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L’ÈRE DES MÉTAMORPHOSES : Évolution générale du genre

Publié le 14/01/2018

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une regrettable confusion des valeurs. Elle favorisait une effervescence de débats et de polémiques qui confère à cette période son caractère un peu survolté. Les prix, la publicité, la presse contribuent à tirer de l'ombre, en un seul jour, tel ou tel romancier. La mode change d'une saison à l'autre. Chaque éditeur tente sa chance avec des formules variées. On essaie de faire du bruit avec les romans qu'on écrit, ou, à défaut, avec ce qu'on écrit sur le roman. On n'a jamais tant parlé d'une crise du genre que dans ces années où il devenait envahissant.

 

Les générations littéraires Au lendemain de l'armistice, les maîtres

 

officiels de l'avant-guerre disparaissent les uns après les autres : Barrès, France, Loti, et plus tard, Bourget, qui se survit à lui-même et jouit, pendant de longues années, d'un paisible hono-rariat. Le contrecoup des hécatombes de la guerre se fait sentir : une génération d'écrivains a été fauchée et, avec Péguy, avec Emile Clermont, avec Alain-Fournier, le visage de l'après-guerre eût été assurément différent. La relève des maîtres a lieu dans des conditions particulières : Claudel, Proust, Gide, Valéry, qui ont fait leurs débuts vers i8go, ont attendu ces années d'après-guerre pour connaître la notoriété et la gloire. Ils sont les nouveaux chefs de file de cette période. Pour les jeunes, ils sont des complices plutôt que des pontifes. Breton et Valéry se rejoignent, malgré toutes les différences qui les séparent, dans leur commune suspicion à l'égard de la littérature, et en particulier de la littérature romanesque. Lafcadio, le héros des Caves du Vatican, est le grand cousin de bien des héros de l'acte gratuit et de la désinvolture cynique : les surréalistes ne l'ont pas désavoué. Jacques Rivière a reconnu l'auteur du Temps perdu comme son dernier maître ; il rendait hommage à Marcel Proust tout en disant Merci à Dada. A côté des hommes qui avaient eu vingt ans vers i8çgo, Gide, Proust, Estaunié, Boylesve, s'imposent les survivants de la génération suivante : ceux qui ont fait leurs débuts avant la guerre et qui sont les vedettes plutôt que les maîtres de l'après-guerre : Giraudoux et Colette, par exemple. Enfin, la décennie de l'après-guerre voit naître de nombreux talents nouveaux : Marcel Arland, Drieu la Rochelle, Henry de Montherlant, Julien Green, Georges Bernanos, et combien d'autres ! C'est une assez étonnante rencontre des générations que ces années où paraissent La Relève du matin, La Bonifas, Les Faux-Monnayeurs, Sous le soleil de Satan, Le Paysan de Paris, Thérèse Desqueyroux, Nadja, L’Ordre, L’Ame obscure, Les Conquérants.

 

Le cosmopolitisme littéraire Le mouvement avait commencé, en 1886,

 

avec l'apparition du Roman russe. Mais, après 1918, on entrait dans l'ère du cosmopolitisme. Le roman en était le premier bénéficiaire : c'est le genre qui, par nature, perd le moins à la traduction. L'afflux en France d'œuvres étrangères, suscitait de nouveaux pôles d'attraction et orientait le roman français vers de nouvelles destinées. On lisait Dostoïevsky, Meredith, George Eliot, Thomas Hardy, Conrad. Valery Larbaud attirait l'attention sur Ulysse de James Joyce. Les romans de Virginia Woolf, de Maurice Baring, de Forster étaient, presque dès leur parution, traduits et commentés en France. Pirandello et Rilke avaient

En bon élève de l'esthétique naturaliste, il a d'abord peint des milieux, observé la réalité, dans Nell Horn, par exemple, ou dans Le Bilatéral ; et il ne devait pas se priver par la suite de revenir, à l'occasion, au roman social, par exemple avec La Vague rouge. Mais cet << autre chose » dont il parlait, il l'a cherché d'abord dans le roman d'hypothèse scientifique qu'il aborda avant Wells. Il se proposait de trouver << dans les acquêts de la science et de la philosophie des éléments de beauté plus complexes, plus en rapport avec le développement d'une haute civilisation ». La Force mystérieuse, Les Xipéhuz, La Mort de la terre, constituaient autant d'illustrations saisissantes d'un univers pluralistique. Par ailleurs, Rosny aîné mettait en œuvre, dans ses romans préhistoriques, les connaissances de paléontologie qu'il avait acquises. Vamireh, Eyrimah, Les Origines, La Guerre du feu, Le Félin géant, appuyés sur une érudition souvent solide, développaient des intrigues faciles rehaussées par la puissance d'une imagination capable de ressusciter les temps disparus, et, dans les meilleurs endroits, de communiquer au lecteur une sorte d'effroi.

 

Les romanciers Tout un courant de littérature romanesque

 

de la réaction idéaliste idéaliste traversait les décennies pendant

 

lesquelles s'affirmait le triomphe du réalisme. Au temps du romantisme, George Sand s'était opposée à Balzac et à Eugène Sue. Plus tard, Octave Feuillet, Georges Ohnet, Victor Cherbuliez proposaient un univers édulcoré qui flattait les rêveries complaisantes d'un public petit bourgeois. Les auteurs de romans romanesques ont été, sous le Second Empire, les représentants dérisoires de l'idéalisme. Bien au-dessus de ces auteurs de troisième ordre, mais qui ont connu de gros succès de librairie, les œuvres de Gobineau, de Barbey d'Aurevilly, et surtout de Villiers de l'Isle-Adam manifestaient un beau mépris pour le monde moderne. D'ailleurs, ils écrivaient plutôt des contes, ils n'avaient guère d'estime pour un genre qui s'adressait à un vaste public et qui s'attachait généralement à peindre les mœurs contemporaines. A côté des Nouvelles asiatiques, Gobineau a laissé un grand roman, Les Pléiades, où des héros exceptionnels, et se tenant pour tels, poursuivaient à travers leurs aventures un certain idéal de vie qui les confirmait dans leur singularité et qui les détournait des mœurs du plus grand nombre. Dans les années mêmes où Zola et Goncourt s'appliquaient à peindre les mœurs de leur temps, Gobineau s'abandonnait à un rêve aristocratique et sentimental. Villiers de l'Isle-Adam connut de grands succès avec ses Contes cruels. Mais il fut aussi le romancier de L ’Ève future. Il devançait Wells dans l'utilisation logique d'une donnée savante. C'était un étrange roman que celui-ci. Villiers prêtait à Edison de curieuses inventions. Le livre cinquième exposait avec un grand luxe de détails le << système vivant », le << médiateur plastique », la << carnation », bref, tous ces disques, cylindres, moteurs électromagnétiques, fluides, à l'aide desquels le savant construisait une femme idéale. Le bricolage génial au service de l'éternel féminin ! Mais Hadaly n'était pas seulement une poupée articulée. Elle surprenait parfois son constructeur, nouvel apprenti sorcier, car l'occultisme venait relayer le scientisme positiviste : une âme venait habiter cette machine corporelle. L'union d'un principe immatériel et d'un organisme

ou autobiographique au roman objectif ? L'analyse des sentiments et l'étude des mœurs restent les deux sillons essentiels. Il faut pourtant inventer de nouvelles catégories pour y ranger des œuvres qui ressortissent à de nouveaux desseins : le roman social, le roman collectif se proposent de peindre les foules, en un temps où l'on s'avise de l'existence d'une psychologie des foules. Il faut bien ajouter à la catégorie du roman historique celle du roman préhistorique, pour y ranger ceux de Rosny aîné. On continue à désigner, par l'expression de << romans romanesques )>, des œuvres qui se proposent de divertir par des péripéties plutôt que d'instruire par des analyses. On doit recourir à l'expression de roman artiste pour évoquer des livres comme ceux de Pierre Louys ou d'Henri de Régnier. Dans quelle catégorie ranger les romans de Louis Bertrand ou de Jérôme et Jean Tharaud, qui suivent des itinéraires d'évasion ? Sous quelle rubrique placer les œuvres de Marcel Prévost, d'Abel Hermant, d'Edouard Estaunié, de René Boylesve, qui sont moralistes et psychologues autant que peintres des mœurs ? C'était une solution de facilité caractéristique du désarroi des esprits que de baptiser << féminins )> les romans dont des femmes étaient les auteurs.

 

Permanence des structures En 1905, dans l'enquête de Le Cardonnel

 

et Vellay, Edmond Jaloux déclarait que les romanciers français devaient renouveler leurs procédés techniques ; Gide, de son côté, estimait que l'on entrait dans une époque où l'apparition de nouveaux caractères pouvait transformer le roman. Pourtant, on ne voit se dessiner, avant 1914, aucun renouvellement des caractères et des techniques. Le roman est toujours constitué d'une alternance de descriptions, d'analyses, de récits et de dialogues. Seul le dosage de ces divers éléments variait d'un auteur à l'autre. Il y eut, pendant quelques années, un engouement en faveur d'un roman tout entier constitué de dialogues : les succès que rencontra le genre dialogué, avec Gyp ou Abel Hermant, furent de courte durée ; pourtant Roger Martin du Gard utilisait à nouveau le procédé en 1913 dans Jean Barois. Quant à la composition, elle était en général fondée sur les structures qui avaient eu cours pendant le xixe siècle. On peignait une crise et son dénouement après avoir mis en place une lente préparation ; on retraçait une vie par une lente succession d'épisodes ; ou l'on présentait un milieu en explorant, de chapitre en chapitre, des secteurs différents. Les romanciers gardaient les deux ambitions qui avaient animé la plupart de leurs devanciers du siècle précédent : présenter un tableau des mœurs de leur temps et raconter une histoire. Cette double exigence d'une affabulation romanesque et d'une observation sociale constituait le caractère essentiel de la création romanesque. On était seulement tenté de mettre l'accent sur l'un ou l'autre aspect. Les Margueritte, dans les quatre volumes du Désastre, voulaient se faire les historiens de la guerre de 1870 plutôt que de raconter une histoire fictive. Inversement, il y avait, dans certaines intrigues d'Henry Bordeaux, une affabulation qui rappelait André Theuriet ou Victor Cherbuliez, et, dans ce cas, les données d'une intrigue conventionnelle supplantaient la peinture des mœurs.

 

Il faudrait faire leur place aux quelques rares tentatives qui entreprenaient de bouleverser la facture traditionnelle du roman. C'étaient celles

« d'autres, les signes d'un affaiblissement des positions intellectuelles et esthétiques de l'école que Zola avait groupée autour de lui une dizaine d'années auparavant.

Cette école n'avait jamais été très unie.

Edmond de Goncourt avait voulu l'orienter vers la peinture « des milieux d'éducation et de distinction 1>.

Maupassant avait toujours marg.ué son indépendance.

Avec A Rebours (1884), Huysmans avait eu le sentunent que l'esthétique de Médan conduisait à une impasse : les premières pages de Là-bas, en 1891, fustigeaient un art dont il cherchait à s'échapper.

Il n'était pas le seul à dé­ noncer les insuffisances esthétiques, spirituelles et morales du naturalisme.

Brunetière s'y employait, depws 1875, au nom des valeurs classiques.

De Vogüé, dans la préface du Roman russe, en 1886, discréditait le réalisme français en le com parant à celui de romanciers comme Dostoievsky ou Tolstoï qui, selon lui, avalent su ajouter à leur observation de la vie les leçons d'une pitié évangélique ou, en tout cas, d'une large sympathie humaine.

Au mora­ lisme d'Eugène Melchior de Vogüé venaient bientôt se joindre toutes les valeurs nouvelles du symbolisme et de l'idéalisme.

La description des objets ou la peinture des mœurs paraissaient dérisoires à des esprits persuadés que le rôle de l'écrivain était de déchiffrer le sens caché des apparences.

On remettait en question une conception du roman qui avait prévalu en France de Balzac à Zola : une vaste enquête sur la nature et sur l'homme.

Barrès, en 1888, tournait en dérision une entreprise comme celle des Goncourt, qui cherchaient à amasser le plus de renseignements possibles sur la vie commune.

On reprochait au roman réaliste de se confiner dans le. »

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