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Michelet (Jules)

Publié le 26/01/2019

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Michelet (Jules), historien et écrivain français (Paris 1798 - Hyères 1874). Né dans le peuple (son père, un imprimeur ruiné par les lois napoléoniennes, lui transmettra son admiration pour les Jacobins), il avouera avoir senti percer son génie « dans la boue des carrefours ». Élève brillant, grand lecteur de Platon et de Virgile mais aussi de Voltaire, Condorcet, Ballanche, il est docteur à 21 ans avec une thèse sur les Vies des hommes illustres de Plutarque. Chargé des cours de philosophie et d'histoire à l'École normale supérieure (1827), précepteur de la fille de la duchesse de Berry (1828), il adapte la Scienza nuova de Vico dans ses Principes de la philosophie de l'histoire (1827). Si la Révolution de 1830 lui fait perdre ses places, il découvre le peuple comme acteur de l'histoire {Introduction à l'histoire universelle, 1831) et Louis-Philippe le comble bientôt : professeur de Clémentine, la plus jeune des filles du roi, il est (1831) chef de la section historique des Archives nationales et remplace (1834) Guizot à la faculté des lettres avant de devenir (1838) professeur d'histoire et de morale au Collège de France. Ses cours, suivis par une foule enthousiaste, sont le banc d'essai des idées de son Histoire de France (1833-1846, jusqu'à Louis XI), en même temps qu'il prend de plus en plus nettement parti contre la politique conservatrice du régime : il publie (1843), avec Quinet, un ouvrage sur les Jésuites et écrit des « cours d'éducation nationale » pour les classes populaires {le Peuple, 1846 ; l'Étudiant, 1848). En 1847 paraît le premier tome de son Histoire de la Révolution française : en janvier 1848, son cours au Collège de France est suspendu. Réintégré par la révolution de Février, de nouveau interdit en 1851, Michelet refuse de prêter serment, après le coup d'État du 2-Décembre, et perd son poste aux Archives. Mais, à cette date, sous l'influence de sa jeune femme (qu'il a épousée en 1849), Athénaïs Mialaret (1826-1899), il est entré dans une nouvelle période de sa vie et de ses recherches. S'il reprend la publication de son Histoire de France (1855-1867), s'il entreprend une Histoire du XIXe siècle (1872-1875), il se révèle fasciné par l'« histoire naturelle » {l'Oiseau, 1856 ; l'insecte, 1857 ; l'Amour, 1859 ; la Mer, 1861 ; la Montagne, 1868), la Femme (1860), sous l'aspect particulier de la Sorcière (1862), constituant le pont entre les cycles biologiques et politiques. Mais, plus que dans la Bible de l'humanité (1864), sa conception de la vie et du processus de la pensée est à chercher dans son Journal, dont sa veuve abusive

 

laissa publier des fragments (1884-1891), en en gommant soigneusement les fantasmes et en en désamorçant les thèmes obsessionnels.

 

Les références scientifiques de Michelet sous-tendent sa vision de l'Histoire : sa « synthèse » historique est une chimie à la Lavoisier, qui combine un transformisme hérité de Geoffroy Saint-Hilaire avec une croyance à la génération spontanée et un attrait particulier pour la parthénogenèse. L'imaginaire y est roi ; il tresse histoire personnelle et histoire tout court dans une même fable. Une vision très moderne des formes en perpétuel devenir s'allie à un intérêt pour la métempsycose : l'Histoire et la Nature progressent à travers des « figures » qui réalisent peu à peu le « rêve d'une destinée » présente à chaque moment de la trajectoire humaine et qui s'accomplit dans la lutte entre la Fatalité et la Liberté, le Christianisme et la Révolution. La fatalité pèse sur les époques de hasard (ainsi l'Empire : le nom même de « Bonaparte » indique la loterie et le jeu fatal auquel il convie l'Europe) : elles enfantent des œuvres funèbres, repliées sur elles-mêmes (la « littérature de l'ennui »), comme celles de Chateaubriand (le « Barbaro-Bre-ton »), de Mme de Staël ou de Benjamin Constant (seul Senancour trouve grâce devant Michelet, car son Oberman « demande la vie à la solitude, à la nature » — non pas la « nature fardée » à'Atala, mais la nature grandiose des Alpes). La Liberté, lovée au cœur de l'« Évangile étemel », s'incarne dans la Révolution de 89 et accomplit l'Histoire. Si, après cette passion rédemptrice, l'Histoire continue, c'est là un événement aussi incompréhensible que le retard de l'Apocalypse pour un chrétien du Ier s. : Michelet, « républicain seulement dans l'Histoire » (selon le mot de Mme Quinet), n'a pu faire vraiment entrer son époque (« notre siècle, par ses grandes machines — l'usine et la caserne —, attelant les masses à l'aveugle, a progressé dans la fatalité ») dans sa vision du temps. Alors l'Histoire, « que nous mettons très sottement au féminin » (pour Michelet, l'Histoire est « un rude et sauvage mâle ») et sur un axe rectiligne, ne peut déboucher que sur un nouveau rythme temporel : le temps cyclique de la Femme, médiatrice entre la Nature et l'Homme.

 

Au fond, le rythme du parcours de Michelet dans l'Histoire est celui du voyage romantique, scandé par la splendeur des panoramas : difficultés et malaises du voyage (dont l'écrivain décrit les effets sur son propre corps), percées et plongées sublimes sur l'espace que rend son style « rompu » ou « vertical » (ainsi que le voit Sainte-Beuve). Cette rupture et cet aspect abrupt sont volontaires : Michelet se méfiait de sa propension à l'« art » et de ses « glissades » spontanées à la Chateaubriand (son esthétique est celle du prêtre laïque : l'historien est l'orateur sacré du peuple). Michelet se veut prosaïque (il reproche à Taine de l'accabler sous le nom de poète et de célébrer son imagination), c'est-à-dire maître de la prose qui fond en un seul mouvement les particularités que la poésie (forme d'expression antérieure, et correspondant donc à un état de civilisation archaïque : idée chère au xviiie s.) amplifie et exacerbe. « La prose est la dernière forme de la pensée... ce qu'il y a de plus près de l’action » (Introduction à l'Histoire universelle). Pour Michelet, les écrivains les plus accomplis sont Pascal, Bossuet, Montesquieu et Voltaire — et la France témoigne de son « génie démocratique » dans « son caractère éminemment prosaïque » : c'est par là qu'« elle est destinée à élever tout le monde des intelligences à l'égalité ». Mais il n'en faut pas moins se défier du territoire favori de la prose, le roman. Le roman est « le contraire de l'His-toire » (la Bible de l'Humanité) en ce qu'il subordonne l'aventure collective à la destinée individuelle, en ce qu'il préfère l'événement spectaculaire, les « coups de dés », à la lente maturation des choses. Michelet a d'ailleurs toujours regardé le « livre » avec suspicion ( « Les trois peuples du Livre, le juif et ses deux fils, le chrétien et le musulman, riches en mots, pauvres d'œuvres, ont oublié la Terre »), et plus un témoignage

 

est près de la vie, de la parole, plus il a de valeur à ses yeux : d'où sa prédilection pour la mémoire populaire, le cérémonial, la recréation concrète d'un événement par cette tentative d'assimilation qui fait de son Histoire, à tous les sens du terme, une « consommation » («J'ai bu le sang noir des morts »). Aussi, pour Péguy, a-t-il « rattrapé l'arriéré de la race ». Mais G. Bataille place au plus profond de l'œuvre, dans son inconscient, au-delà de cette fascination pour le sang et les flux, le vertige du mal, cet égarement qui fait agir contre son intérêt propre mais qui se fonde sur un irrépressible désir de liberté.

 

Pour Michelet, son œuvre s'achevait sur un échec : « Je suis né peuple, j'avais le peuple dans le cœur... Mais sa langue, elle, m'était inaccessible. Je n'ai pas pu le faire parler » (Nos fils, 1869). Pour écrire un livre « populaire », il faut posséder, dit Michelet, « le génie et le charme », un « tact d'expérience » et la « divine innocence » : il faut être vieux et jeune à la fois, comme, pour être l'homme complet, il faut avoir « les deux sexes de l'esprit ». Michelet est ainsi l'un des derniers à porter le rêve romantique d'unité qui s'effondrera dans l'ironie de Lautréamont et de Rimbaud, et l'un des premiers à sentir l'impuissance des « subtils », des hommes de lettres.

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« par Lucien Febvre de l'Institut. »

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