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L'ORGUEIL de Jean Giono, Les terrasses de l’Île d'Elbe. Commentaire

Publié le 05/10/2017

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giono

L'ORGUEIL

Une grande marque de l'orgueil e t de la vanité de l'homme est l'admiration sans mélange qu'il a pour tout ce qu'il invente. Alors qu'il est très fier de son sens critique (jusqu'à s'en servir à contre sens), dès qu'il s'agit d'une invention sortie de ce qu'il appelle sa science, il ne discute plus, il admire. Tout ce qu'il invente, il le regarde comme excellent. Or on peut facilement imaginer que ce n'est pas forcément vrai. Le moins qu'on puisse dire est que les inventions se font au hasard, il serait bien extraordinaire que ce hasard conduise toujours à de bonnes inventions. D'ailleurs, bonnes à quoi ou par rapport à quoi? On dit que toutes ces inventions nous font progres ser. La notion de progrès est une vue de l'esprit, elle n'existe pas dans la nature. Au surplus, que signifie progresser, si c'est progresser uniquement pour progresser, et s'il n 'y a pas quelque part dans ce


progrès un palier, un arrêt (qui serait par exemple l e bonheur), au delà

duquel il serait inutile         ou impossible       d e progresser.

Jamais le mot humanité n 'a été aussi vide de sens qu'au moment même où nous proclamons notre intention d'unifier la planète. Nous sommes divisés en mille partis antagonistes, et le goût du racisme passe du blanc au noir avec une rapidité sans égale. C'est à qui sera la race ou le parti élu; personne ne songe à fraterniser, mais à maî­triser, surtout celui qui se considérait esclave hier. A quoi servirait la liberté si ce n'est à dominer qui dominait? Etre égal ne suffit pas. D'où un jeu de saute mouton et de « tu me domines, je te domine » dans lequel ce qu'on appelle bêtement l'« humanité» se brise en mille gouttelettes d'acide. Cette parenthèse ouverte et fermée pour conve nir qu'il est difficile de rejeter la « mauvaise invention » : elle serait immédiatement ramassée dans le fossé pour servir « à qui de droit ». Je pense par exemple à ce qu'on appelle communément la « bombe atomique ». Il est de fait que celui qui aurait repoussé son invention comme mauvaise aurait été le dindon de la farce. Mais je n e me mêle pas de la marche du monde, j'essaie simplement de voir s'il est impossible de nous débarrasser de notre orgueil.

L'homme est minuscule. Il l'oublie. Le roseau pensant\\ c'est encore trop; minuscule est le mot qui convient. Sa science est à sa mesure. Rien de plus naturel que les distances cosmiques, par exemple; pour en avoir, non pas une idée, mais une simple représen tation graphique, on est obligé d'aligner des centaines de zéros après l'unité. C'est que la notion de mesure, ou plus exactement d'échelle humaine ne convient pas. Nous avons, me direz vous, des sciences qui nous délivrent de cette échelle. Dans quelle proportion? C'est ce qu'on ne sait pas. On a envoyé u n ballon de football dans la lune. On crie au miracle. On fait tourner des malheureux autour de la terre : on imagine aussitôt que nous allons sauter dans l'univers. Regardons d e plus près.

Si nous en croyons la nouvelle quand elle s'étale à la première page des journaux, entre une femme coupée en morceaux et une révolte de paysans, nous avons « bondi dans les étoiles », et à partir de ce bond on commence à bondir d'étoile en étoile. Vu par les astronomes, c'est une autre paire de manches.

« C'est minuscule, me disait l'un d'eux, reprenant mon mot de tout à l'heure. Je ne veux pas parler de la prouesse technique qui, étant donné ce que nous sommes en réalité, est remarquable. Je veux par­ler du résultat. Voilà l'échelle cosmique » : et il dessina deux frag­ments de courbes concentriques à très grand rayon, presque confon dues tellement elles étaient près l'une de l'autre. Celie du dessous, me dit il, était la surface de la terre, celle d u dessus l'orbite d u soi disant « satellite artificiel ». Il avait à peine décollé.

Vous me direz qu'il n'y a pas si longtemps les avions faisaient

1. « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant. » Blaise Pascal, Pensées (1656-1662).


péniblement des sauts de quinze mètres de longueur à trois mètres de hauteur. Je veux finir de rapporter les paroles de l'astronome pour répondre par avance à ceux qui se gavent de nourriture empoisonnée à base d'astronautes, d'astronavigation, de vitesse de la lumière, de Vénusiens, de Martiens, de soucoupes volantes et de voyages extra galactiques.

« Toutes choses égales, me dit l'homme de science, les perfor­mances actuelles, qui dispersent en fumée des milliards d'hôpitaux et de bibliothèques, sont semblables à celles que réussissent au trapèze volant les gymnastes très entraînés. Leurs numéros ne signi fient pas que l'humanité va se mettre un jour prochain à voltiger à travers les cintres, n i surtout qu'elle en fera ses choux gras. »

 

Jean Giono, Les terrasses de l'ile d'Elbe.

Vous ferez d'abord un résumé ou une analyse du texte; puis vous choisirez dans ce texte u n problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

En magnifiant la science, l'homme commet un péché d'orgueil. Et pourtant, cette science ne lui offre que le reflet de sa propre dimension : n'est-il pas, en effet, prétentieux de crier victoire pour un misérable saut de puce dans les étoiles alors même que l 'univers ne nous est concevable que par une succession astronomique de zéros ? ...

giono

« pr og rès un palier , un arrêt (qui ser ait par exemple le bonheur ), au delà du quel il ser ait inutile ou impossible de progr esser.

Jamais le mot hu mani té n'a été aussi vide de sens qu'au moment même où nous proclamons notre intent ion d'unifier la planè te.

Nous sommes divisés en mille partis antagonistes, et le goût du racisme passe du blanc au noir avec une rapid ité sans égale.

C'est à qui sera la race ou le par ti él u; per sonne ne songe à frate rniser , mais à maî­ triser, surtout celui qui se considér ait esclave hier.

A quoi servir ait la lib erté si ce n'es t à domin er qui domina it? Etre égal ne suffit pas.

D'où un jeu de saute mouton et de « tu me domine s, je te domine » dans leque l ce qu'on appelle bêtement l'« humanité » se brise en mille go uttelettes d'acide.

Cette parenthèse ouverte et fermé e pour conve nir qu'il est difficile de rejeter la « mauvaise invention » : elle serait im méd iatement ramassée dans le fossé pour servir « à qui de droit ».

Je pense par exemple à ce qu'on appelle communément la« bombe ato miq ue».

Il est de fait que celui qui aurait repoussé son invent ion comme mauvaise aurait été le dindon de la farce.

Mais je ne me mêle pas de la marche du monde, j'essaie simplemen t de voir s'il est im possible de nous débarr asser de notre orgueil.

L' homme est minus cule.

Il l'ou blie.

Le roseau pensant\ c'est en cor e trop ; min uscule est le mot qui convien t.

Sa science est à sa mesur e.

Rien de plus naturel que les distances cosmiques, par ex emple ; pour en avoir, non pas une idée, mais une simp le représen tati on graphique, on est obligé d'aligner des centa ines de zéros après l'uni té.

C'est que la notion de mesure, ou plus exactement d'échelle hum aine ne convient pas.

Nous avons, me direz v ous, des sciences qui nous délivrent de cette échelle.

Dans quelle propor tion ? C'es t ce qu'on ne sait pas.

On a envoyé un ballon de foo tball dans la lune.

On crie au mir acle.

On fait tourner des malheur eux autour de la terre : on imagine aussitôt que nous allons sauter dans l'univers.

Regardons de plus pr ès.

Si nous en croyons la no uvelle quand elle s'étale à la prem ière page des journaux, entre une femme coupée en mor ceaux et une révolte de pay sans, nous avons « bondi dans les étoiles », et à par tir de ce bond on comme nce à bondir d'ét oile en éto ile.

Vu par les astr onomes, c'es t une autre pair e de manches.

« C' est minuscule, me disai t l'un d'eux, reprenant mon mot de tou t à l'he ure.

Je ne veux pas parler de la prouesse technique qui, étant donné ce que nous sommes en réalité, est remarquable.

Je veux par­ ler du résultat.

Voilà l'échelle cosmique » : et il dessina deux frag­ ment s de courbes co ncentriques à très grand rayon, presq ue confon du es tellem ent elles étaient pr ès l'une de l'autre.

Celie du dessous, me di t i l, était la surface de la terre, celle du dessus l'orbite du soi dis ant «s ate llite artif iciel ».

Il avait à peine décollé.

Vous me direz qu'il n'y a pas si long temps les avions faisaient 1.

«L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant.

» Blaise Pascal, Pensées (1656-1662).. »

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