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MAURICE BARRÉS, La Colline inspirée.

Publié le 17/01/2022

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Faust, Manfred, Prospéro ! éternelle race d'Hamlet, qui sait qu'il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel qu'il n'en est rêvé dans notre philosophie et qui s'en va chercher le secret de la vie dans les songeries de la solitude! Je crois les avoir rencontrés dans les sentiers de la colline; ils s'arrêtaient pour regarder les bonnes gens qui gagnent l'église du pèlerinage. S'ils les moquaient ou s'ils les enviaient, je ne sais. L'Esprit des hauts lieux les faisait vibrer avec l'infini et leur mettait au coeur l'orgueil de ne compter que sur soi-même pour résoudre l'énigme de l'univers. Les suivrai-je? Nous avons besoin d'harmonie, d'un poème qui se fasse croire et d'une étoile fixe au ciel. Ces héros sauront-ils gouverner notre sentiment du divin, notre désir de la perfection, notre souvenir et le conduire à un but précis ? Seront-ils nos guides ? Léopold Baillard, quand il veut s'élancer dans le monde invisible,. se brise au fond de Saxon. Et ces autres, portés sur des ailes plus fortes et qui s'élèvent plus heureusement, où donc atteignent-ils ? Le laboratoire de Faust, le burg de Manfred, l'île de Prospéro brillent dans les nuages empourprés de l'horizon, mais ces fameux édifices, ces grands vaisseaux de clarté, balancés sur le noir couchant, ne diffèrent pas tant de la pauvre masure mystique des Baillard, debout, là en bas, sous mes yeux. Ce sont des châteaux de feu, des châteaux de musique, autant d'artifices qui se résolvent en baguettes brûlées dans la nuit. MAURICE BARRÉS, La Colline inspirée. Situation du passage. Barrès vient de raconter l'histoire de trois prêtres lorrains, les frères Baillard, qui, après avoir relevé sur la colline de Sion-Vaudémont, entre Mirecourt et Nancy, un vieux sanctuaire détruit par la Révolution, se sont révoltés contre l'autorité ecclésiastique et ont achevé leur vie dans la pratique d'un culte démoniaque. Le passage se situe au centre de l' « épilogue ». Le texte. Barrés évoque quelques personnages illustres de la littérature universelle, solitaires et rebelles, possédés par l'ambition titanesque de percer les secrets de la nature et de la ployer à leur loi, comme ce Léopold Baillard dont il a raconté l'étrange carrière : le docteur Faust, qui un jour « s'insurgea contre les limites de l'intelligence et ne vit plus qu'une duperie dans son long effort de sacrifice à la science »; Manfred, le héros satanique de Byron, qui « entre en lutte avec la nature elle-même »; Prospéro, le héros de La Tempête de Shakespeare, qui se livre à la magie dans une île déserte. Tous trois appartiennent à l'éternelle race d'Hamlet, ce prince de Danemark contemplatif et inquiet. A la date où il écrit La Colline inspirée (1913), Barrès reste attaché de coeur à cette race, car, comme Hamlet, il sait qu'il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel qu'il n'en est rêvé dans notre philosophie : déçu par la multiplicité des systèmes et par leurs contradictions, il a abandonné la métaphysique aux rêveurs et il s'est soucié d'être en contact avec la vie, de se nourrir des expériences qu'elle offre partout à l'observateur sur la terre et dans le ciel.

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