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L'AUTOBIOGRAPHIE EN LITTERATURE

Publié le 16/11/2018

Extrait du document

Le concept

 

Cerner l’autobiographie est chose peu aisée, car si la matière paraît aller de soi — nul terme n’est étymologiquement plus explicite —, les points d’appui font singulièrement défaut pour en préciser les limites. De plus, la confusion du substantif et de l’adjectif dérivé est à l’origine d’un manque de rigueur dans l’approche d’un genre considéré plus souvent comme un entassement de matériaux thématiques que comme une forme authentique. De sorte que si l’autobiographie s’est trouvée au carrefour de sciences humaines telles que la philosophie et l’histoire (avec toutes les questions afférentes à la notion de personne et à son évolution), la psychanalyse (qui a posé le problème à partir de l’expérience de dévoilement du sujet) ou la psychologie (qui situe le projet autobiographique sur l’axe moral vérité-mensonge), ce n’est que tout récemment qu’elle est devenue l’objet d’investigations littéraires visant à la doter, comme tout genre, de lois constitutives.

Auteur, narrateur, héros ou les multiples voix du « je »

Définir l’autobiographie comme « la relation écrite de sa propre vie dans ce qu’elle a de plus personnel », c’est paraphraser l’étymon sans pour autant lever les ambiguïtés. Bien au contraire. En effet, rien ne sépare apparemment le début des aventures du célèbre picaro Laza-rillo de Tormès : « Or, sachez, monsieur, avant toutes choses, que mon nom est Lazare de Tormès, fils de Thomas Gonzalez et de Toinon Pérez, naturels de Téjarès, village voisin de Salamanque. Je naquis dans la rivière de Tormès, à raison de quoi me fut imposé mon surnom » (la Vie de Lazarillo de Tormes, 1554), des premières lignes des Confessions de Jean-Jacques Rousseau : « Je suis né en 1712, à Genève, d’Isaac Rousseau, citoyen, et de Suzanne Bernard, citoyenne » (Confessions, 1782). Les deux narrateurs parlent à la première personne, précisent leur origine géographique, confient le nom de leurs parents — et par conséquent le leur — et même leur prénom (qui apparaît, dans le cas de Rousseau, quelques lignes plus bas : « Quand il me disait : “Jean-Jacques, parlons de ta mère”, je lui disais : “Hé bien, mon père, nous allons donc pleurer” »). Similitudes qui s’arrêtent lorsqu’on referme chaque ouvrage; car si le nom du narrateur des Confessions est bien le même que celui qui signe sur la couverture, il n’en va pas ainsi avec le Lazarillo puisque l’ouvrage est anonyme : cet anonymat supprime l’existence de l’auteur, interdit toute relation avec une personne réelle et réduit l’œuvre à n’être qu’une fiction narrative de type romanesque (de même que le Gil Blas de Lesage, malgré son apparence autobiographique, en dissociant le narrateur-héros de l’auteur, constitue avant tout un roman). Dès lors se dévoile une des premières marques distinctives de l’autobiographie : celle-ci suppose non seulement l’identité du narrateur et du héros mais également — et surtout — celle du narrateur et de l’auteur. Autrement dit, l’autobiographie repose sur une relation d’identité entre un élément textuel, le narrateur qui se détermine par sa seule existence linguistique, et un élément extra-textuel, l’auteur, personne humaine socialement déterminée. 11 y a donc là une nécessité qui interdit de considérer comme une autobiographie toute œuvre anonyme menée à la première personne (comment, en effet, prétendre se dire si dès l’abord on masque son propre nom?) et tout récit personnel où l’auteur voile son identité sous divers artifices, allant du manuscrit trouvé (tel Y Adolphe de Benjamin Constant, 1816) au récit à la première personne fait à l’auteur par un alter ego (tel le René de Chateaubriand, 1802). Si l’on peut, dans ce cas, parler d’aspects autobiographiques, comme on peut le faire d’ailleurs sans grande pertinence critique de beaucoup de récits traditionnels menés à la troisième personne, il convient néanmoins de se rappeler que l’autobiographie est avant tout liée à des contraintes génériques dont la conjonction auteur-narrateur-héros détermine la nature :

 

le sujet de l’autobiographie, c’est le héros, et lui seul. Tout autobiographe pourrait faire sien le propos de Montaigne : « Je suis moi-même la matière de mon livre» (Essais, 1580). Tout ce qui interviendra dans le cours de la narration n’existera que par rapport au héros : ainsi Rousseau ne fait-il guère intervenir l’histoire dans ses Confessions, alors que Chateaubriand, mêlé de très près à la vie publique de son époque, construit ses Mémoires en intégrant sa propre existence au mouvement général de la civilisation de son temps. Plus que pour toute autre forme de récit, le narrateur est tenu de focaliser sur son héros et d’adopter son point de vue;

 

mais la conjonction des voix qui fonde l’autobiographie n’est pas une fusion de celles-ci : l’auteur, installé dans le présent, part à la recherche d’un passé où se trouve le héros dont le sépare une double barrière de temps et de savoir. D’où le rôle du narrateur chargé de cette médiation et de cette remontée tout autant que de la dotation rétrospective d’un sens recomposé a posteriori;

AUTOBIOGRAPHIE. Le terme autobiographie apparaît officiellement dans les dictionnaires au milieu du xixe siècle, avec une surprenante définition : « Biographie faite à la main ou manuscrite ». Le sens actuel est accepté par l’Académie en 1856 (avec la mention « néologisme ») et par Littré en 1863.

C’est en Angleterre que la forme autobiography apparaît pour la première fois, en 1809, sous la plume du poète Southey; mais on remarquera que jusqu’en 1848 c’est sous l’appellation de « memoirs » que fut présenté le Poésie et Vérité de Goethe.

Quant à biographie (dont la première occurrence paraît aussi être anglaise, puisque Dryden l’emploie dès 1683), le mot est reçu par le Dictionnaire de Trévoux en 1771 alors que l’Encyclopédie et son supplément de 1776 l’ignorent.

Historiquement donc, autobiographie paraît postérieur de quelques décennies au développement du genre en Europe occidentale (cf. J. Voisine, « Naissance et évolution du terme littéraire “autobiographie” », la Littérature comparée en Europe orientale, Budapest, Akadé-miai Kiadô, 1963, p. 278-286).

« Le concept Cerner 1' autobiographie est chose peu aisée, car si la matière paraît aller de soi - nul terme n'est étymologi­ quement plus explicite- , les points d'appui font singu­ lièrement défaut pour en préciser les limites.

De plus, la confusion du substantif et de l'adjectif dérivé est à l'ori­ gine d'un manque de rigueur dans l'approche d'un genre considéré plus souvent comme un entassement de maté­ riaux thématiques que comme une forme authentique.

De sorte que si l'autobiographie s'est trouvée au carrefour de sciences humaines telles que la philosophie et l'his­ toire (avec toutes les questions afférentes à la notion de personne et à son évolution), la psychanalyse (qui a posé le problème à partir de l'expérience de dévoilement du sujet) ou la psychologie (qui situe le projet autobiogra­ phique sur l'axe moral vérité-mensonge), ce n'est que tout récemment qu'elle est devenue l'objet d'investiga­ tions littéraires visant à la doter, comme tout genre, de lois constitutives.

Auteur, narrateur, héros ou les multiples voix du cc je n Définir l'autobiographie comme« la relation écrite de sa propre vie dans ce qu'elle a de plus personnel », c'est paraphraser l'étymon sans pour autant lever les ambiguï­ tés.

Bien au contraire.

En effet, rien ne sépare appa­ remment le début des aventures du célèbre picaro Laza­ rillo de Tormès : «Or, sachez, monsieur, avant toutes choses, que mon nom est Lazare de Tormès, fils de Tho­ mas Gonzalez et de Toinon Pérez, naturels de Téjarès, village voisin de Salamanque.

Je naquis dans la rivière de Tormès, à raison de quoi me fut imposé mon surnom » (la Vie de Lazarillo de Tormes, 1554), des premières lignes des Confessions de Jean-Jacques Rousseau : «Je suis né en 1712, à Genève, d'Isaac Rousseau, citoyen, et de Suzanne Bernard, citoyenne» (Confessions, 1782).

Les deux narrateurs parlent à la première personne, pré­ cisent leur origine géographique, confient le nom de leurs parents -et par conséquent le leur -et même leur prénom (qui apparaît, dans le cas de Rousseau, quelques lignes plus bas : , la confession autobiogra­ phique se fait au grand jour de la publication proclamée : «Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature», s'écrie Rousseau avant d'ajouter brutalement : «Et cet homme ce sera moi ».

Il est vrai que chercher l'unité d'une vie n'a d'intérêt que dans la mesure où l'on souhaite donner une image de soi : là encore, la conjonction des voix narratives suscite l'existence d'autrui, de ce lecteur inscrit dans Je texte, soit dans sa généralité ( « J'entreprends de vous donner la vie d'un de vos semblables >>, affirme Rétif de La Bretonne au début de Monsieur Nicolas, 1794), soit dans son originalité ( « Ces pages [ ...

)je les livre aux quelques personnes qui éprouvent ces sentiments [indulgence et sympathie) pour ma forme d'esprit», annonce Julien Benda dans l'avant-propos de la Jeunesse d'un clerc, 1936, peu avant de préciser encore : « J'écris aussi pour vous, mon élève, jeune homme de ma famille morale >> ) .

Il arrive même que le lecteur soit posé comme exclu par la narration entreprise : « Qu'aucun de ceux qui rn· ont fait du mal ne s'effraie, je ne me souviens pas d'eux; qu'aucun amateur de scandale ne se réjouisse, je n'écris pas pour lui », prévient George Sand en ouverture de l'Histoire de ma vie (1854- 1855).

Ce lien entre l'auteur et son lecteur est, en dernière analyse, ce qui distingue essentiellement l'autobiographie de toute forme inti­ miste : il est l'un des éléments constitutifs de ce que Philippe Lejeune a fort justement appelé le « pacte auto­ biographique », pacte par lequel l'auteur s'engage solen­ nellement à dire la vérité sur lui-même.

Dès lors, acteur et producteur du récit en même temps que sujet et objet de sa narration, 1' auto biographe oblige l'interlocuteur à se soumettre à sa seule parole : la critique du discours autobiographique ne peut donc être que textuelle, les traditionnelles questions se rapportant à la véracité des propos avancés par le narrateur étant rejetées comme autant de faux problèmes destinés à exercer la sagacité de limiers en mal de biographie.

Le« pacte>> fait ainsi de l'autobiographie une œuvre d'art : « La fonction proprement littéraire, artistique, a donc plus d'importance que la fonction historique et objective » (G.

Gusdort).

Œuvre d'art où le vécu, recom­ posé par le souvenir dans une perspective de saisie syn­ thétique de l'existence en vue de lui donner un sens (ce qui oppose autobiographie et biographie factuelle ou. »

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