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Le portrait de Charles Bovary, officier de santé (personnage de Flaubert)

Publié le 22/02/2012

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Un mystérieux personnage. Le personnage de Charles Bovary, sa psychologie, son destin, n'ont apparemment rien de bien mystérieux. C'est l'histoire banale d'un mari mal aimé, puis bafoué, d'un homme qui n'est pas à la hauteur, et de la paradoxale et pénible ascension qui le conduira jusqu'au sublime. Un sublime qui précédera sa déchéance, cette dégringolade brutale sur laquelle le roman se clôt. Non, ce qu'il y a de mystérieux dans ce personnage est davantage de l'ordre de la technique romanesque. Quelle est donc sa place dans l'économie du récit ? Jusqu'au chapitre VI de la première partie, en effet, l'histoire qu'on nous raconte est celle d'un jeune garçon, Charles Bovary, que nous suivons depuis son entrée au collège de Rouen jusqu'à son second mariage. Il semble, à l'évidence, le personnage principal du roman, c'est lui qui apparaît dès la première page ; c'est par rapport à lui que le monde, autrement dit l'espace et le temps, s'organise ; en rapport avec lui, enfin, que sont présentés les autres personnages, camarades, professeurs, parents, première puis seconde épouse. On apprendra, par exemple, beaucoup plus de choses précises sur le couple Bovary père et mère, qu'on n'en saura jamais sur les époux Rouault, parents d'Emma. Et pourtant, par une sorte de glissement progressif au second plan, Charles va s'effacer et rejoindre, en somme, dans l'économie du récit, la place qui correspond à son caractère et fait dire au « nous » malicieux, qui tient lieu au tout début du texte de narrateur : « liserait maintenant impossible à aucun de nous de se rien rappeler de lui. »
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« Un simple valgus, rien qu'une stréphéxopodie ! Et c'est alors, dans l'échec et la peur du scandale, « que sonimagination, assaillie par une multitude d'hypothèses, [se met à ballotter] au milieu d'elles comme un tonneau videemporté à la mer...

» Un tonneau vide, avec rien ni personne dedans. L'éternel nouveau L'ingénuité de Charles, sa naïveté sont si constitutives de son caractère, de « son tempérament modéré », quel'expérience a peu d'influence sur lui.

On le verra, Charles n'est pas un homme sans qualités, mais un homme sansexpérience : un éternel nouveau. Nouveau, c'est ainsi que Flaubert choisit de le présenter à son entrée au collège, faisant de cette première scèneson entrée en matière.

A sa sortie, quelque trois ans plus tard, il est impossible à ses condisciples « de se rienrappeler de lui ».

Malgré le temps et l'espèce de rite initiatique dont il est l'objet — le bizutage, mais le mot n'existepas encore —, Charles ne semble pas s'être intégré.

Un éternel nouveau n'a jamais d'amis, Charles n'en aura pas. Dans l'exercice même de son art, cette nouveauté ne le quittera jamais.

Nouveau médecin de Tostes, puis d'Yonville, jamais il ne parviendra à acquérir de véritable expérience, toujours il sera contraint de subir plusexpérimenté que lui, voire d'y recourir. Cette indéfectible nouveauté semble être aussi sexuelle : après avoir « connu l'amour » pendant ses annéesd'étude, puis « les bras maigres » de sa première épouse qui lui demande toujours « un peu plus d'amour », à sonlendemain de noces, « c'est lui plutôt que l'on eût pris pour la vierge...

» Ajoutons à cela son innocence, sacrédulité lors des ébats d'Emma, et son inaptitude à diagnostiquer ses crises d'inassouvissement.

On peut dire quemalgré une sorte de « sensualité » native mais inaboutie que Flaubert parfois suggère, Charles n'aura jamaisl'expérience de l'amour. Son premier veuvage non plus, d'ailleurs, ne l'aidera pas à supporter le second.

Or, cette éternelle et finalementfraîche nouveauté de Charles faisant écho à l'obscure nouveauté d'Emma, on peut se demander si la question del'expérience, de l'expérience impossible bien sûr, n'est pas au centre du roman, et plus largement de la réflexionflaubertienne. Un garçon ridicule « Quant à vous, le nouveau, vous me copierez vingt fois le verbe ridiculus sum.

» La sentence du professeur,tombant au bas de la troisième page du roman, s'y inscrit comme une sorte d'exergue, de marque indélébile quidonne d'emblée la mesure du personnage : Charles est un garçon ridicule, l'humiliation sera son lot. Or, et cela met bien en évidence le caractère pathétique du personnage de Charles, le ridicule souffre d'autant plusqu'il ne fait jamais rire que ceux qui lui sont indifférents, tout en mortifiant ceux qui l'aiment.

Ce qui le sauve, c'estsa béatitude, son innocence, cet aveuglement qui soustrait à ses yeux la méchanceté du monde.

Le ridicule necomprend d'ordinaire rien au réel, heureusement, car lorsqu'il comprend enfin, il en meurt. Les passages sont nombreux où « le pauvre homme » est ridiculisé : sa façon de manger, faisant « en avalant sasoupe, un gloussement à chaque gorgée...

», de dormir avec son bonnet, de fumer le cigare « en avançant leslèvres, crachant à toute minute, se reculant à chaque bouffée ».

Plus grave, il lui arrive d'être « humilié quelquepeu, au lit même du malade, devant les parents assemblés».

Mais c'est alors Emma « qui s'emporte bien haut contrele confrère ».

C'est Emma qui est « exaspérée de honte », Charles jamais.

Aussi le lui fera-t-elle payer : il seracocu.

Après tout, n'est-il pas déjà dans la peau du personnage ? Et le cocuage n'est-ce pas ce qui rend l'innocentcoupable et, comble du ridicule, fait de la victime l'instigateur de sa propre disgrâce ? L'épisode du bal à la Vaubyessard est de bout en bout une mise en scène du ridicule de Charles.

Emma le rabrouequand il prétend danser, terrifiée qu'elle est à l'idée du spectacle qu'il pourrait donner : « — Mais tu as perdu la tête! on se moquerait de toi, reste à ta place ».

C'est du reste ce qu'il va faire.

Il sortira du récit, disparaissant dansl'anonymat de la foule, dans cette absence où il se sent si bien, jusqu'à ce qu'on le retrouve, au détour d'unephrase, « dormi -and à demi, le dos appuyé contre une porte ».

Bien « à sa place », en vérité, entre le sommeil et la veille, le dedans et le dehors : personne et nulle part. Mais qu'a-t-il fait durant tout ce temps ? « Il avait passé cinq heures de suite, tout debout devant les tables, àregarder jouer au whist, sans y rien comprendre.

» Mais qu'y a-t-il à comprendre? Et Charles, relayé plus tard parFrédéric Moreau, héros de L'Éducation sentimentale, n'est-il pas en train d'inaugurer la lignée de ces personnages deromans contemporains, les Bardamu, les Meursault, pour qui le monde n'est qu'un théâtre de marionnettes, unspectacle insignifiant et voué au seul regard ? Pas tout à fait, comme il le dira au théâtre de Rouen, se plaignant dene rien entendre aux paroles, Charles est un homme qui « aime à se rendre compte ».

Sauf qu'il ne se rend jamaiscompte de rien et sombrera, pour en finir, dans cette forme extrême du ridicule qu'il appelle lui-même « fatalité ». Chez Flaubert, attention : le ridicule tue. Un amoureux transi. »

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