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Mme de Sévigné aux Rochers. (Lettre d'un hôte de la marquise à une amie, contemptrice de la vie provinciale.)

Publié le 09/02/2012

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Cette lettre vous arrivera des Rochers où, depuis huit jours, je' suis l'hôte de notre chère marquise. Je vous entends vous récrier : «Comment peut-on, huit longs jours, tenir compagnie à une infirme tourmentée de rhumatismes, à une exilée qui pieure Versailles qu'elle a quitté, à une Rachel qui se lamente sur ses enfants absents et ne veut point être consolée?« - Détrompez-vous, comme j'ai dû le faire moi-même: les Rochers sont le plus charmant désert qui se puisse rêver, et Mme de Sévigné la plus heureuse des solitaires....

« lement que la marquise prolonge son séjour aux Rochers.

On mène grand train, paraît-il, en Provence, et les coffres de Grignan sont souvent épuisés; de son côté, le petit marquis, récemment pourvu d'un brevet de colonel, fait la fête, et ses blanches mains sont un creuset où fondent les pistoles sans qu'il sache trop comment : on implore la maman qui donne, donne encore et se saignerait aux quatre membres pour ses chers prodigues.

Vous n'ignorez pas qu'elle trouve des excuses aux inconséquences de Charles; quant à sa fille, elle l'aime à la folie, elle l'adore.

Sa grande peine est d'en être séparée; aussi trompe-t-elle sa douleur par d'interminables lettres qui, de son écriture, s'envolent à Grignan deux ou trois fois la semaine.

La fille rend-elle à la mère une affection si passionnée? Si j'en crois les bruits qui circulent, il leur serait bon à toutes deux de vivre éloignées l'une de l'autre.

Fama la bavarde aurait conté que l'opposition de leur caractère les fait souffrir mutuellement quand elles sont longtemps ensemble.

La mère accable sa fille de ses tendresses; mais elle verserait ses dons en ...

terre avarè.

Vous ne sauriez eroire à quel point la marquise est grande dévoreuse de livres.

Quand Charles est là, on lit des bagatelles, des vers, des romans, des histoires, puis on joue la comédie.

Lui disparu, on retourne à Tacite, dont la liseuse admire les cinglants sarcasmes; à M.

de La Fontaine, qui la réjouit par ses Fables; à M.

de Meaux dont elle goûte les Oraisons funèbres; à la morale de M.

Nicole, dont elle voudrait « faire un bouillon »; à tous les Messieurs de Port-Royal, qui la transportent d'admiration.

Sa librairie est des mieux pourvues : de saint Augustin à La Calprenède, tous les écri­ vains de marque ou de vogue y ont asile.

Un soir que nous causions au salon, je me hasardai à dire à Mm• de Sé­ vigné qu'elle ferait encore figure à la cour, et que, si elle m'en croyait, elle m'accompagnerait dans un mois.

«Volontiers, me dit-elle; mais avec l'air· et les traits que j'avais il y a quarante ans! Or, je ne suis pas de celles qui ont ...

soin de peindre et d'orner leur visage Pour réparer des ans f{rréparable outrage.

« J'ai, vous le voyez, toute la figure d'une grand-mère et qui serait fort dépaysée à Versailles, au milieu d'une génération nouvelle.

Ici, mes gens, mes arbres et moi, nous vieillissons ensemble et nous nous supportons! Je fus à Versailles pour les représentations d'Esther, de M.

Racine, et le Roi voulut bien avoir pour moi de particulières bontés; mais je n'y retournerai plus.

Disons-le tout bas : n'avez-vous pas éprouvé qu'il règne à la cour une certaine gêne, inconnue quand nous étions jeunes 'l La dévotion et la tris­ tesse auraient-elles élu domicile en même temps dans le palais t 'l » Ainsi donc, la résolution de Mm• de Sévigné est prise.

Elle restera aux Rochers qui sont, d'ailleurs, en grande partie son œuvre : leurs bois épais, elle les a percés de larges avenues; leurs arbres, combien elle en a plantés! leur tour, elle l'a fait élever.

Elle continuera à noter les nuances des feuilles au printemps et à l'automne, à écouter les oiseaux des charmilles, à suivre 1.

Ces deux dernières remarques sont inexactes, au moins en partie; mais elles traduisent la pensée de Mm• de Sévigné.

·. »

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