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Les Moralistes du XVIIe siècle

Publié le 15/05/2011

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I. — GÉNÉRALITÉS

— On appelle moralistes des écrivains qui décrivent le coeur humain et les moeurs des hommes. - Ils sont de deux sortes. Les u4 sont moralistes dans la mesure où il faut s'être fait une idée de l'homme pour composer une tragédie ou une comédie, un sermon ou une fable; aussi y a-t-il un moraliste et une morale chez presque tout écrivain du XVIIe siècle, chez Racine comme chez Bossuet, chez La Fontaine comme chez Molière. Les autres sont uniquement moralistes, et la seule forme littéraire qu'ils donnent à leur connaissance de l'homme, c'est la pensée, la maxime, ou bien le portrait : voilà les moralistes proprement dits. — Les moralistes proprement dits du XVIIe siècle sont La Rochefoucauld, Pascal, La Bruyère, — pour ne nommer que les principaux. — Encore faut-il faire entre eux une distinction importante. La Rochefoucauld et Pascal ont observé et décrit le coeur humain d'une façon absolue et dans ce qu'il a d'éternel; La Bruyère s'est intéressé surtout à ce qu'il en pouvait examiner chez ses contemporains. Les deux premiers sont plus philosophes, le troisième est surtout un peintre de moeurs. — Tous les moralistes du XVIIe restent strictement fidèles à leur titre, ils ne sortent pas du domaine psychologique et moral. Même quand ils sont amenés à critiquer la société de leur temps, ils le font en psychologues impartialement soucieux de morale : c'est le cas de La Bruyère.

« d'étendre leur clientèle mondaine, montraient une indulgence plus grande pour le péché; ils étaient accusésd'accommoder la morale chrétienne aux faiblesses du monde par le moyen de la casuistique.— La casuistique est la connaissance et la solution des cas de conscience; elle pèse les fautes humaines en tenantcompte de tout ce qui peut les alléger, circonstances et intentions.

Quelques théologiens en ont abusé grâce à desprocédés subtils, dont voici les principaux.

— a) La « doctrine des équivoques » autorise l'emploi de termes ambigusque l'on entend dans un sens, tandis qu'on laisse l'interlocuteur les entendre dans un autre.

— b) La « directiond'intention » corrige le vice de l'action par la pureté de l'intention; par exemple, le souci de sauver son honneurcorrige le vice du duel.

— c) La « restriction mentale » est un sous-entendu qui annule le mensonge; par exemple,on dit tout haut : Je jure que je n'ai pas commis telle faute, et l'on ajoute tout bas : tel jour.

— d) La « probabilité »est l'avis d'un seul docteur, qui suffit à innocenter un acte que cent autres docteurs condamnent.— Ces habiletés casuistiques ont paru à Port-Royal le comble de l'hypocrisie.

Il est certain que maints casuistesexagéraient la subtilité et l'indulgence, et qu'à force de mettre la morale au gré de la société mondaine, ilsfinissaient par la compromettre gravement.

Mais il est certain également que les Jansénistes ont été animés contrela casuistique d'une passion trop vive pour la comprendre toujours bien; ils en ont souvent faussé le sens endétachant leurs citations d'un contexte qui légitimait tout; ils ont été injustes pour ce qu'il y avait chez lescasuistes de fine exactitude et de sens psychologique aigu.— La doctrine dont Port-Royal devint le foyer allait évidemment contre l'orthodoxie et les Jésuites étaient un corpspuissant.

C'est pourquoi le jansénisme se vit condamné par le Pape et la Sorbonne; c'est pourquoi aussi religieuseset solitaires ont subi des persécutions successives, depuis l'année 1638 où Saint-Cyran fut emprisonné, jusqu'al'année 1710 où, religieuses chassées, le roi ordonna la destruction de l'abbaye.

Port-Royal s'est défenducourageusement.

Et quand Pascal est intervenu dans la lutte en publiant les Provinciales, s'il ne vainquit pas sesennemis sur le terrain religieux, il atteignit leur crédit moral aux yeux du monde; l'expulsion des Jésuites, en 1762,doit être considérée en partie comme une conséquence des critiques de Pascal, du grand Arnauld, de Nicole et deSaint-Cyran.— Port-Royal a exercé une influence incontestable sur la société et la littérature du XVIIe siècle.

Des salons enétaient pénétrés; beaucoup d'esprits la reflétèrent avec sympathie (notamment Mme de Sévigné : cf.

Sévigné, 6,fin de 7).

De grands ouvrages, ceux de Pascal, sont entièrement jansénistes; et la conception janséniste de lanature humaine a sa part dans l'inspiration de beaucoup d'autres : ceux, de La Rochefoucauld, de La Bruyère, deRacine. III.

— LA Rochefoucauld (1613-1680) — François de La, Rochefoucauld a été une figure importante de la haute société.

Il se mêla activement à la Fronde.Blessé au combat de la porte Saint-Antoine et déçu dans ses ambitions, il vécut quelques années dans la retraite,puis passa la dernière partie de sa vie à Paris fort paisiblement.

C'était un habitué du salon de Mme de Sablé, où sepratiquait la dissertation morale sous forme de maximes, et où fréquentaient les messieurs de Port-Royal.Précisément il a publié un recueil de Maximes, beaucoup plus célébrés que ses Mémoires, et l'influence janséniste n'yest pas moins manifeste que celle de son expérience politique et mondaine.— Méditatif, chagrin, La Rochefoucauld a laissé dans les Maximes le testament de son pessimisme.

Ce livrereprésente un effort puissant pour mettre à nu l'âme humaine et définir l'homme intérieur le plus secret.— La Rochefoucauld est un philosophe.

De ses expériences intimes et publiques, il a dégagé un système qui ad'ailleurs plus d'ampleur que d'originalité, car il lui est commun avec beaucoup de ses contemporains.— Tout d'abord, La Rochefoucauld nie la liberté humaine, puisqu'il croit à un enchaînement secret de toutes choseset qu'il voit l'homme en proie aux passions.

Puis, à cette vie rigoureusement déterminée et esclave des passions, ildécouvre un axe, un trait permanent qui assure la marche générale de la destinée.

Cet axe, ce trait permanent, brefle mobile de toutes nos actions, c'est « l'amour-propre », c'est-à-dire l'amour de soi, le sens de l'intérêt personnel,l'égoïsme.

La Rochefoucauld prétend le retrouver au fond même de l'amour, et sous le déguisement des noblessentiments ou des vertus, — amitié, justice, pitié.

Pour lui, l'amour est égoïste; et c'est pourquoi, non satisfait, il setourne facilement en haine; l'amitié est un ménagement réciproque d'intérêts, un échange de bons offices; lesentiment de la justice est la crainte de souffrir l'injustice; la pitié est le sentiment de nos propres maux dans lesmaux d'autrui.— Une analyse si impitoyable de l'âme humaine y met à jour bien des laideurs (petitesses, hypocrisies, cruautés) quenous ne soupçonnions pas : il y a dans La Rochefoucauld de fortes vérités.

Mais il a trop généralisé.

Sa théoriepessimiste est fausse complètement pour certains cas assez rares; elle est fausse en grande partie pour l'ensembledes cas humains.— L'être humain se montre parfois capable d'actions absolument désintéressées, et par conséquent de vertu oud'héroïsme authentique.

Le soldat qui donne sa vie dans telle circonstance où il est de sang-froid et où il saitqu'aucune gloire ne le récompensera; l'infirmière qui soigne des contagieux avec dévouement; le modeste citoyenqui sacrifie son gagne-pain à ses convictions; l'homme ou la femme qui, par amour, fait abandon de tous sesintérêts; l'ami qui est dévoué à son ami comme Montaigne l'a été à La Boétie : voilà des exemples dedésintéressement indéniable et qui démentent magnifiquement la morale de l'intérêt.

Il est d'ailleurs remarquable queLa Rochefoucauld lui-même n'ait pas osé parler de certains sentiments comme l'amour paternel, maternel, filial, oucomme l'amour de la patrie.— Même pour l'ensemble commun de l'âme humaine, La Rochefoucauld n'a raison qu'en partie.

L'amour de soi y entrecomme composant, mais avec beaucoup d'autres éléments : à mettre celui-là en vedette, on présente une idéesystématique et incomplète de l'être vivant.

Par exemple, dans l'acte de l'homme qui se jette à l'eau pour en sauverun autre, bien des causes se peuvent démêler : la fierté de sa force, l'ambition de mériter des louanges ou même. »

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