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L'inondation, Emile Zola: La Garonne est en crue: une famille de paysans est assiégée par les eaux.

Publié le 10/11/2010

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Le crépuscule était venu. Une clarté louche flottait au-dessus de la nappe limoneuse. Le ciel pâle avait l'air d'un drap blanc jeté sur la terre. Au loin, des fumées traînaient. Tout se brouillait, c'était une fin de jour épouvantée s'éteignant dans une nuit de mort. Et pas un bruit humain, rien que le ronflement de cette mer élargie à l'infini, rien que les beuglements et les hennissements des bêtes ! - Mon Dieu! mon Dieu ! répétaient à demi voix les femmes, comme si elles avaient craint de parler tout haut. Un craquement terrible leur coupa la parole. Les bêtes furieuses venaient d'enfoncer les portes des étables. Elles passèrent dans les flots jaunes, roulées, emportées par le courant. Les moutons étaient charriés comme des feuilles mortes, en bandes, tournoyant au milieu des remous. Les vaches et les chevaux luttaient, marchaient, puis perdaient pied. Notre grand cheval gris surtout ne voulait pas mourir; il se cabrait, tendait le cou, soufflait avec un bruit de forge ; mais les eaux acharnées le prirent à la croupe, et nous le vîmes abattu, s'abandonner. Alors, nous poussâmes nos premiers cris. Cela nous vint à la gorge, malgré nous. Nous avions besoin de crier. Les mains tendues vers toutes ces chères bêtes qui s'en allaient, nous nous lamentions, sans nous entendre les uns les autres, jetant au-dehors les pleurs et les sanglots que nous avions contenus jusque-là. Ah ! c'était bien la ruine les récoltes perdues, le bétail noyé, la fortune changée en quelques heures ! Dieu n'était pas juste nous ne lui avions rien fait, et il nous reprenait tout. Je montrai le poing à l'horizon. Je parlai de notre promenade de l'après-midi, de ces prairies, de ces blés, de ces vignes, que nous avions trouvés si pleins de promesses. Tout cela mentait donc ? Le bonheur mentait. Le soleil mentait, quand il se couchait si doux et si calme, au milieu de la grande sérénité du soir. L'inondation, Emile ZOla, 1882 

 

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« Zola, écrivain du peuple, décrit les conséquences terribles de cette catastrophe.

Le bilan est très lourd : « Lesrécoltes perdues, le bétail noyé, la fortune changée en quelques heures ! » L'ampleur des dégâts est aussi perceptible grâce aux rythmes ternaires, que l'on remarque dans l'énumération de ces conséquences, et qui répondent aux promesses du début de journée, promesses « de ces prairies, de ces blés, de ces vignes».

Cesrythmes ternaires illustrent le « ronflement de cette mer» : « Les vaches et les chevaux luttaient, marchaient, puisperdaient pied »; ils donnent un souffle épique au texte, et mettent en valeur la révolte, l'incompréhension dunarrateur devant ces promesses non tenues. Nous nous trouvons en outre devant une manifestation collective de désespoir : cris et gémissements se mêlent aubruit des éléments et des animaux.

Ce mouvement, causé par l'angoisse, est incontrôlable : «cela nous vint à lagorge, malgré nous».

Cette réaction collective est cependant unique pour chacun: les personnages se lamentent «sans [s]entendre les uns les autres».

L'emploi du pronom personnel de la première personne du singulier « nous» insiste malgré tout sur cette notion de collectivité.

Mais le sentiment qui va l'emporter sur ledésespoir est la révolte, l'incompréhension, le refus d'admettre l'inévitable. [La révolte] Les sentiments que génère ce désastre, le désespoir passé, sont en effet des sentiments d'injustice et de révolte. Révolte à l'encontre de la nature, d'abord, cette mère nourricière des paysans qui la soignent, la cultivent, et qui lestrahit : elle est pleine « de promesses », mais le narrateur s'exclame avec rage, comme pour refuser d'y croire : «Tout cela mentait donc?» L'interrogation, ici, prend différentes valeurs : le narrateur refuse de croire à cemensonge, il éprouve le besoin de laisser un doute subsister.

Mais il reconnaît que la nature tout entière ment : « Lebonheur mentait.

Le soleil mentait, quand il se couchait si doux et si calme, dans la grande sérénité du soir.

» Cette révolte, ces exclamations, sont aussi adressées à Dieu, qui permet que ce soit « la ruine ».

Ce geste de rage,de désespoir du narrateur, est un signe de révolte, de combativité aussi.

Il clame l'injustice du sort des paysansinnocents : « Dieu n'était pas juste; nous ne lui avions rien fait et il nous reprenait tout.)> Le narrateur ne peutaccepter cette fatalité, et il y survivra, comme le montre ce poing levé. Cette scène, tout en faisant référence à la Bible et à la révolte de Job, nous livre un message plus ambigu, car c'estdans cette révolte que la condition humaine prend toute sa signification pour Zola, et non dans la réconciliationavec Dieu et le monde.

De cette eau qui les entoure, comme d'un liquide foetal, les paysans émergent en vagissant,mais libérés: « Alors, nous poussâmes nos premiers cris.

Cela nous vint à la gorge, malgré nous.

Nous avions besoinde crier.)) De plus, le réseau lexical du dernier paragraphe oppose la réalité matérielle du corps (« gorge », (( sanglots ») etdes biens (« récolte », « bétail », « fortune ») au mensonge des abstractions intangibles et illusoires (« soleil », «horizon », « bonheur », « Dieu »).

Le narrateur veut donc représenter ici symboliquement la vérité de la chair etl'illusion de l'âme. [Conclusion] Ce texte mêle réalisme et tragédie, dimension épique et quotidien des paysans, révolte et volonté de combattre.Même s'il décrit un carnage, il manifeste un formidable potentiel de vie, de lutte, de refus du mensonge de la natureet de Dieu, même si c'est le désespoir qui semble dans un premier temps l'emporter.. »

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