Devoir de Philosophie

Le convoi funèbre du père Goriot («Les deux prêtres ... chez madame de Nucingen», pp. 366-367) - Le père Goriot de Balzac

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Les deux prêtres, l'enfant de chœur et le bedeau vinrent et donnèrent tout ce qu'on peut avoir pour soixante-dix francs dans une époque où la religion n'est pas assez riche pour prier gratis. Les gens du clergé chantèrent un psaume, le Libéra, le De profundis. Le service dura vingt minutes. Il n'y avait qu'une seule voiture de deuil pour un prêtre et un enfant de chœur, qui consentirent à recevoir avec eux Eugène et Christophe.

- Il n'y a point de suite, dit le prêtre, nous pourrons aller vite, afin de ne pas nous attarder, il est cinq heures et demie.

Cependant, au moment où le corps fut placé dans le corbillard, deux voitures, armoriées, mais vides, celle du comte de Restaud et celle du baron de Nucingen, se présentèrent et suivirent le convoi jusqu'au Père-Lachaise. A six heures, le corps du père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant. Quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur la bière pour la cacher, ils se relevèrent, et l'un d'eux, s'adressant à Rastignac, lui demanda leur pourboire. Eugène fouilla dans sa poche et n'y trouva rien, il fut forcé d'emprunter vingt sous à Christophe. Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse. Le jour tombait, un humide crépuscule agaçait les nerfs, il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions d'un cœur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans les cieux. Il se croisa les bras, contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta.

Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnant un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : « A nous deux maintenant ! «

Et pour premier acte du défi qu'il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen.

« chronométrées : «Le service dura vingt minutes...

nous pourrons aller vite...

il est cinq heures et demie...

A sixheures, le corps du Père Goriot...» Enfin, tous disparaissent «aussitôt que fut dite la courte prière...» Cette impression de funérailles au pas de course est accentuée par la notation dépouillée des faits, qui sont ditsbrièvement, dans leur nudité, sans commentaire.

Toute une série de verbes au passé simple établit la successionnue et banale des événements : «les deux prêtres...

vinrent et donnèrent,...

les gens du clergé chantèrent,...

deuxvoitures armoriées mais vides se présentèrent et suivirent...

le corps du Père Goriot fut descendu...» La structure de la phrase suggère même un escamotage de la descente dans la fosse, cet acte essentiel traité enquelques mots étant aussitôt supplanté par la débandade de tous : A six heures, le corps du Père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles,qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant. Vous aurez noté, dans cette ample période, la disproportion entre la partie très brève consacrée au défunt, oubliésitôt après le mot «fosse», et la fuite des assistants longuement évoquée. La contrainte de l'argent a été dominante tout au long du roman ; elle est rappelée ici dans un registre lexical trèsinsistant, et elle s'exerce jusqu'au bord de la tombe : à l'église, Goriot obtient «tout ce qu'on peut avoir poursoixante-dix francs», car «la religion n'est pas assez riche pour prier gratis».

Au cimetière, le clergé mesure sontemps sur «l'argent de l'étudiant».

Dans la fosse même, «l'un des fossoyeurs lui demanda leur pourboire».

Alors«Eugène fut forcé d'emprunter vingt sous à Christophe».

L'argent toujours : jusqu'au bout de la vie, et dans la mortmême, sans argent on n'a rien.

Il conditionne aussi l'intervention du clergé, qui est assimilée à une prestation deservice exactement tarifée. Rastignac : l'achèvement d'un itinéraire (A partir de «Ce fait si léger...») En un court moment, et en quelques phrases, le deuil dans le cœur d'Eugène est supplanté par le désir de parvenir. L'adieu au passé est suscité par le choc des vingt sous qu'il n'a pas et qui agissent sur Eugène comme un déclicrévélateur de l'égoïsme social : Ce fait si léger en lui-même détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse. Il prend alors une conscience plus aiguë que jamais de son dénuement personnel.

Le jeune homme d'autrefois meurtà ce moment : le spectacle de la pauvreté entraîne la révolte, le refus de se laisser réduire soi-même à l'état d'unGoriot.

Ici, Eugène pleure sur un mort qui est aussi l'adolescent d'hier, un garçon honnête et pauvre, auquel il ditadieu.

La scène est réussie sur le plan poétique : le crépuscule de la journée, le déclin de la saison, la mort du pèreet la fin des illusions, tout cela est dans la même tonalité triste. Le passage du passé à l'avenir est instantané chez Rastignac.

Il ne reste pas longtemps prisonnier de sa tristesse, iltrouve vite en lui une détermination nouvelle : Il se croisa les bras, contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta. Le passage de la tombe où gît la victime vers les nuages, ce mouvement d'ascension du regard, marque le retour àla vie, le recommencement de l'espérance, une deuxième naissance.

Plongé dans ses méditations, concentré sur sapensée, Eugène est devenu un autre homme ; ce court début de phrase, «lise croisa les bras, regarda lesnuages...» marque la détermination et la foi dans l'avenir. Paris apparaît alors comme objet de désir.

L'espérance retrouvée, c'est la fascination du Paris élégant, perçu commeune proie désirable.

Il faut faire l'analyse précise de l'avant-dernier paragraphe où chaque terme montre lesséductions de ce monde sous le regard d'un homme jeune.

La sensualité de Paris est dans «tortueusement couché»,comme dans une pose de courtisane.

L'éclat des fêtes est celui d'une ville où «commençaient à briller les lumières»,qui annoncent les dîners, les bals de la nuit.

La richesse fascine Rastignac, il voit les seuls beaux quartiers, «là oùvivait ce beau monde».

Il est sensible au débordement de la vie dans cette «ruche bourdonnante».

Enfin, commeprolongement de tout ce spectacle significatif, émerge le désir réaffirmé de participer au festin, de jouir desdouceurs offertes, «un regard qui semblait par avance en pomper le miel», qui dit l'appétit sensuel de savourer,d'avaler à longs traits. La volonté exacerbée de la conquête s'énonce de façon concentrée dans la fameuse apostrophe à la capitale : «Anous deux maintenant !» Par là, l'ambitieux affirme sa volonté de prendre possession de tout ce qui s'offre et sedéploie sous son regard.

Par ce langage de conquérant un peu théâtral et emphatique, en harmonie avec la pose physique, il marque l'assurance de la jeunesse, sa détermination, sa présomption aussi.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles