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Le Loup, la Mère et l'Enfant (IV-16) - LA FONTAINE

Publié le 14/02/2011

Extrait du document

fontaine

Ce Loup me remet en mémoire Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris : Il y périt. Voici l'histoire : Un villageois avait à l'écart son logis. Messer Loup attendait chape-chute à la porte : Il avait vu sortir gibier de toute sorte, Veaux de lait, agneaux et brebis, Régiments de dindons, enfin bonne provende. Le larron commençait pourtant à s'ennuyer. Il entend un enfant crier : La mère aussitôt le gourmande, Le menace, s'il ne se tait, De le donner au loup. L'animal se tient prêt, Remerciant les dieux d'une telle aventure, Quand la mère, apaisant sa chère géniture, Lui dit : Ne criez point ; s'il vient, nous le tuerons. — Qu'est ceci ? s'écria le mangeur de moutons : Dire d'un, puis d'un autre ! Est-ce ainsi que l'on traite Les gens faits comme moi ? Me prend-on pour un sot ? Que quelque jour ce beau marmot Vienne au bois cueillir la noisette I Comme il disait ces mots, on sort de la maison : Un chien de cour l'arrête ; épieux et fourches-fières L'ajustent de toutes manières. Que veniez-vous chercher en ce lieu ? lui dit-on. Aussitôt il conta l'affaire. Merci de moi ! lui dit la mère ; Tu mangeras mon fils ! L'ai-je fait à dessein Qu'il assouvisse un jour ta faim ? On assomma la pauvre bête. Un manant lui coupa le pied droit et la tête : Le seigneur du village à sa porte les mit ; Et ce dicton picard à l'entour fut écrit : « Biaux chires leups, n'écoutez mie « Mère tenchent chen fieux qui crie. «

Dans la préface de son premier recueil de Fables, La Fontaine dit que, dans les récits empruntés à ses prédécesseurs, il a voulu mettre de la « gaieté «, ce « charme «, cet « air agréable qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux «. C'est précisément sur les différents moyens qu'il peut employer pour « égayer « son récit que nous allons insister dans le commentaire de la fable Le Loup, la Mère et l'Enfant. (Lecture du texte.)

fontaine

« (v.

10) Il entend un enfant crier. Ce fait, qui rompt brusquement la longue attente du Loup, entraine un brusque changement de mètre ; pittoresqueégalement est l'absence de liaison syntaxique entre ce vers et ce qui précède.

Le présent de narration apparaît,comme il convient quand survient un événement important. (v.

11-12-13) Le vers court est gardé, pour sa vivacité qui peint l'impatience de la Mère ; « Le menace », envedette au début du vers, sonne clair, comme la réprimande ; le rejet de « De le donner au Loup » met la menaceen relief...

et nous entendons l'intonation de la colère (encore une émotion violente...

et vivante !) sur la premièresyllabe de « donner ».

Paroles et ton, tout est pris sur le vif. (v.

13) L'animal se tient prêt... Réflexe d'« animal » en effet, qui ne réfléchit pas, qui n'écoute que sa gloutonnerie.

Sa gloutonnerie ? Voilà lapremière cause de sa naïveté. (v.

14) Remerciant les Dieux d'une telle aventure...

La Fontaine, fantaisiste, prête à un Loup des propos de hérosd'épopée — et parallèlement nous remarquerons l'ampleur de l'alexandrin régulier.

D'un ridicule achevé, le Loups'imagine, non sans prétention, que les Dieux sont pour les gloutons. (v.

15-16) Quand la Mère, apaisant sa chère géniture, Lui dit : « Ne criez point ; s'il vient, nous le tuerons » L'expression « sa chère géniture», qui constitue uneexplication du revirement maternel, est anormale et implique un sourire ironique de la part du conteur.

Quellepédagogie ! Dans la colère, on menace du Loup, ce qui provoque un redoublement de cris (Cf.

« Ne criez point »).Là-dessus, on abdique et, pour apaiser l'enfant, on adopte une attitude exactement opposée à la première !— Paroles et ton sont toujours pris sur le vif. (v.

17-21) Qu'est ceci ? cueillir la noisette Le Loup proteste.

Il se considère comme frustré.

Sa gloutonnerie n'abdique pas.

Cette obstination est la secondecause de sa bêtise : elle l'empêche d'admettre le revirement de la Mère, elle le retient dans des lieux où on parle dele tuer.

Le monologue que La Fontaine prête au Loup met l'accent sur l'orgueil, fondement de cette obstination : leton est celui de la colère (« Qu'est ceci ? s'écria...

») le « moi » s'affirme ; « les gens faits comme moi », « Meprend-on pour un sot ? » Hélas ! oui, pour un épouvantail en tout cas.

Et La Fontaine, pour nous suggérer jusqu'oùvont les prétentions du Loup, l'appelle « le mangeur de moutons » : expression qui parodie le style de l'épopée (Cf.

«Zeus, qui - amoncelle - les - nuées », dans Homère). Quant au style, l'orgueil, la colère...

donnent naissance à des mouvements exclamatifs ou interrogatifs très vifs. La prétention donne au ton de l'emphase : parodie épique, puis un enjambement qui nous invite à traîner de façonprétentieuse sur « traite » et à voir dans notre Loup une sorte de Matamore.

Un changement de mètre correspond àune évolution dans les sentiments exprimés.

Pour l'affirmation emphatique du « moi », c'est l'alexandrin (-funenjambement) qui conviennent.

Pour la colère, plus vive et plus prosaïque (noter la différence du vocabulaire : « lemangeur de moutons » « ce beau marmot ») l'octosyllabe offre un mouvement plus rapide. Les deux derniers vers du couplet évoquent enfin une distraction — éternelle — des enfants à la campagne.

Et celaconstituera une touche supplémentaire pour le décor villageois de la fable. (v.

22) Comme il disait ces mots, on sort de la maison Le hasard fait mal les choses pour le Loup ? Peut-être.

Maisle Loup n'est-il pas lui-même l'artisan de son destin ? N'aurait-il pas dû fuir plutôt que de perdre un temps précieux àexhaler ses blessures de vanité ? Peut-être même espérait-il encore ! (v.

23-24) (N.

B.

« fourches-fières » = bâtons garnis d'un fer large et pointu et utilisés pour la chasse au sanglier...- « ajuster » = malmener.) Vivacité du présent de narration, des phrases courtes juxtaposées, du rejet de «l'ajustent » : le rythme est une peinture. (v.

25-26) « Que veniez-vous chercher en ce lieu ? » lui dit-on. Aussitôt il conta l'araire.

Comble d'inconscience ! (Le vers court met la naïveté du Loup en évidence).

Décidément, ilne voyait pas d'autre conduite possible.

Ou encore veut-il m justifier, foire admettre qu'en bonne logique l'Enfant luiest dû ? Sa gloutonnerie n'a pas désarmé ! (v.

27-28-29) « Merci de moi !...

—> ta faim ? » Réaction attendue de la Mère et qui sera fatale au Loup.

(Après avoir été « ajusté », il sera « assommé » sansrémission, maintenant qu'on sait qu'il était venu manger l'enfant de la maison.) L'indignation de la mère communique sa véhémence au style : un juron — bien populaire (Cf.

le « Merci de ma vie ! ». »

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