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LÉAUTAUD Paul : sa vie et son oeuvre

Publié le 14/01/2019

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LÉAUTAUD Paul (1872-1956). Il est difficile de sépa-rer les écrits de Léautaud de la personnalité de leur auteur, personnage anticonformiste et critique virulent. Celui-ci est à peu près devenu un mythe. On a en effet transformé Paul Léautaud en une espèce d’éminence grise de l'édition, lui imposant une image qu’il ne lui déplaisait d'ailleurs pas tout à fait d'entretenir : celle d’un petit vieillard sec, cynique et misanthrope, qui rabrouait ses interlocuteurs, vilipendait les « valeurs sûres » de la littérature et préférait ses chats et sa solitude à toute société. Les aphorismes sarcastiques, voire injurieux, que contiennent par moments ses pages autobiographiques ont par ailleurs confirmé les impressions que l'homme laissait à ses contemporains : contempteur de l’humanité, Léautaud n’épargne rien ni personne, pas même lui, dont il se plaît à souligner l'insigne médiocrité : « Je ne me rappelle pas m’être levé un seul jour de bonne humeur, content de la vie, des autres et de moi-même » (Passe-Temps, 1929).

 

Mais, sous ce masque, d’autres figures apparaissent : celles d’un stendhalien convaincu, d’un théoricien du style, d’un moraliste qui, à l’exemple de Chamfort ou de La Rochefoucauld, aime à formuler des sentences lapidaires au gré de son plaisir; un tel écrivain paraît, en plein XXe siècle, un auteur des plus inactuels.

 

De la bohème à la solitude

 

Né à Paris, Paul Léautaud va connaître une enfance très indépendante; ses parents, qui vivent dans le milieu du théâtre, ne sont pas mariés et n’habitent pas ensemble : il sera élevé simplement par son père, qui l’« initiera » au théâtre en l’emmenant plusieurs fois par semaine à la Comédie-Française. Léautaud mène ensuite une jeunesse insouciante, vouée aux plaisirs et à la bohème littéraire parisienne.

 

En 1892, après une année passée sous les drapeaux, il est réformé; il gardera de la vie des casernes ainsi que des exercices guerriers une image aussi peu militariste que possible : « Nous avons le service militaire, qui est la honte des sociétés actuelles ». Après cette courte expérience, il fréquente les cafés-théâtres et, en 1894, finit par entrer chez un notaire, en qualité de clerc. Parallèlement, il commence à publier des poèmes dans des revues et, peu à peu, devient un familier des éditions du Mercure de France; c’est ainsi qu’il met au point, avec Adolphe

 

Van Bever, une anthologie des Poètes d'aujourd'hui (1880-1900).

 

En 1902, il quitte son étude pour travailler chez un liquidateur judiciaire; c’est vers cette date qu’il compose le Petit Ami (1903), son premier ouvrage, inaugurant le genre de la confidence autobiographique qu'il ne cessera d’emprunter pour s’exprimer; le livre retrace les expériences de ses premières années, tout comme Amours (1906). La carrière littéraire de Léautaud apparaît alors toute tracée : après avoir

« dhal, son modèle, son maître à penser et à écrire, présent au détour de chaque page du Journal littéraire.

Comme J'auteur des Souvenirs d'égotisme, Léautaud voit en J'écriture non un métier (il méprise toute position sociale établie), mais un style de vie, une attitude existentielle; l'homme et J'auteur, pour lui, ne se distinguent pas, comme l'expriment ses aphorismes, empreints d'un tar­ dif classicisme : «Il faut écrire ce qu'on a vu, ce qu'on a entendu, ce qu'on a ressenri, ce qu'on a vécu » (Passe- Temps).

Écriture et littérature Ainsi, être un bon écrivain, ce n'est pas écrire > .

Léautaud plaide pour l'amateurisme et Je « style négligé », qu'iljuge plus près des choses, et répu­ die la pure technique littéraire : Stendhal contre Flaubert.

Il préfère la fantaisie du premier au « manœuvre du style » que lui paraît être le second.

En fai!;_ en des termes très classiques, voire un peu désuets (« �::crire bien, ce n'est autre chose qu'être clair, net et compréhensible »), Léautaud pose un problème spécifiquement contempo­ rain : comment éviter de transformer en «littérature>> l'expérience individuelle de l'écriture? Comment l'écri­ vain peut-il échapper au statut sclérosant de l'« auteur», ce « gestionnaire attitré du bien-écrire>> , comme le dépeint Barthes? Léautaud cherche une écriture qui ne sépare pas le signe verbal de son référent, qui fasse du mot l'immédiate présence du réel; matériau brut, volon­ tairement informel, subtilement grossier et négligent, la phrase doit porter la marque du moi, non du « travail » littéraire; plus cette empreinte semble spontanée, plus la vérité est sensible.

On comprend alors l'anrait de Léautaud pour Je frag­ ment autobiographique : chaque morceau de texte est un reflet du moi, que l'artificiel souci d'unité ne vient pas altérer.

Les contradictions internes sont une preuve sup­ plémentaire de vérité: tous les états d'âme du moi, tous ses moments, tous ses masques différents mais complé­ mentaires se trouvent ainsi exposés.

Le fragment permet de suspendre Je sens définitif; chaque texte est complété, modifié, déformé par le suivant : après les sarcasmes, les louanges.

Tout se mêle sans laisser d'impression défini­ tive au lecteur.

De cette conception de J'écriture dérive le scepticisme critique de Léautaud, et ainsi s'explique sa préférence pour « la forme heureusement la plus abandonnée » d'un Apollinaire.

Pour lui, nulle poésie «sans une certaine part d'imprécision, d'indéfini, d'incertain».

L'ennemi, c'est J'alexandrin, avec> (comprenons : Mallarmé et Valéry) exaspère Léautaud, qui voit en elle un présage de mort littéraire.

Le plaisir et le néant Car la mort effraie Léautaud; non pas la mort en elle­ même -le trépas -, mais son signe.

La plupart des ouvrages de l'écrivain raillent la signification qu'elle revêt dans la société : « Le chagrin pour les morts est une niaiserie r ...

J.

C'est sur nous-mêmes que nous pleu­ rons, sur le vide ou la privation qu'ils nous laissent.

Eux, ils sont morts, c'est-à-dire : ils ne sont plus rien.

Pleurer sur eux ne rime à rien » (Passe-Temps).

Donner un sens à chaque événement de l'existence, voilà la vraie mort : or, c'est à quoi s'emploie cette « littérature >> que 1 'égo­ tisme de Léautaud rejette; d'où les sarcasmes de l'écri­ vain, qui n'épargnent pas les grands auteurs eux-mêmes, dont l'œuvre et la mort, au regard de l'univers, n'ont aucune importance; ainsi, après les obsèques de Moréas, Léautaud note-t-il dans son Journal : > à laquelle ce lointain descendant des xvue et xvm• siècles français ait accepté d'obéir.

A l'instar de l'érotisme, que Léautaud exprime en maintes pages de ses romans ou de son Journal (et plus encore dans le Journal particulier, publié à partir de 1985), l'écriture libère mais en cela seulement qu'elle reflète le plaisir de l'instant.

BIBLIOGRAPHIE Le Mercure de France a entr ep ris la publication des Œuvres de Léautaud.

Voir aussi : Le Petit Ouvrage in ac hev é, éd.

Arléa, 1987: Bestiaire, Grasset, 1991.

Marie Dorm oy .

Léautaud, Paris, Gallimard, 1958; Raymond Mahieu, Paul Léautaud, la Reclrerche de l'identité, Paris, Minard.

« Bibliothèque des lettres modernes>>, 1974; Edith Slive, Paul Léautaud, 1985; Martine Sagaud, Paul Léautaud, La Manufacture, 1989.. »

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