santeny. Paradoxale et injuste destinée d’un lecteur à la curiosité insatiable, ouvert aux littératures de toutes langues et animé d’une foi de prosélyte qui fut sans doute sa fondamentale vocation.

 

On semble le redécouvrir aujourd’hui, en France, comme l’un des témoins privilégiés d’une époque qui resurgit à tous les détours de la mode : au moment où disparaît l’Orient-Express, sa légende de voyageur cosmopolite alimente la nostalgie des palaces et des wagons-lits. Mais son nom a trouvé aussi une place dans des études consacrées à la mutation du genre romanesque : l’écrivain dont on vantait surtout la « délicatesse » est reconnu, timidement, comme un novateur. Le titre d’« amateur » qu’il s’est donné a facilement entretenu à son sujet le soupçon de dilettantisme, mais, dans l’acception généreuse que Larbaud lui prête, ce mot a gouverné avec force sa vie et son œuvre de romancier et de critique.

 

Un riche amateur

 

Né de l'union tardive de Nicolas Larbaud et d'Isabelle Bureau des Estiveaux, Valéry est l’héritier attendu d’une fortune et d’une position sociale. Son père, pharmacien à Vichy, a conquis aisance et notoriété par la découverte et l’exploitation de la source Saint-Yorre, dont il est devenu propriétaire après dix ans de luttes judiciaires. Son grand-père maternel, d’une famille terrienne de vieille souche bourbonnaise, jouit d’un prestige que lui valent son autorité d’avocat et son passé politique : ardent républicain, il a dû s’exiler à Genève après le coup d’État du 2 décembre 1851.

 

Comblé dès sa naissance de ces biens qui favorisent, en province surtout, l'entrée dans la vie, la richesse et l’établissement, l’enfant est cependant immédiatement menacé par une santé fragile. L'existence de Larbaud sera une longue suite de maladies jusqu'à l'attaque d’hémiplégie de 1935 qui l’enfermera tragiquement dans une survie de vingt années. Cette « lutte patiente du côté de l’ombre » entretient en lui l’habitude et le goût de la solitude, la familiarité avec l’idée de la mort et donne à certaines de ses pages leur accent particulier : gravité mélancolique, désinvolture pudique, ferveur hédoniste retenue.

 

La disparition de son père quand il a huit ans le livre à l’affection étouffante d'une mère tyrannique. L’étroite surveillance qu'elle exerce sur les études, les amours, les voyages de son fils, la limitation de ses revenus qu’elle lui impose à sa majorité maintiennent celui-ci sous sa dépendance jusqu'en 1930. Image de la rigueur protestante, elle détermine sans doute la conversion de Valéry au catholicisme en 1910. Incarnation de la respectabilité bourgeoise, elle suscite chez le jeune homme des réactions d’opposition, sensibles dans ses œuvres : dandysme provocateur, haine de la province, symbole de sclérose et de petitesse; sentiment de la malédiction de la richesse.

 

Le cosmopolitisme de Larbaud, à quoi on l’a souvent réduit, est donc d’abord aspiration à la liberté. Avide d’espace, de mobilité, curieux de tout, il ne connaît pas cependant la fébrilité gidienne. Toute la vie de Larbaud est jalonnée de voyages : à dix-sept ans, il a fait — concession à la mode du temps — son « tour d'Europe », qui l’a mené, émerveillé, en Russie et à Constantinople; à vingt ans, il est le « citoyen des wagons-lits », riche des images des pays et des grandes villes d’Europe; quelques mois avant sa dernière maladie, il va du Bourbonnais en Albanie, en traversant l’Italie. Mais il fuit, en quête de refuges : abris d'intimité — en 1905 en Scandinavie, avec « Inga »; à partir de 1922 très souvent en Italie, en compagnie d’Angela Nebbia, qui sera sa compagne jusqu’à sa mort — ou retraites studieuses. Dans les années 1910, il se cache «au cœur de l’Angleterre», absorbé par la fièvre créatrice qui donnera naissance à la plupart de ses œuvres romanesques; en 1912, il se retire à Florence pour achever Barnabooth. Prenant ses distances avec une actualité où il n’a pas sa place — il est réformé —, de 1916 à 1920 il s’installe à Alicante et se consacre à la traduction de Butler. Ce vagabond hanté par le vers de Scève, « Le vain travail de voir divers pays » (titre d'un essai paru en 1927), conjure les risques opposés de sclérose et de dispersion du moi par l’équilibre entre évasion et enracinement — aux refuges étrangers répond la « retirance » réhabilitée dans le Bourbonnais natal — et les exorcise dans son œuvre par une thématique de l’ambiguïté : ivresse de l’espace et amour des « petits états », oscillation entre nonchalance et travail, libertinage et mariage, innovation et tradition.

Autre moyen de libération : le voyage dans les livres. Elève médiocre — mis à part les années heureuses au collège Sainte-Barbe-des-Champs de Fontenay-aux-Roses (le collège Saint-Augustin de Fermina Marquez), Larbaud n’a que dégoût pour la vie des lycées, se fait renvoyer de Louis-le-Grand et conquiert difficilement le baccalauréat à vingt ans —, il n’obéit qu’à sa passion de lecteur et découvre « en cachette » les symbolistes, Rimbaud, Laforgue. Il obtient en 1907 une licence de langues anglais-allemand et entreprend une thèse de doctorat sur les Conversations imaginaires de Walter Savage Landor, qu’il n’achèvera pas. Cette vie d’étudiant attardé est riche d'enthousiasmes divers : littérature américaine, Whitman surtout, Emerson, Thoreau, Hawthorne, littératures espagnole et brésilienne, écrivains français contemporains, Levet, Claudel, Charles-Louis Philippe. C’est aussi une période de création : il termine et publie en 1908 le premier Barnabooth.

 

Car la vocation littéraire, très tôt apparue chez Larbaud (il publie ses premières œuvres, à compte d’auteur, à dix-neuf ans), est pour lui la plus sûre évasion : défi contre son milieu, revanche contre la facilité de la richesse, refus d’une « vie faite d’avance », elle lui permet de s’affirmer dans un choix libre.

 

Ainsi s’éclaire l’ambiguïté volontaire des mots « riche amateur » : le dilettantisme du déclassé qui s’amuse à la littérature est la face déformée de l’amour passionné pour un métier, source de joie et moyen de salut.

 

Les sentiers de la création

 

Ceux-ci se signalent chez Larbaud par une rivalité accusée entre l’œuvre personnelle et le travail de traduction et de critique qui consacrera finalement le triomphe du « bénédictin » sur l’« artiste », selon la distinction de son ami Marcel Ray. Larbaud fait son entrée dans l'édition parisienne en 1901 par deux traductions, la Complainte du vieux marin de Coleridge et un recueil de vieilles chansons anglaises. Avant de se signaler à l’attention d'un cercle littéraire restreint par le premier Barnabooth, il donne au Nouveau Mercure de Buenos Aires un article en espagnol sur « l’influence française dans les littératures de langue espagnole ». Et, en 1911, ses recherches sur Landor aboutissent à la publication de Hautes et Basses Classes en Italie, dans l'intention avouée de faire reconnaître l’écrivain anglais.

 

L’essentiel de son œuvre romanesque paraît avant la Première Guerre mondiale : le premier Barnabooth en 1908; Fermina Mârquez — à qui on refuse le prix Concourt parce que son auteur est trop riche — en 1911; le second Barnabooth en 1913; Enfantines — dont les huit nouvelles ont paru en revues de 1908 à 1914 — en 1918.

 

A partir de 1920, sa production personnelle s’espace — de 1920 à 1923, les trois nouvelles à' Amants, heureux amants; en 1927, Allen et Jaune bleu blanc; en 1938, Aux couleurs de Rome. L’activité de Larbaud pendant cette période se multiplie en « notes » sur des auteurs français ou étrangers, en articles sur la traduction ou le fait littéraire, dont il recueillera l’essentiel pour constituer peu à peu ses livres critiques : Ce vice impuni, la lecture; Domaine anglais (1925); Domaine français (1941); Sous l’invocation de saint Jérôme (1945). Cette espèce de conversion a sans doute été influencée par la longue plongée dans la traduction des livres de Butler de 1915 à 1919, par la découverte de l'Ulysse de Joyce en 1920 et par l’écrasant travail de révision qui aboutit à la publication de cette œuvre en français en 1929; mais, parallèlement à l'effervescence créatrice de ses débuts, Larbaud avait déjà mené une carrière de traducteur et d’introducteur. Surtout, il est l’homme des multiples projets abandonnés ou laissés en attente, des manuscrits détruits, des publications refusées : la genèse de presque

« avec force sa vie et son œuvre de romancier et de critique.

Un riche amateur Né de J'union tardive de Nicolas Larbaud et d'Isabelle Bureau des Estiveaux, Valery est l'héritier attendu d'une fortune et d'une position sociale.

Son père, pharmacien à Vichy, a conquis aisance et notoriété par la découverte et 1 'exploitation de la source Saint-Yorre, dont il est devenu propriétaire après dix ans de luttes judiciaires.

Son grand-père maternel, d'une famille terrienne de vieille souche bourbonnaise, jouit d'un prestige que lui valent son autorité d'avocat et son passé politique : ardent républicain, il a dû s'exiler à Genève après le coup d'État du 2 décembre 1851.

Comblé dès sa naissance de ces biens qui favorisent, en province surtout, 1 'entrée dans la vie, la richesse et l'établissement, l'enfant est cependant immédiatement menacé par une santé fragile.

L'existence de Larbaud sera une longue suite de maladies jusqu'à l'attaque d'hémiplégie de 1935 qui 1' enfermera tragiquement dans une survie de vingt années.

Cette « lutte patiente du côté de l'ombre» entretient en lui l'habitude et le goût de la solitude, la familiarité avec l'idée de la mort et donne à certaines de ses pages leur accent particulier : gravité mélancolique, désinvolture pudique, ferveur hédoniste retenue.

La disparition de son père quand il a huit ans le livre à 1 'affection étouffante d'une mère tyrannique.

L'étroite surveillance qu ·elle exerce sur les études.

les amours, les voyages de son fils, la limitation de ses revenus qu'elle lui impose à sa majorité maintiennent celui-ci sous sa dépendance jusqu'en 1930.

Image de la rigueur protes­ tante, elle détermine sans doute la conversion de Valery au catholicisme en 1910.

Incarnation de la respectabilité bourgeoise, elle suscite chez Je jeune homme des réac­ tions d'opposition, sensibles dans ses œuvres : dandysme provocateur, haine de la province, symbole de sclérose et de petitesse; sentiment de la malédiction de la richesse.

Le cosmopolitisme de Larbaud, à quoi on J'a souvent réduit, est donc d'abord aspiration à la liberté.

Avide d'espace, de mobilité, curieux de tout, il ne connaît pas cependant la fébrilité gidienne.

Toute la vie de Larbaud est jalonnée de voyages : à dix-sept ans, il a fait - concession à la mode du temps -son« tour d'Europe », qui l'a mené, émerveillé, en Russie et à Constantinople; à vingt ans, il est le «citoyen des wagons-lits >>,riche des images des pays et des grandes villes d'Europe; quelque mois avant sa dernière maladie, il va du Bourbonnais en Albanie, en traversant l'Italie.

Mais il fuit, en quête de refuges : abris d'intimité -en 1905 en Scandinavie, avec. »

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