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LE STYLE DE ROUSSEAU

Publié le 02/04/2011

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rousseau

Comme l'a remarqué Lanson (L'Art de la Prose, p. 198 à 204), le style de Rousseau, vieilli par tant d'endroits, a par moments une couleur très moderne. D'où vient cette impression? Il faut, pour l'expliquer, étudier successivement le vocabulaire, la construction de la phrase, enfin et surtout le rythme de ce style : Rousseau a été, en effet, un grand musicien en prose.    Son vocabulaire. On a souvent dit à quel point le vocabulaire de Rousseau reste vague dans la description pittoresque. Il abuse, comme Fénelon qu'il admire, des épithètes traditionnelles 0agréable-doux-délicieux). Ni les noms ni les adjectifs qu'il choisit ne nous paraissent suffisamment évocateurs, et les notations colorées sont très rares dans ses descriptions. De même, il ne recherche pas par principe les images originales ; et les métaphores qu'il utilise sont souvent banales, parfois même de mauvais goût :    Tout respirait ici les rigueurs de l'hiver et l'horreur des frimas ; les feux seuls de mon cœur me rendaient ce lieu supportable, et les jours entiers s'y passaient à penser à toi.

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« Rousseau est loin d'avoir renoncé aux procédés de la rhétorique traditionnelle.

Alors que les autres philosophes duXVIIIe siècle, pour rendre leur prose plus alerte et plus nerveuse, ont brisé la période du XVIIe siècle, Rousseau estau contraire revenu à la langue oratoire, à la phrase longue d'un Bossuet.

Plus encore, il use de tous les toursconsacrés par les maîtres de l'éloquence : interrogations, exclamations, répétitions, anaphores, périphrases.

Lafameuse Prosopopée de Fabricius (voir p.

14), dans son premier Discours, est, dans ce genre, fort significative de ceton déclamatoire dont Rousseau a parfois abusé, surtout dans ses premières œuvres.

C'est ce qui explique lesréserves qu'on a souvent adressées à son style.

« C'est dans les écrits de Rousseau, écrit Paul Albert, qu'il fautchercher l'origine du jargon révolutionnaire et sentimental.

Il a donné la note et les principaux motifs, cela a suffi ; leconcert, on pourrait dire le charivari, a commencé.

Lamentations, apostrophes, cris de colère, gémissements decœurs incompris, paradoxes et déclamations des déclassés, guenilles de pourpre dont s'affublent les vanitésmaladives et les amours qui n'ont pas trouvé de placement, cela vient de lui ».

(La Littérature française au XVIIIesiècle, page 277.) Nous savons par les Confessions (partie I, livre III) comment Rousseau écrivait : Mes idées s'arrangent dans ma tête avec la plus incroyable difficulté : elles y circulent sourdement, elles yfermentent jusqu'à m'émouvoir, m'échauffer, me donner des palpitations ; et au milieu de toute cette émotion, je nevois rien nettement, je ne saurais écrire un seul mot, il faut que j'attende.

Insensiblement, ce grand mouvements'apaise, ce chaos se débrouille, chaque chose vient se mettre à sa place, mais lentement, et après une longue etconfuse agitation.

De là vient l'extrême difficulté que je trouve à écrire.

Mes manuscrits raturés, barbouillés, mêlés,indéchiffrables attestent la peine qu'ils m'ont coûtée...

Je n'ai jamais pu rien faire la plume à la main, vis-à-vis d'unetable et de mon papier.

C'est à la promenade, au milieu des rochers et des bois, c'est la nuit, dans mon lit, et durantmes insomnies que j'écris dans mon cerveau...

Il y a telle de mes périodes que j'ai tournée et retournée cinq ou sixnuits dans ma tête avant qu'elle fût en état d'être mise sur le papier. Ces confidences nous montrent que Rousseau ne se contentait pas du premier jet irrésistible et brûlant qui lui venaità l'esprit; mais elles nous rappellent aussi que sa phrase, toute imprégnée de ses passions et de sa sensibilité, portela marque de sa personnalité et qu'elle esi essentiellement lyrique.

La construction de ses œuvres ne sera pastoujours d'une logique et d'un plan rigoureux, mais son style portera son empreinte : tout en étant très oratoire, ilaura parfois des raccourcis saisissants; des développements amples et larges seront suivis d'une conclusioncinglante et ironique, à la manière d'un La Bruyère ou d'un Montesquieu; il n'hésitera pas devant des familiaritésconcises et énergiques comme des éclairs et la rhétorique ne les éteindra pas. La phrase de Rousseau est avant tout musicale.

On y découvre non seulement un rythme arithmétique, comme l'aremarqué M.

Lanson (ouvrage cité), mais aussi un rythme prosodique, un rythme tonique et un rythme de timbre. La phrase se compose de membres égaux ou sensiblement égaux par le nombre des syllabes, comme dans cepassage de la Seconde Promenade où cet équilibre exprime parfaitement l'apaisement moral : Dieu est juste (3), il veut que je souffre (5) Et il sait (3) que je suis innocent (5). Mais ce rythme est souvent beaucoup plus complexe : * ou bien il s'élargit de plus en plus, au fur et à mesure que la pensée s'élève ou que le sentiment s'échauffe, avecdes membres plus courts servant de pauses (pauses rythmiques). Ce sont ceux de ma retraite (7), ce sont mes promenades solitaires (10), ce sont ces jours rapides mais délicieux(11) que j'ai passés tout entiers avec moi seul (11) avec ma bonne et simple gouvernante (10), avec mon chienbien aimé, ma vieille chatte (11), avec les oiseaux de la campagne et les biches de la forêt (17), avec la natureentière et son inconcevable auteur (15). (Lettre à Malesherbes du 26 janvier 1762) * ou bien des groupes pairs (6-8-10-12 syllabes) alternent avec des groupes impairs (5-7-9 et surtout 11 et 13syllabes) : 1 : Ta beauté — ta beauté même — aura son terme (3+4+4) 11 : Elle doit décliner — et périr un jour (6 + 5) 6 : Comme une fleur — qui tombe (4 + 2) 7 : Sans avoir été cueillie. Lanson remarque que Rousseau coupe le groupe de onze syllabes soit en six plus cinq, ce qui précipite le. »

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