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les fabliaux

Publié le 05/12/2012

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Le rire dans Le Vilain de Bailluel Introduction Le fabliau qui fera l'objet de notre étude, s'intitule Le Vilain de Bailluel. Son auteur, Jean Bodel, appartint à la Confrérie des jongleurs et des bourgeois d'Arras[1], et mourut en 1210 dans la léproserie de Beauvains, nous informe A.Brasseur[2]. Il écrivit dans les années 1190, et se trouve être le plus ancien auteur de fabliaux qui nous soit connu. Auteur de fabliaux, mais aussi de pastourelles, de poèmes (la Chanson des Saisnes, longue épopée en alexandrins), de drames (le Jeu de saint Nicolas), son ?uvre littéraire est donc riche et variée. Il existe six manuscrits de ce fabliau dont les rédactions sont voisines, même « si elles présentent des traces de réfection[3] «. Les titres diffèrent en fonction du manuscrit, mais l'on y retrouve toujours les mots- clefs « mort «, et « vilain «. Jean Bodel, lui même dans son fabliau Deus Chevaux fait allusion à ce conte, l'intitulant « Et del mort Vilain de Bailluel «. A le lire, il s'est inspiré pour ce fabliau de quelque ouvrage littéraire. Il fait effectivement référence à un maître dès le début du conte : « dont avint il, ce dist mes mestre[4] «. Et il termine par : « mes li fabliaus dist en la fin(...)[5]. Comme le signale donc, dans sa thèse, Charles Foulon, « de l'aveu du poète lui-même, il y a découverte dans le fonds commun des histoires plaisantes.[6] «. D'après ses recherches, ses sources ont pu être le récit n°VII des Sept sages, dans lequel on retrouve la même morale : un roi auquel un sénéchal a pris sa femme parce que « celui-ci crut plus aux paroles qu'à ses yeux qui connaissoient la vérité[7]«. Et tout comme P.Ménard[8], il compare le vilain de Bailleul à un autre mari cocufié dans le très célèbre Trois Dames qui troverent l'anel au conte. Le Vilain de Bailluel, conte caractérisé par sa brièveté, comme la majeure partie des fabliaux, est composé de 116 vers. L'action du récit est, elle aussi, courte, se déroulant en quelques heures, et progressant de manière linéaire. Elisabeth Gaucher évoque la structure théâtrale de ce récit[9], construction digne du dramaturge qu'était aussi Bodel. L'arrivée du paysan affamé qui réclame sa bouillie, les paroles échangées entre les époux, la ruse déployée par la femme pour le convaincre de sa mort, la résistance du vilain face à sa femme qui veut sa mort, puis sa résignation, ont pour correspondant dans la suite du récit, « le deuxième acte «, l'arrivée du prêtre, qu'un bon festin, amoureusement préparé, attend ; les paroles échangées entre les amants, le simulacre de l'oraison funèbre, la scène de débauche provoquant les reproches du vilain au prêtre qui le cocufie, puis sa résignation... On a donc une réelle progression dramatique agrémentée de dialogues vifs. C.Foulon parle à propos de Bodel de « génie du théâtre[10] «. D.Boutet définit précisément le fabliau. Il est essentiellement une bonne histoire, une narration plaisante, « un genre narratif bref, non animalier, en octosyllabes, dans lequel les caractères, la trame narrative, le registre sociologique, et le ton relèvent, les uns et/ou les autres et à des degrés divers, du style bas tel qu'il ressort de l'esprit général des Arts Poétiques contemporains[11]. «. Tenons-nous en à la définition des fabliaux, incomplète et simplifiée, de Joseph Bédier[12], des « contes à rire en vers «, puisque c'est la problématique du rire qui nous intéresse dans cet exposé. L'objectif du conteur sera de tout mettre en ?uvre pour que l'action dramatique du fabliau provoque sourires, et rires. « Le reste ne compte guère «, affirme P.Ménard[13]. Nous axerons donc notre étude sur le rire dans Le Vilain de Bailluel : en quoi ce fabliau prête-t-il à rire ? quelles sont les tactiques de son auteur pour nous amuser ? Pour saisir toutes les nuances du rire, il s'agit d'en faire une étude littéraire, stylistique, psychologique et sociologique. « Le comique est toujours révélateur des mentalités médiévales. Pour comprendre les auteurs de fabliaux, il faut savoir comment, de quoi et pourquoi ils riaient.[14] «. Tentons de nous y appliquer pour l'étude de notre fabliau. Jean Bodel, comme le signale E.Gaucher[15], reprend dans Le Vilain de Bailluel, tous les stéréotypes du conte à rire. Un thème traditionnel Le thème central de l'adultère se rencontre dans maints fabliaux. Comme l'observe P.Ménard[16], sur un panel de 130 fabliaux, une bonne quarantaine sont des histoires d'adultère. On y retrouve donc, comme dans les comédies de boulevard, la situation triangulaire. Mais dans les fabliaux, c'est presque toujours la femme qui prend un amant. « Quand on veut rire, une histoire de mari trompé est tout à fait à sa place.[17] « Ainsi, Bodel recourt-il aussi à ce thème pour mener à bien son intention d'écrire une histoire comique. Des personnages stéréotypés Bodel a choisi des personnages stéréotypés pour son fabliau, fidèle à la tradition littéraire du genre. « Tel estat, tel caractère[18] « : « Les fabliaux sont construits pour la plupart autour de quelques stéréotypes sociaux dont l'affrontement obéit à des règles(...)[19] «, affirme M.- T.Lorcin. Et c'est dans les fabliaux à triangle, ajoute-t-elle, que les types sont le mieux dessinés et leur affrontement le plus schématisé. Charles Foulon[20] estime que les contes de Bodel, font même davantage que ceux de ses contemporains une place à la psychologie. Ainsi, les personnages qu'il met en scène sont des types marqués en fonction de leur profession. Dans notre fabliau, interviennent donc le mari, « uns vilains «, paysan habitant Bailleul ( vers 3), sa femme, « Erme « (vers 32) et l'amant de celle-ci, le « chapelain « (vers 12), le « prestre « (vers 14). On retrouve donc le thème traditionnel de la femme adultère « dans la plus pure tradition anticléricale[21] «. Penchons-nous sur ces personnages du scénario triangulaire. Le vilain Il est le protagoniste du fabliau. Il est question brièvement de ses activités paysannes : ce paysan « formenz et terres ahanoit[22] «. D'autres détails dans le fabliau témoignent de ce contexte rural : la présence de la vache que le paysan entend meugler (vers 43) ; la « haise[23] «, clôture de branchage que l'on pouvait ouvrir et fermer, est aussi une « confirmation intéressante « de ce paysage rural, nous dit P.Ménard[24]. De même le « lit normal des simples[25] «, lit de paille hachée et de paume de pois, confectionné par l'épouse dans un coin de la chambre, avec des draps en toile de chanvre. Ces quelques touches réalistes nous permettent d'entrevoir le milieu rural de l'époque. Jean Bodel précise d'ailleurs le lieu de l'action dans le titre. Comme la plupart des fabliaux qui lui sont attribués, l'histoire se situe donc dans le milieu rural, dans la campagne du Nord de la France, une petite bourgade près d'Arras, Bailleul. P. Ménard nous informe que l'auteur connaissait bien le pays, et sans aucun doute cette petite localité picarde[26]. Cette localisation géographique vise à donner une impression de réalité, l'illusion du réel, tout comme l'introduction du fabliau : « dont avint il, ce dist mes mestre, c'uns vilains a Bailluel manoit ;[27] «. Il rentre chez lui « a eure de prangiere[28]«, affamé[29]. Les vers 8 à 11 nous dépeignent cet homme, et nous dressent un portrait peu flatteur du personnage, caractérisé par sa laideur, sa bêtise, son antipathie : « granz et merveilleus, et maufez et de laide hure, ert, et de lait pelain «. L'auteur insiste sur l'aspect frustre, répugnant du vilain. Il accentue ce trait pour nous amuser. Le vilain tiendra donc le rôle ingrat du mari laid, bête, et trompé. P.Ménard évoque la laideur comme motif secondaire du comique de situation. « Les auteurs de fabliaux ne s'embarrassent pas de nuances lorsqu'ils croquent un portrait. Pour eux un physique affreux n'appelle pas la sympathie : ou bien il fait peur ou bien il fait rire, et parfois les deux à la fois[30]. « Jean Bodel fait ainsi le portrait d'un paysan quelque peu effrayant de par son aspect physique. La laideur fait rire au Moyen Age, ce qui aujourd'hui apparaîtrait comme très politiquement incorrect...Elle est une « sorte d'affirmation presque inconsciente de la supériorité du rieur[31] « note ingénieusement C.Foulon. Ainsi, Bodel recourt-il au lexique traditionnel de la laideur pour dépeindre son vilain : « Il estoit granz et merveilleus, et maufez et de laide hure[32] «. Et Bodel redouble l'effet comique : on imagine le vilain grimaçant, lorsqu'il « baaille et de famine et de mesaise.[33]«, revenant exténué, et affamé, après une matinée passée à labourer les champs. Dans notre fabliau, le vilain, qui passe de dures journées de labeur sur ses terres, est un type comique : il est le mari trompé, dont le ridicule se caractérise par sa naïveté, son aveuglement. Mais on peut aussi lui trouver un côté touchant. C.Foulon va jusqu'à parler de sa « générosité véritable[34]«. Effectivement, on peut compatir à son malheur lorsque, témoin de l'adultère, il exprime sa douleur morale par l'interjection : « Ahi, ahi [35]«. Mais nous devons bien avouer que malgré le tort qui lui est causé, le rire l'emporte! Il ne s'agit évidemment pas pour l'auteur de tourner son histoire au tragique! L'absence totale d'intelligence du vilain, son ingénuité nous font rire. « D'une manière générale, pour nos auteurs les gens du peuple ont des esprits frustes et simples, rudes et grossiers[36]. « « (...) les personnages qui manquent d'intelligence et de jugement font naître le rire.[37] «. Et d'ajouter une réalité, bien que peu flatteuse pour la nature humaine : « La stupidité est plaisante pour celui qui s'estime supérieur.[38] «. La femme Dame Erme est une femme au foyer, « sans profession «. Dans les fabliaux, la vie de femme au foyer n'a rien d'astreignant, nous dit M.-T.Lorcin[39], et cela quelles que soient les ressources du ménage. Ainsi, est-elle libre pour l'amour, et ses « perpétuelles vacances lui donnent (...) l'avantage sur l'homme.[40] «. Contrairement à son mari, épuisé par le travail aux champs, dame Erme, elle, n'est jamais fatiguée, et en son absence, concocte un petit festin pour son amant qu'elle s'apprête à recevoir pour passer la journée à s'ébattre dans ses bras ! Et c'est par la ruse que notre femme adultère parvient à ses fins. La ruse est la spécialité des femmes dans les fabliaux, nous dit M.-T.Lorcin[41]. « Même s'il n'est pas brutal, l'homme représente dans le ménage la force et l'autorité. A la force, la femme oppose la ruse, arme traditionnelle des faibles, des inférieurs, des dominés. [42]«, ajoute la critique. La ruse permettra donc à dame Erme, personnage en apparence le plus faible, de triompher de son mari, qui possède lui, la force physique, mais non l'intelligence ! Sa ruse est donc mise au service de la luxure, de l'adultère dans cette histoire. Les propos de M.-T.Lorcin au sujet des femmes rusée rencontrées dans les fabliaux s'appliquent très bien à notre personnage féminin : « toutes ont assez d'imagination pour concevoir un stratagème, assez d'habilité pour le mener à bien, et de présence d'esprit pour sauver une situation compromise.[43] «. Les épithètes dont se sert Bodel pour la présenter ont pour effet de mettre en avant son caractère fourbe. On la voit organiser l'intrigue, et la mener à ses fins sans embûche. Le rendez-vous avec le prêtre est déjà pris : « Et cele amoit le chapelain, s'avoit mis jor d'ensamble a estre le jor entre li et le prestre «[44]. Elle a donc préparé de délicieux mets qui différent d'une nourriture simple et rustique...

« L’arrivée du paysan affamé qui réclame sa bouillie, les paroles échangées entre les époux, la ruse déployée par la femme pour le convaincre de sa mort, la résistance du vilain face à sa femme qui veut sa mort, puis sa résignation, ont pour correspondant dans la suite du récit, « le deuxième acte », l’arrivée du prêtre, qu’un bon festin, amoureusement préparé, attend ; les paroles échangées entre les amants, le simulacre de l’oraison funèbre, la scène de débauche provoquant les reproches du vilain au prêtre qui le cocufie, puis sa résignation...

On a donc une réelle progression dramatique agrémentée de dialogues vifs.

C.Foulon parle à propos de Bodel de « génie du théâtre 10 ». D.Boutet définit précisément le fabliau.

Il est essentiellement une bonne histoire, une narration plaisante, « un genre narratif bref, non animalier, en octosyllabes, dans lequel les caractères, la trame narrative, le registre sociologique, et le ton relèvent, les uns et/ou les autres et à des degrés divers, du style bas tel qu’il ressort de l’esprit général des Arts Poétiques contemporains 11 .

». Tenons-nous en à la définition des fabliaux, incomplète et simplifiée, de Joseph Bédier 12 , des « contes à rire en vers », puisque c’est la problématique du rire qui nous intéresse dans cet exposé. L’objectif du conteur sera de tout mettre en œuvre pour que l’action dramatique du fabliau provoque sourires, et rires.

« Le reste ne compte guère », affirme P.Ménard 13 . Nous axerons donc notre étude sur le rire dans Le Vilain de Bailluel : en quoi ce fabliau prête- t-il à rire ? quelles sont les tactiques de son auteur pour nous amuser ? Pour saisir toutes les nuances du rire, il s’agit d’en faire une étude littéraire, stylistique, psychologique et sociologique.

« Le comique est toujours révélateur des mentalités médiévales.

Pour comprendre les auteurs de fabliaux, il faut savoir comment, de quoi et pourquoi ils riaient.

14 ».

Tentons de nous y appliquer pour l’étude de notre fabliau. Jean Bodel, comme le signale E.Gaucher 15 , reprend dans Le Vilain de Bailluel , tous les stéréotypes du conte à rire.

10 C.Foulon, L’œuvre de Jean Bodel , 1958, p.102. 11 Dominique Boutet, Les Fabliaux , Presses Universitaires de France, Etudes littéraires, 1985, p.28. 12 Les fabliaux, études de littérature populaire et d’histoire littéraire et d’histoire littéraire du Moyen Age , Paris, 1964. 13 Philippe Ménard, Les fabliaux.

Contes à rire du Moyen Age , Presses Universitaires de France, Littératures modernes, 1983, p.29. 14 Philippe Ménard, Les fabliaux.

Contes à rire du Moyen Age , Presses Universitaires de France, Littératures modernes, 1983, p.166. 15 Elisabeth Gaucher, « La fausse mort de Vilain de Bailleul (Jean Bodel)» in Nord’ : revue de critique et de création littéraire du Nord/Pas de Calais , n°24, décembre 1994, p.87.. »

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