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Le Paradoxe sur le Comédien de Diderot

Publié le 05/04/2011

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   Les grands poètes, les grands acteurs, et peut-être en général tous les grands imitateurs de la nature, quels qu'ils soient, doués d'une belle imagination, d'un grand jugement, d'un tact fin, d'un goût très sûr, sont les êtres les moins sensibles. Ils sont également propres à trop de choses ; ils sont trop occupés à regarder, à reconnaître et à imiter, pour être vivement affectés au-dedans d'eux-mêmes. Je les vois sans cesse le portefeuille sur les genoux et le crayon à la main.    Nous sentons, nous; eux, ils observent, étudient et peignent. Le dirai-je ? Pourquoi non ? La sensibilité n'est guère la qualité d'un grand génie. Il aimera la justice; mais il exercera cette vertu sans en recueillir la douceur. Ce n'est pas son cœur, c'est sa tête qui fait tout. A la moindre circonstance inopinée, l'homme sensible la perd ; il ne sera ni un grand roi, ni un grand ministre, ni un grand capitaine, ni un grand avocat, ni un grand médecin. Remplissez la salle du spectacle de ces pleureurs-là, mais ne m'en placez aucun sur la scène. Voyez les femmes ; elles nous surpassent certainement, et de fort loin, en sensibilité : quelle comparaison d'elles à nous dans les instants de la passion ! Mais autant nous le leur cédons quand elles agissent, autant elles restent au-dessous de nous quand elles imitent. La sensibilité n'est jamais sans faiblesse d'organisation. La larme qui s'échappe de l'homme vraiment homme nous touche plus que tous les pleurs d'une femme. Dans la grande comédie, la comédie du monde, celle à laquelle j'en reviens toujours, toutes les âmes chaudes occupent le théâtre; tous les hommes de génie sont au parterre. Les premiers s'appellent des fous ; les seconds, qui s'occupent à copier leurs folies, s'appellent des sages. C'est l'œil du sage qui saisit le ridicule de tant de personnages divers, qui le peint et qui vous fait rire et de ces fâcheux originaux dont vous avez été la victime, et de vous-même. C'est lui qui vous observait, et qui traçait la copie comique et du fâcheux et de votre supplice.

I. Analyse du Paradoxe.    Comme il est fréquent chez Diderot, l'ouvrage est une discussion entre deux personnages qui exposent l'un et l'autre deux thèses opposées. Le point de départ de la conversation est un ouvrage intitulé Garrick ou les acteurs anglais, traduit de l'anglais par un acteur : Fabio Sticoti1.    Diderot veut démontrer que les grands comédiens ne sont pas ceux qui sont les plus sensibles, mais ceux qui, sur la scène, gardent tout leur sang-froid : c'est l'extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres ; c'est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs, et c'est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes.    Pour justifier cette thèse, assez inattendue de la part de Diderot et si peu couramment admise — d'où le titre de l'ouvrage — Diderot fait appel à deux sortes d'arguments...

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« écrivains, mais aussi l'opinion.

En 1743, l'auteur Riccoboni dans sa Réformation du théâtre avait même fait, commeDiderot, le procès de la sensibilité.

L'intérêt du Paradoxe est dans le fait que l'ouvrage déborde le cadre de l'artdramatique, pour s'appliquer à toutes les formes de l'art et surtout que Diderot, contrairement à ses habitudes, ycondamne l'enthousiasme et y fasse l'éloge du sang-froid dans la création. Analyse du texte. Quatre idées : # une remarque sur la création artistique et les qualités qu'elle exige ; # une observation sur les hommes de génie; # un développement sur le comportement de l'humanité en général ; # une opinion sur l'attitude de l'écrivain comique.

La création artistique. Au lieu d'établir des distinctions entre les différents arts, Diderot s'efforce de dégager des principes communs qui lesrattachent les uns aux autres : d'où l'importance de la parenthèse quels qu'ils soient.

Remarquons en outre queDiderot met sur le même plan le poète et l'acteur, ce qui prouve en quelle estime il tenait personnellement l'artdramatique. Cette affinité des différents arts étant posée, Diderot affirme ensuite que tous les arts sont fondés sur une imitationde la nature : il appelle les grands poètes et les acteurs de grands imitateurs de la nature.

Mais cette imitation n'estpas une imitation intégrale; elle exige des qualités d'ordre strictement intellectuel : l'imagination, le jugement, le tactet le goût, ces qualités excluant, par leur essence même, une sensibilité trop vive : ce sont les êtres les moinssensibles. Pour justifier son opinion, Diderot en donne une explication fondée — d'abord sur la logique : Ils sont trop occupés à regarder, à reconnaître et à imiter pour être vivement affectés audedans d'eux-mêmes ; — puis sur les faits (dernière phrase du Ier paragraphe). Les trois verbes : regarder, reconnaître et imiter représentent les trois moments de la création : d'abordl'observation de l'ensemble, puis le choix (reconnaître, c'est discerner, donc choisir), enfin la mise en œuvre.

A cestrois verbes correspondent les trois verbes du paragraphe suivant : ils observent, ils étudient, ils peignent. Les hommes de génie. S'élevant par voie de conséquence et de généralisation de l'artiste aux hommes de génie en général, il cite enrépétant intentionnellement l'adjectif, un grand roi, un grand ministre, un grand médecin — Diderot résume ce qu'ilpense de leur comportement dans une formule concise qui condense sa pensée sous la forme d'un contraste : Cen'est pas son cœur, c'est sa tête qui fait tout », entendons, par cœur, la sensibilité et par tête, la raison.

Par suite,le grand homme est différent des autres hommes : il n'éprouve pas lui-même les sentiments qu'il fait naître; il esttoujours maître de lui.

Les hommes sensibles (remarquez le terme péjoratif ces pleureurs-la) se bornent à vivre et àsubir leurs émotions.

Seul le génie qui regarde vivre les autres, comme s'il était assis à un spectacle, est capable decréer, il ne subit point, il pense et agit.

Il a beaucoup plus des idées que des émotions. Le comportement de l'humanité. La comparaison de la vie humaine avec un « spectacle », dont les hommes de génie ne seraient que les témoins,amène Diderot à penser que la vie humaine est une vaste comédie.

Il l'appelle la grande comédie, la comédie dumonde et il prétend qu'il y revient sans cesse parce que c'est elle qui lui inspire les observations les plus nombreuseset les plus utiles.

Or, dans la vie, il y a deux sortes de comportement : — celui des femmes, chez qui la sensibilité l'emporte; — celui des hommes, plus maîtres de leurs nerfs et moins souvent attendris. Il tire de cette distinction deux conséquences qui confirment sa thèse : — les femmes sont rarement des génies créateurs, parce qu'elles ont une sensibilité trop vive. — Parmi les hommes, seuls les sages, c'est-à-dire les esprits lucides qui regardent vivre les fous sont vraiment des. »

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