Mallarmé: le mot, l idée et la poésie
Publié le 12/09/2015
Extrait du document
[...] le langage ne peut être considéré comme un simple instrument, utilitaire ou décoratif, de la pensée. L’homme ne préexiste pas au langage [...] Nous n’atteignons jamais un état où l’homme serait séparé du langage, qu’il élaborerait alors pour «exprimer» ce qui se passe en lui : c’est le langage qui enseigne la définition de l’homme, non le contraire.
Pour la littérature [...], du moins celle qui s’est dégagée du classicisme et de l’humanisme, le langage ne peut plus être l’instrument commode ou le décor luxueux d’une «réalité» sociale, passionnelle ou poétique, qui lui préexisterait et qu’il aurait subsidiairement à charge d’exprimer, moyennant de se soumettre à quelques règles de style : le langage est l’être de la littérature, son monde même: toute la littérature est contenue dans l’acte d’écrire, et non plus dans celui de “penser”, de “peindre”, de “raconter”, de “sentir”.
«
Poésie 1 233
"Mais Degas, ce n'est pas avec des idées qu'on fait des
vers,
c'efit avec des mots."
Il y a là une grande leçon.
,.
Avec cette réplique, c'est pratiquement la poésie mo
derne qui trouve sa plus exacte définition.
Celle-ci n'est
plus considérée comme la simple traduction dans un
langage orné soumis aux conventions de la versification
d'un discours déjà constitué.
Ce que Mallarmé affirme,
c'est que
le lieu véritable de la poésie est le langage et
qu'il ne peut
y avoir de poésie véritable que dans un
travail sur
la matière même du langage.
Il ne s'agit donc pas, comme pouvait le penser Degas,
de traduire en vers des idées mais de laisser jouer les
mots, leur sonorité, leur sens et leur ambiguïté pour
découvrir dans ce jeu même la forme propre de la
beauté moderne.
Comme l'écrit
Paul Valéry dans
«Poésie et pensée abstraite» : «La valeur d'un poème
réside dans l'indissolubilité du son et
du sens.»
Pour communiquer des idées, la philosophie suffit.
Mais pour faire advenir par l'évocation des choses et
des sensations cette forme de beauté qui naît autant du
son que du sens, de
la forme que de la signification, il
faut, comme l'écrit Mallarmé dans «Crise de vers»,
«céder l'initiative aux mots».
....
Les théories les plus contemporaines de la littéra
ture font porter l'accent avec encore plus d'insistance
sur cette présence du langage.
Contrairement à ce que
pouvait penser Degas, les idées ne viennent pas avant
les mots qui auraient pour fonction de les traduire, car
c'est à partir des mots que les idées se font.
La pensée
ne vient pas avant
le langage, mais c'est dans le langage
que
se constitue la pensée.
C'est ce que rappelle Ro
land Barthes
(1915-1980) dans «Ecrire, verbe intransi
tif?», une conférence de 1966 reprise dans Le bruisse
ment de la langue :.
»
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