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Le salon de la pension Vauquer («Naturellement destiné... jeune ou vieux», pp. 26-27) - Le père Goriot de Balzac

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Naturellement destiné à l'exploitation de la pension bourgeoise, le rez-de-chaussée se compose d'une première pièce éclairée par les deux croisées de la rue, et où l'on entre par une porte-fenêtre. Ce salon communique à une salle à manger qui est séparée de la cuisine par la cage d'un escalier dont les marches sont en bois et en carreaux mis en couleur et frottés. Rien n'est plus triste à voir que ce salon meublé de fauteuils et de chaises en étoffe de crin à raies alternativement mates et luisantes. Au milieu se trouve une table ronde à dessus de marbre Sainte-Anne, décorée de ce cabaret en porcelaine blanche ornée de filets d'or effacés à demi, que l'on rencontre partout aujourd'hui. Cette pièce, assez mal planchéiée, est lambrissée à hauteur d'appui. Le surplus des parois est tendu d'un papier verni représentant les principales scènes de Télémaque, et dont les classiques personnages sont coloriés. Le panneau d'entre les croisées grillagées offre aux pensionnaires le tableau du festin donné au fils d'Ulysse par Calypso. Depuis quarante ans, cette peinture excite les plaisanteries des jeunes pensionnaires, qui se croient supérieurs à leur position en se moquant du dîner auquel la misère les condamne. La cheminée en pierre, dont le foyer toujours propre atteste qu'il ne s'y fait de feu que dans les grandes occasions, est ornée de deux vases pleins de fleurs artificielles, vieillies et encagées, qui accompagnent une pendule en marbre bleuâtre du plus mauvais goût. Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu'il faudrait appeler Y odeur de pension. Elle sent le renfermé, le moisi, le rance ; elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements ; elle a le goût d'une salle où l'on a dîné ; elle pue le service, l'office, l'hospice. Peut-être pourrait-elle se décrire si l'on inventait un procédé pour évaluer les quantités élémentaires et nauséabondes qu'y jettent les atmosphères catarrhales et sui generis de chaque pensionnaire, jeune ou vieux.

« théâtre tous les acteurs convoqués pour la grande scène de l'arrestation de Vautrin. Le narrateur omniscient.

Qui voit et qui raconte ? Faute d'un personnage (aucun n'a été introduit) qui prêterait sonregard, c'est l'auteur qui voit pour le lecteur et s'adresse à lui directement.

Il connaît les petites pensions de Paris, ily a vécu ses années d'étudiant ; il connaît d'ailleurs beaucoup de choses sur les lieux et les personnes et l'on verraqu'il s'institue le plus souvent narrateur omniscient.

Appréhension visuelle : la tristesse La description des lieux ne se borne pas à en montrer les éléments.

De ce que capte le regard, se dégage uneatmosphère dont rendent compte les différents champs lexicaux. Une mise en ordre s'impose dans un texte descriptif ; pour aider au repérage à l'intérieur du salon, le narrateurprocède d'abord à une structuration de l'espace autour de trois éléments, qu'il aborde successivement : au centre,la table ; tout autour, les parois lambrissées, la partie haute étant décorée d'un papier verni ; quelque part, lacheminée.

La description ne vagabonde pas au hasard ; elle est construite, elle épouse le mouvement du regard, quise pose d'abord au centre sur la table, parcourt ensuite circulairement les murs, et rencontre enfin la cheminée.

Unetelle technique d'observation permet la clarté et évite de rien oublier de significatif. Une description subjective.

La tonalité de la description est nette.

Elle n'est pas un simple inventaire ; ni neutre, niobjective, elle exprime un jugement, elle est orientée par un point de vue partial, celui de l'auteur-narrateur.

Cettesubjectivité est nettement affichée dans une courte impression préliminaire : «Rien n'est plus triste à voir que cesalon,..», qui sert de guide de lecture, une clé initiale très commode pour diriger l'interprétation.

Une fois établiecette orientation dominante, il convient d'entrer dans le détail de son expression ; la tristesse se décline en effetsous divers aspects. Goût douteux et banalité sont liés.

Le champ lexical autour de ces notions se repère aisément : l'étoffe d'abord «àraies alternativement mates et luisantes» : cela sent le répétitif, marque l'absence d'imagination ; le cabaret (c'estun service à liqueurs) ensuite, «que Von rencontre partout» ! Puis le «papier verni», sans doute très ordinaire, quioffre «les classiques personnages» d'un roman d'éducation du XVIIe siècle ; donc des motifs rebattus, et sérieux,voire austères, pas de badinage ni de petits plaisirs, cela n'a pas la touche de Watteau ; citons encore les «deuxvases pleins de fleurs artificielles, vieillies et encagées» (quel mot et quel sort pour des fleurs !) ; la pendule enfin,d'une couleur incertaine, dépréciée, «bleuâtre».

La description se termine sur «du plus mauvais goût», qui résume etconclut.

Décrépitude, usure, abandon, autre .champ lexical significatif : filets d'or «effacés à demi», pièce «assezmalplanchéiée»; un dîner de «misère» attend les pensionnaires, devant une cheminée toujours vide, car «il ne s'yfait de feu que dans les grandes occasions», et ornée de fleurs «vieillies».

L'usure est aussi dans l'aspect figé,statique et même prostré des objets : aucune évolution possible, rien n'est à remodeler, ni en devenir ; cetteimpression résulte de l'utilisation fréquente des participes passés et de la forme passive : «décorée...

ornée...effacés...

planchéiée...

est lambrissée,...

est tendu...

sont coloriés...

grillagées».

Ce procédé syntaxique désigneune réalité momifiée. Univers clos, enfermement : les croisées sur la rue sont «grillagées» ; les pensionnaires, comme des prisonniers,n'ont tout autour d'eux sur les murs que des scènes d'austérité qui les encerclent.

Ils subissent pauvrement leursort, matérialisé par «le dîner auquel la misère les condamne».

Symbole de la destinée morose de tous, ces fleursencore, «vieillies et encagées». C'est donc bien une ambiance particulièrement désolée qui s'impose à travers le lexique. Appréhension olfactive : l'écœurement Humer les atmosphères, telle est l'aptitude particulière du bon observateur, qui ne se contente pas de regarder.

Ilouvre une deuxième voie pour l'investigation, l'odorat. Réinventée par le canal olfactif, la pièce paraît dotée d'une existence complémentaire ; déjà inscrite vivement dansle regard, qu'elle blesse, elle s'impose maintenant par ses exhalaisons, qui incommodent.

Elle offusque les deux sensréunis, quand on la contemple et quand on la respire.

Dans cette deuxième approche, la salle atteint à l'indicible, àl'innommable : Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu'il faudrait appeler l'odeur de pension. Ces effluves d'une singularité absolue, ne ressemblant qu'à eux-mêmes, exigent pour les désigner qu'on crée unecatégorie spécifique, «l'odeur de pension».

Son odeur, c'est l'identité du lieu.

Par des effets de crescendo, le narrateur parvient à suggérer l'innommable, en une longue phrase enveloppante qui. »

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