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MARCEL PROUST

Publié le 08/02/2019

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proust

Le monde : séductions et mirages

 

Depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, le narrateur traverse différents «cercles», passant de Combray en province, à Paris, du cercle familial aux cercles mondains, nous faisant d’abord entrer dans le cercle bourgeois des Verdurin puis dans celui, plus aristocratique, des Guermantes; passant aussi du plein air maritime, où se profilent les silhouettes indis-

Reconstitution, au château de Breteuil, de la chambre parisienne de Marcel Proust.

 

De 1906 à 1919, Proust demeure au 102, boulevard Haussmann, dans le vnf arrondissement. Dans sa chambre tapissée de liège, isolé du monde extérieur, des bruits et des gens, Proust rédige l'essentiel d’h la recherche du temps perdu.

 

Portrait de la comtesse Grefulhe, par P. A. de Laszlo. Cette femme aristocratique fut un des modèles dont Proust s'est inspiré pour le personnage de la duchesse de Guermantes.

 

tinctes des jeunes filles en fleurs, à la chambre où Albertine est tenue prisonnière... Fbur le narrateur, les cercles mondains sont fascinants: ils suscitent attente et désir pour celui qui en est exclu ; déception souvent quand on y pénètre; rire parfois quand, au cours d’une soirée, l’écrivain restitue avec un grand sens de la comédie teinté d’une certaine cruauté le ridicule d’un personnage, habilement caricaturé dans son langage ou dans son comportement. Ces cercles sont autant de mirages trompeurs. Ils éloigneraient en effet le narrateur de sa vocation et de sa quête si, par moments, n’y surgissaient de manière récurrente des figures d’artistes, venant indiquer discrètement quel chemin prendre.

 

Citons le musicien Vinteuil, présent par son œuvre musicale (un septuor), le peintre Elstir ou l’écrivain Bergotte. D’autres figures, plus négatives, fonctionnent de manière répulsive : Swann ou Charlus, figures meurtries d’esthètes au destin brisé. Elles montrent au narrateur les dangers d’une vie contemplative, qui s’arrête au seuil de l’œuvre d’art sans prendre le risque de se consacrer entièrement à la création et à la beauté.

 

Une quête de vérité

Dans l’ordre des perceptions (choses, êtres, temps, espace), il y a chez Proust une douloureuse épreuve de leur discontinuité. Impossible de fixer une perception définitive et pourtant, l’écrivain s’efforce de dégager des lois générales. Il veut arracher les êtres, les sentiments et les sensations au hasard, à l’éphémère... Il existe ainsi une tension entre cette volonté d’éclairer le monde par l’analyse, par l’intelligence et, d’autre part, la réalité de ce monde, menacée d’incohérence, fugace parce que soumise au temps, se dérobant à la compréhension à cause de son épaisseur et de la diversité des images successives qu’elle offre au regard.

 

De ce point de vue, l’amour est l’expérience humaine par excellence. Le narrateur, qui aime Albertine, ne parvient pas à cette fusion absolue qu’il recherche tant entre deux êtres, deux âmes: Albertine reste inconnue, mystérieuse, insaisissable, même lorsque le narrateur la contraint à vivre à ses côtés, «prisonnière». L’expérience amoureuse est celle où s’exprime de la façon la plus vive et la plus dramatique la tension entre une volonté d’atteindre à la fois le cœur, la vérité des êtres et des choses (c’est-à-dire leur essence) et l’échec de cette gigantesque entreprise.

 

Illustration du peintre Van Dongen pour le célèbre épisode de la madeleine, dans Du côté de chez Swann. Ce premier volume a tout d’abord été refusé par plusieurs éditeurs et finalement publié en 1913 à compte d’auteur. Mais en 1916, les éditions Gallimard «récupèrent» l’écrivain, et en 1919, h l’ombre des jeunes filles en fleurs, deuxième volet du cycle, obtient le prix Goncourt.

J. L. Charmet

Source de souffrances intérieures infinies, l’amour, selon Proust, est dépourvu de réalité objective, et c’est en cela qu’il se montre décevant par rapport à l’œuvre d’art.

 

La phrase proustienne

 

Proust a la réputation d’écrire de longues phrases. Il faut se rappeler que le style est indissociable de l’être physique de l’écrivain. Dans le cas de Proust, sa maladie - l’asthme - s’accompagne de violentes crises d’angoisse : reprendre son souffle est un moment redouté par l’asthmatique en crise.

 

Mais la phrase proustienne n’est pas le résultat d’une fatalité physique. Elle est surtout le fruit d’un travail précis, alliant ampleur et équilibre. Quand elle atteint des proportions hors du commun, il faut se la figurer comme un immense filet épanoui, chargé de saisir dans ses mailles la réalité du monde, de la matière, des êtres et des sensations, perçus dans leur complexité, leur épaisseur, leurs multiples miroitements.

 

Une autre caractéristique du style de Proust est son utilisation des images et des métaphores (rapprochement entre deux réalités différentes) : elles contribuent à relier les choses entre elles, à tisser un réseau foisonnant de correspondances. Le monde réel, le monde sensible sont transfigurés par l’écriture qui leur donne la consistance d’une belle trame, d’un tissu à la fois riche et cohérent. Le travail poétique contribue à unifier ce qui est discontinu, à fixer dans le vrai ce qui s’échapperait dans l’inconsistance et l’éphémère: ainsi, l’œuvre d’art harmonise et renforce tout ce qui, dans la vie réelle, était source de souffrance, parce que trop fragile et trop menacé par l’oubli et le néant.

proust

« Marcel Proust ......

Reconstitution, au château de Breteuil, de la chambre parisienne de Marcel Proust.

De 1906 à 1919, Proust demeure au 102, boulevard Haussmann, dans le vuf arrondissement.

Dans sa chambre tapissée de liège, isolé du monde extérieur, des bruits et des gens, Proust rédige l'essentiel d'À la recherche du temps perdu.

Portrait de la comtesse Grefulhe, � par P.

A.

de Laszlo.

Cette femme aristocratique fut un des modèles dont Proust s'est inspiré pour le personnage de la duchesse de Guermantes.

tin etes des jeunes filles en fleurs, à la chambre où Albertine est tenue prisonnière ...

Pour le narrateur, les cercles mondains sont fascinants: ils suscitent attente et désir pour celui qui en est exclu; décep­ tion souvent quand on y pénètre; rire parfois quand, au cours d'une soirée, l'écrivain restitue avec un grand sens de la comédie teinté d'une certaine ,., cruauté le ridicule d'un personnage, habilement è5 caricaturé dans son langage ou dans son compor­ l tement.

Ces cercles sont autant de mirages trom- 0 peurs.

Ils éloigneraient en effet le narrateur de sa êtres réalité et consistance, mais surtout un sens et vocation et de sa quête si, par moments, n'y sur- une vérité à la vie.

Le roman suit donc une trajectoire gissaient de manière récurrente des figures d'artistes, qui conduit le narrateur jusqu'à la décision finale venant indiquer discrètement quel chemin prendre.

d'écrire; mais cette trajectoire trace une boucle Citons le musicien Vinteuil, présent par son œuvre puisque cette fin, où Proust énonce la grandeur de musicale (un septuor), le peintre Elstir ou l'écrivain son entreprise artistique, nous renvoie au corn- Bergotte.

D'autres figures, plus négatives, fonction- mencement de l'œuvre dont nous achevons la lee- nent de manière répulsive: Swann ou Charlus, ture.

Au terme de la recherche, de la quête initia- figures meurtries d'esthètes au destin brisé.

Elles tique du narrateur, le temps perdu, relégué dans le montrent au narrateur les dangers d'une vie contem- passé, dans l'oubli ou la futilité d'une existence plative, qui s'arrête au seuil de l'œuvre d'art sans mondaine, est finalement retrouvé, reconquis: seul prendre le risque de se consacrer entièrement à la l'art a pu (ou peut) racheter l'écoulement stérile de création et à la beauté.

la vie.

Le narrateur a ainsi échappé à l'érosion du temps en le fixant pour l'éternité dans l'écriture.

Le monde : séductions et mirages Depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte, le narrateur traverse différents «cercles>>, passant de Combray, en province, à Paris, du cercle familial aux cercles mondains, nous faisant d'abord entrer dans le cercle bourgeois des Verdurin puis dans celui, plus aris­ tocratique, des Guermantes; passant aussi du plein air maritime, où se profilent les silhouettes indis- Une quête de vérité Dans l'ordre des perceptions (choses, êtres, temps, espace), il y a chez Proust une douloureuse épreuve de leur discontinuité.

Impossible de fixer une per­ ception définitive et pourtant, l'écrivain s'efforce de dégager des lois générales.

Il veut arracher les êtres, les sentiments et les sensations au hasard, à l'éphémère ...

Il existe ainsi une tension entre cette volonté d'éclairer le monde par l' analyse, par l'intel­ ligence et, d'autre part, la réalité de ce monde, menacée d'incohérence, fugace parce que sou­ mise au temps, se dérobant à la compréhension à cause de son épaisseur et de la diversité des images successives qu'elle offre au regard.

De ce point de vue, l'amour est l'expérience humaine par excellence.

Le narrate ur, qui aime Albertine, ne parvient pas à cette fusion absolue qu'il recherche tant entre deux êtres, deux âmes: Albertine reste inconnue, mystérieuse, insaisissable, même lorsque le narrateur la contraint à vivre à ses côtés, « prisonnière>> .

L' expérience amoureuse est celle où s'exprime de la façon la plus vive et la plus dramatique la tension entre une volonté d'atteindre à la fois le cœur, la vérité des êtres et des choses (c'est -à-dire leur essence) et l'échec de cette gigantesque entreprise.

......

Illustration du peintre Van Dongen pour le célèbre épisode de la madeleine, dans Du côté de chez Swann.

Ce premier volume a tout d'abord été refusé par plusieurs éditeurs et finalement publié en 1913 à compte d'auteur.

Mais en 1916, les éditions Gallimard �récupèrent • l'écrivain, et en 1919, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, deuxième volet du cycle, obtient te prix Goncourt.

Source de souffrances intérieures infinies, l'amour, selon Proust, est dépourvu de réalité objec­ tive, et c'est en cela qu'il se montre décevant par rapport à l'œuvre d'art.

La phrase proustienne Proust a la réputation d'écrire de longues phrases.

Il faut se rappeler que le style est indissociable de l'être physique de l'écrivain.

Dans le cas de Proust, sa maladie -l'asthme -s'accompagne de violentes crises d'angoisse: reprendre son souffle est un moment redouté par l'asthmatique en crise.

Mais la phrase proustienne n'est pas le résultat d'une fatalité physique.

Elle est surtout le fruit d'un travail précis, alliant ampleur et équilibre.

Quand elle atteint des proportions hors du commun, il faut se la figurer comme un immense filet épanoui, chargé de saisir dans ses mailles la réalité du monde, de la matière, des êtres et des sensations, perçus dans leur complexité, leur épaisseur, leurs multiples miroitements.

Une autre caractéristique du style de Proust est son utilisation des images et des métaphores (rap­ prochement entre deux réalités différentes): elles contribuent à relier les choses entre elles, à tisser un réseau foisonnant de correspondances.

Le monde réel, le monde sensible sont transfigurés par l'écriture qui leur donne la consistance d'une belle trame, d'un tissu à la fois riche et cohérent.

Le travail poétique contribue à unifier ce qui est discontinu, à fixer dans le vrai ce qui s'échapperait dans l'inconsistance et l'éphémère: ainsi, l'œuvre d'art harmonise et renforce tout ce qui, dans la vie réelle, était source de souffrance, parce que trop fragile et trop menacé par l'oubli et le néant.

LES SEPT PARTIES D'À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU • Du coté de chez Swann (1913) • À l'ombre des jeunes filles en fleurs (1918) • Le coté de Guermantes (1920-1921) • Sodome et Gomorrhe (1921-1922) • La prisonnière (1923) • Albertine disparue (ou La fugitive) (1925) • Le temps retrouvé (1927). »

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