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Lecture analytique : « l'huitre » de Francis Ponge

Publié le 09/10/2010

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lecture

 

Intro : Poème en prose du XXème siècle, extrait du recueil Le parti pris des choses «.

Ponge veut nous montrer des objets, choses tels que nous ne les regardons pas habituellement. Donc, d’une part, le poème met en place une exploration objective de l’objet, et d’autre part, il demande à être déchiffré pour voir ce qu’on peut appeler la poétisation de cet objet.

PB :  Comment le poème en prose parvient-il à rendre poétique un objet ordinaire ?

 

I° le poème est d’abord une description

 

   1) l’organisation du poème

    - 3 paragraphes de plus en plus courts : en fonction de la grosseur des elements décrits :

    • l’huitre close, dans son intégrité et la méthode pour l’ouvrir

    • a l’intérieur de l’huitre : le monde caché qu’elle renferme

    • la perle : la symbolique de l’objet

   = il faut accepter de dépasser l’aspect exterieur, l’apparence pour aller à la rencontre de la réalité qu’elle renferme. Le texte souligne aussi la difficulté que cela représente : l’homme doit se blesser pour l’ouvrir (l 7)

 

   2) les éléments de la description

    • on a une description très précise de l’huitre fermée : elle est comparée à un « galet moyen «, au moyen de comparatifs de supériorité  (« plus rugueuse «) et d’infériorité (« moins unie «). Tout est décrit, sa forme, sa taille, sa couleur, à l’aide du vocabulaire des cinq sens :

    - la vue : « apparence, grosseur, brillamment «

    - le toucher :  « plus rugueuse, la tenir, visqueux «

    - le goût : « boire, manger «

    - l’odorat : « l’odeur «

    • l’objet est vu sous tous ses aspects, positifs comme négatifs : c’est un objet dur et mou à la fois (« galet # s’affaissent, couteau # visqueux) , le suffixe « âtre « est utilisé pour montrer sa laideur ( « blanchâtre, verdâtre «)

    • l’oxymore : « brillamment blanchâtre « associe un terme positif à un terme négatif : l’huitre est un objet qui fascine et répugne en même temps.

    • Les sons sont en accord avec la description :

    - beaucoup de double consonne, de structures binaires et d’accents circonflexes ! qui imitent la forme en double coquille de l’huitre. (vers 1, 2,7 , 14)

    - les allitérations en R imitent la rugosité de la coquille (vers 1 et 3)

    • L’huitre ouverte (vers 11 à15) : une seule grande phrase qui crée l’ampleur de la mer d’où vient l’objet, idée reprise par l’évocation du « flux et reflux « au vers 14.

 

   3) une structure rigoureuse et narrative

    Il faut observer les adverbes, mots de liaison et verbes :

    - les adverbes donnent une organisation spatiale à la description : « en  dessous / au-dessus « V 12,13

                                                                                                                  « son enveloppe / a l’intérieur « V 9, 10

        «  sur les bords « V 15

    - organisation logique des phrases : « pourtant « V4 marque l’oppositon avec ce qui précède, les deux points V4 et V11 introduisent des explications et les deux points du V7 introduisent un lien de cause-conséquence

    - les verbes : « la tenir, se servir, s’y reprendre, s’y coupent, s’y cassent, l’on trouve… « sont des verbes d’action, c’est l’aspect pratique de l’objet qui est mis en valeur ici.

 

   = la description est une tentative pour voir l’objet sous tous ses aspects, positif et négatif. Le texte se présente de manière structurée, comme une définition, mais qui n’a malgré tout rien à voir avec celle du dictionnaire. Ponge veut dépasser le simple aspect banal de l’objet pour permette d’en saisir son « essence « : seule la poétisation de l’objet peut l’y amener.

 

   II) la poétisation de l’huitre

 

   1° la mise en valeur de l’huitre : « objet vivant «

   Le poème transforme l’huitre, objet banal, en sujet poétique grâce à une métaphore principale qui humanise l’objet :

    • certaines expressions lui attribuent des qualités comme à un être vivant :

    - V 3 : « opiniâtrement clos « : démontre une volonté propre

    - V8 :  «  les coups qu’on lui porte « : comme dans une lutte, semble se défendre

    - V 12 « s’affaissent « comme si elle était vaincue

    - V16 « le gosier « s’applique normalement à un animal ou un humain

    • dans le poème, l’homme est présent mais en arrière-plan :

    - le « on « au V4 suggère une présence sans l’identifier

    - les actions humaines sont suggérées sans que l’on voit l’auteur : « les doigts curieux « V6 ,7 c’est un Hypallage (déplacement du mot qui qualifie vers un autre mot pour ne pas désigner clairement la personne ici)

    - des V4 à 8 tout semble suggérer l’idée d’une lutte entre l’huitre et l’homme : le rythme ternaire « il faut alors la tenir….se servir d’un couteau….s’y reprendre….) auquel s’associe l’allitération en K « curieux, coupent, cassent) evoquent la violence de la lutte, l’acharnement de l’homme.

 

   2°) l’huitre : un monde métaphorique :

   Une fois ouverte, mais cela se mérite, l’huitre révèle ses secrets : l’intérieur est décrit comme un microcosme (petit univers)

    • le mot « monde « apparaît deux fois V10 et3. Au vers 3, c’est un monde impénétrable, vu de l’extérieur ; au vers 10, il révèle sa richesse évoquée par l’expression « à boire et à manger « et l’énumération des constituants internes.

    • On a l’évocation d’éléments naturels  et religieux :

    - « firmament « V11 : le poète insiste sur l’importance des sens propre et figuré pour montrer que l’huitre contient les deux, c’est ce qui en fait la richesse. ( = au sens propre, signifie en architecture « quelque chose qui soutient « , comme pour une voûte ; au sens figuré le mot désigne la voûte céleste). On retrouve également ici la similitude de la forme de l’huitre avec la voûte .

    - On  évoque la terre, la nature avec  les mots « qalet, mare , les bords « = la terre, l’eau et l’air

    - Le « divin « peut être compris avec « les cieux « V12 et les « ronds blancs, une sorte de halos « V9.

 Mais attention : Ponge n’idéalise pas l’objet, il veut rendre compte de toutes ses significations, c’est pourquoi il met également en valeur ce qui le déprécie :

    - « visqueux, noiratre, verdâtre « : l’objet répugne à l’odeur et à l’aspect

    - les’antithèses « dentelle noirâtre «, « cieux s’affaissent «  mettent  en valeur la complémentarité de ce qui fascine et ce qui répugne.

 

   4) la symbolique de l’huitre : une allégorie à la fois de l’écriture du poème et de sa lecture

    • la perle : c’est le symbole de la perfection, ici elle est associé à la rondeur : celle de l’huitre mais aussi celle du cosmos et du monde, tout est lié.

    • La « dentelle noirâtre « peut être le symbole de l’acte d’écrire, les lignes sur la feuille.

   = le poème est comme l’huitre : il faut réussir à entrer dedans pour en percevoir la beauté, cela demande des efforts et provoque des souffrances, d’où l’image de la lutte entre l’homme et l’objet.

    • la structure de la dernière phrase est particulière : elle clôt le poème avec des mots à double sens :

    - « formule « : signifie « petite forme « mais aussi « parole «

    - « perle « : évoque la perle (= le bijou) que renferme l’huitre, mais est ici employé en tant que verbe, ce qui donne l’impression que c’est l’huitre qui « dit la formule « : l’huitre devient donc le sujet du poème, mais elle en donne également la clé : la poésie est un trésor caché, il faut accepter de jouer, de saisir le sens des mots pour en comprendre la richesse.

 

Conclusion : pour révéler l’huitre, il a fallu la détruire, Ponge illustre ainsi ce que représente l’écriture poétique pour lui : le poème est une création mais qui nécéssite de détruire le langage pour mieux le reconstruire, lui donner un sens plus parfait.

 

lecture

« chiasme avec sa construction en miroir reproduit dans le langage la clôture de l’huître) et pour l’huître marquent son enveloppe .

Pourtant une lecture de L’Huître à l’aune d’un document scientifique permettrait de constater tous les écarts entre ce genre de texte et celui de Ponge.

Seuls les termes de nacre et de perle relèvent du lexique scientif ique, le recours aux métaphores témoigne lui de la subjectivité du regard : d’abord, celle du monde / firmament renforcée par celle des halos (au sens premier, auréoles lumineuses autour des planètes) opère un changement d’échelle, puis , celle de la mare ramène le monde à un « village » tandis que la dentelle rapproche l’huître de l’univers humain.

Il devient évident que L’Huître résiste au projet d’observation objective et suppose une représentation subjective.

Une représentation subjective : le regard du poète De très nombreuses et paradoxales modalisations entre méfiance et attirance affectent la description et participent à la subjectivité du regard.

Si l’objet huître a la forme d’un galet, les termes de la comparaison montrent qu’il n’en a pas les qualités : l’apparence plus rugueuse annonce d’emblée sa résistance (marquée par les allitérations en - g- et –r - des trois premiers segments de la phrase 1) , la couleur moins unie va dans le sens d’un objet moins lisible, l’oxymore brillamment blan châtre (soutenu par l’allitération et l’assonance qui souligne la ressemblance des deux mots juxtaposés comme les deux valves de la coquille ) induit la même difficulté à l’appréhender.

La récurrence du suffixe péjoratif –âtre (qui n’est certes pas fortuite : elle souligne l’imprécision du jugement) , l’emploi de s’affaisser dont la connotation est négative, la métaphore de la mare qui flue et reflue comme animée de sa propre (mais malodorante et insalubre) vie microscopique contribue à faire de l’huître un objet si non dégoûtant sachet visqueux , au moins douteux.

La sécheresse de la sentence C’est un monde opiniâtrement c los.

dresse un constat négatif puisque l’adverbe souligne l’intention de l’huître ainsi personnifiée de rester hors d’atteinte : seul le recours à la force les coups permettra d’y accéder.

Pourtant, la métaphore valorisante du firmament de nacre qui transfigure l’intérieur de la coquille témoigne bien de l’attirance du poète pour l’objet : filée par les cieux d’en -dessus et les cieux d’en -dessous , la métaphore lui donne une dimension cosmique et lumineuse déjà induite par brillamment et halos.

On peut aussi observer combien le texte hésite entre différentes formes d’écriture comme si aucune n’était satisfaisante à dire l’huître.

Si le titre et le premier § semblaient nous l’avons vu inscrire le texte dans une visée descriptive et objective, le deuxième paragraphe marque un net changement : le poète choisit dès lors la représentation subjectiv e et invite son lecteur à la partager .

D’abord, à boire et à manger modifie le rapport énonciateur/destinataire en détournant avec humour le sens populaire et figuré de l’expression pour l a r etrouver dans son sens propre.

Puis a vec l’italique de firmament et la parenthèse (à proprement parler) il s’adresse à son lecteur et à sa culture (étymologiquement « firmamentum » signifie « fermé », qui rappelle clos mais désigne aussi « ce qui soutient » : la voûte étoilée pour les astronomes de l’antiquité pour qui le ciel était solide et retenait un vaste océan dont la G enèse nous dit qu’il se dévers a lorsque la voûte fut rompue ).

Ainsi le poète signale l’emploi inhabituel du mot et invit e son lecteur à relire L’huître comme un poème pour voir se dérouler la métaphore filée de l’huître comme un microcosme : de C’est un monde ( souligné par le présentatif) à tout un monde puis à firmament et enfin cieux.

La dimension poétique est désormais flagrante.

Mais de sublime et céleste, l’huître se métamorphose à nouveau et semble se dégrade r dans la deuxième partie de la phrase ce que signale la négation restrictive ne plus former que : Comme Baudelaire ( La Charogne ) , Ponge revendique le pouvoir de la poésie à transformer les objets les plus humbles mare, sachet voire les plus répugnants visqueux et verdâtre en sujets poétiques.

En effet, le travail du poète devient manifeste lorsqu’il convoque en appelant tous les sens du lecteur (vue, odorat, à l’évidence mais aussi toucher dentelle et bords , goût grâce à la viscosité) l’image d’un paysage maritime .

L e rythme. »

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