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Maupassant: Pierre et Jean: Chapitre V

Publié le 10/10/2010

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Il allait maintenant frôlant les groupes, tournant autour, saisi par des pensées nouvelles. Toutes ces toilettes multicolores qui couvraient le sable comme un bouquet, ces étoffes jolies, ces ombrelles voyantes, la grâce factice des tailles emprisonnées, toutes ces inventions ingénieuses de la mode depuis la chaussure mignonne jusqu'au chapeau extravagant, la séduction du geste, de la voix et du sourire, la coquetterie enfin étalée sur cette plage lui apparaissaient soudain comme une immense floraison de la perversité féminine. Toutes ces femmes parées voulaient plaire, séduire et tenter quelqu'un. Elles s'étaient faites belles pour les hommes, pour tous les hommes, excepté pour l'époux qu'elles n'avaient plus besoin de conquérir. Elles s'étaient faites belles pour l'amant d'aujourd'hui et l'amant de demain, pour l'inconnu rencontré, remarqué, attendu peut-être.

Et ces hommes, assis près d'elles, les yeux dans les yeux, parlant la bouche près de la bouche, les appelaient et les désiraient, les chassaient comme un gibier souple et fuyant, bien qu'il semblât si proche et si facile. Cette vaste plage n'était donc qu'une halle d'amour où les unes se vendaient, les autres se donnaient, celles-ci marchandaient leurs caresses et celles-là se promettaient seulement. Toutes ces femmes ne pensaient qu'à la même chose, offrir et faire désirer leur chair déjà donnée, déjà vendue, déjà promise à d'autres hommes. Et il songea que sur la terre entière c'était toujours la même chose. Sa mère avait fait la même chose, voilà tout ! Comme les autres ? — non ! Il existait des exceptions, et beaucoup, beaucoup ! Celles qu'il voyait autour de lui, des riches, des folles, des chercheuses d'amour, appartenaient en somme à la galanterie élégante et mondaine ou même à la galanterie tarifée, car on ne rencontrait pas sur les plages piétinées par la légion des désoeuvrées, le peuple des honnêtes femmes enfermées dans la maison close.

 

Pierre soupçonne sa mère d'avoir eu son frère Jean à la suite d'un amour adultère: très agité, il a quitté la maison de ses parents pour se promener sur la plage.

 

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« Esquisse d'histoires.

Pierre rêve si profondément à partir du tableau qu'il contemple que chaque paragraphe finit par raconter une histoire : celui que la femme désire séduire, c'est d'abord « quelqu'un», puis « les hommes», « tous les hommes», puis « l'amant d'aujourd'hui», « l'amant de demain» et enfin l'« inconnu».

Plus les termes qui caractérisent les hommes se multiplient, plus la séduction est assimilée à l'adultère.

Le verbe « conquérir», la position syntaxique de l'élément masculin — complément d'objet indirect des verbes ou évoqué à la voix passive,avec les participes passés de la fin du passage —, attribuent à la seule femme la culpabilité de cette situation.

Ontrouve le même phénomène au paragraphe suivant, qui impute aux femmes une seule et unique obession, celle ducommerce de leur corps : la vision charmante du début du texte prend des conotafions sordides. Le corps dévoilé.

Le passage du premier au deuxième paragraphe marque une progression sensible dans l'appréhension des corps féminins: seules les toilettes sont évoquées au début du texte, alors que dans la secondepartie du texte, le corps est de plus en plus présent et de plus en plus érotisé : les « yeux» et la « bouche» laissent placent aux « caresses» puis à la « chair».

L'exclamation de Pierre au sujet de Mme Roland, au début du dernier paragraphe, est significative de l'état d'esprit du personnage: d'avoir commis l'adultère, sa mère est pour lui déchue,semblable à une femme qui se serait vendue. u La prostitution universelle Le spectacle des femmes sur la plage, de leurs attitudes charmeuses, conforte Pierre dans sa conviction que toutesles femmes se vendent. La déshumanisation de la femme.

La femme est séduisante : cette constatation provoque chez Pierre une sorte de rage sourde, que soulignent les adjectifs postposés de la première partie : «étoffes jolies », « ombrelles voyantes », « grâce factices », etc.

Pierre ne voit plus alors la femme que comme objet de désir, ce que mettent en évidence, dans le deuxième paragraphe, les métaphores de la chasse et du commerce.

Capable de « conquérir» l'homme, quelques lignes plus haut, la femme est à présent un « gibier» pour celui-ci, et même une marchandise, qui se «vend » et se « marchande ».

Cette dégradation de l'image de la femme dans le texte estsensible également au plan syntaxique : sujets des verbes dans le premier paragraphe, les femmes deviennent icicompléments d'objet direct ou bien sujets de verbes pronominaux, dont elles sont également objet (« se vendaient», « se donnaient»), ou encore sujets de verbes ayant pour objet le corps même des femmes (« leurs caresses», « leur chair»). Une condamnation généralisée.

La comparaison de sa mère aux « autres», dans ce contexte, équivaut pour Pierre à l'accuser de se prostituer: pour celui-ci en effet, une liaison amoureuse en dehors du mariage (la «galanterie élégante et mondaine» dans le texte) est aussi condamnable que la « galanterie tarifée».

Inversement, la découverte que sa mère n'a rien d'une femme idéale conduit Pierre à mépriser toutes les femmes Dans son dépit etsa haine contre la femme corrompue, Pierre commence par invoquer le « peuple des honnêtes femmes», qu'il oppose aux jolies femme de la plage; puis dans un second temps, qui constitue la chute du texte, il émet un doute surcette opposition, décrivant les honnêtes femmes (dont sa mère lui semblait jadis faire partie) « enfermées dans la maison close»: la position de l'adjectif, qui donne à l'expression un sens ambigu, assimile pour finir les maisons bourgeoises et les « maisons» de prostitution. (CONCLUSION) Le spectacle de la plage a un effet quasi hallucinatoire sur le personnage : celui-ci réinterprète en effet tout ce qu'ilvoit en fonction de ses sentiments du moment; à aucun moment dans ce texte, on n'a de description objective deslieux ou des personnages. Inversement, toutes les analyses présentes dans le texte sont à mettre au compte du personnage dont on faitpartager le point de vue au lecteur.

Mais leur caractère systématique et unilatéral invite le lecteur à les mettre endoute, à les interpréter à son tour comme les symptômes du désarroi de Pierre.. »

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