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MOLINET Jean : sa vie et son oeuvre

Publié le 24/11/2018

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MOLINET Jean (1435-1507). Né à Desvres, près de Boulogne-sur-Mer, probablement en milieu bourgeois, Molinet passa, après l’achèvement, à l’université de Paris, d’études « libérales », plusieurs années difficiles en quête d’un patron auprès de qui employer ses talents de lettré. Il assurera plus tard avoir frappé en vain à la porte de l’austère roi Louis XI, qui se montra peu sensible à sa rhétorique, à celles de la duchesse de Bretagne, des comtes d’Artois et de Saint-Pol, du roi d’Angleterre même. Il atteignait trente-deux ans quand il trouva preneur avec le duc de Savoie, Amédée IX, qui l’engagea on ne sait trop à quel titre. Mais Amédée, infirme, meurt quelques mois plus tard. Molinet, que cette disparition replonge dans l’insécurité, parvient à se glisser parmi le personnel de la cour de Bourgogne. Armé chevalier, il est bientôt attaché à la chancellerie de l’ordre de la Toison d’or, et collabore avec l’« indiciaire » (chroniqueur officiel de la maison ducale), l’illustre Georges Chastel-lain. Quand celui-ci meurt, en 1475, le duc Charles le Téméraire accorde à Molinet sa succession. Suivent une dizaine d'années d’intense activité poétique et historiographique. La crise qu'entraînent, après 1477, la défaite et la mort de Charles ne trouble que pour peu de temps la vie personnelle du poète : il reprend du service auprès de Marie, fille du Téméraire, qui vient d’épouser l’archiduc Maximilien, futur empereur. Deux ans plus tard naîtra de ce couple, à qui la fortune de Molinet est désormais attachée, la future Marguerite d’Autriche. La Ressource du Petit Peuple, l'un des plus beaux textes de Molinet (1480 1481), célèbre l’espoir qu’au milieu de la débâcle de la maison de Bourgogne porte cette enfant.

 

Dans les années qui suivent, alors que la situation publique se rétablit peu à peu dans les terroirs belges et lorrains, Molinet, devenu veuf, reçoit une charge de chanoine de Notre-Dame de la Salle, à Valenciennes. En 1485, Maximilien le confirme dans sa dignité d’indiciaire. C’est dans cette double fonction que Molinet passera la fin de sa vie, loué par les écrivains de la génération plus jeune, respectueusement consulté par ses pairs, honoré par les grands. Il meurt à soixante-douze ans, laissant le souvenir, comme dira Jean Lemaire de Belges, son neveu et disciple, d’un « chef souverain » des poètes. Ses œuvres pcétiques seront rééditées quatre fois avant 1540, date extrême de cette gloire posthume : en quelques années, révolution du goût aristocratique et la diffusion des modes littéraires italiennes font alors tomber dans un injuste oubli Molinet ainsi que les autres « rhéto-riqueurs ». Ce n’est que depuis peu que l’on redécouvre en lui l’un des plus grands poètes de langue française. [Voir Gr/\\nds rhétoriqueurs].

 

L'écriture et le réel

 

L’œuvre de Molinet, diverse en apparence mais profondément une, comporte, outre un ensemble de textes poétiques réunis (à quelques exceptions près) sous le titre de Faits et Dits (posth., 1531), les Chroniques, composées en sa qualité d’indiciaire. Molinet, en outre, publia vers 1500 une édition « modernisée », en prose, du Roman de la Rose, auquel il intègre une glose allégorique qui lui permet d’y déchiffrer une emblématique des vertus chrétiennes. On a enfin attribué — sans preuve décisive — à Molinet le livret d’un drame à grand spectacle, le Mistère de saint Quentin (vers 1480), dont les

 

formes poétiques s’apparentent étroitement à celles des Faits et Dits.

 

Les Chroniques elles-mêmes, qui retracent les événements survenus dans le duché de Bourgogne entre 1474 et 1506, tiennent de près aux parties panégyriques de ce recueil. Le contrat de 1485, définissant les tâches de l'historiographe (et prévoyant pour lui des honoraires du même ordre de grandeur que ceux d’un artiste sculpteur), implique en effet une conception politico-poétique de l’histoire, pensée dans les termes d’une fiction chevaleresque, et dont le principal indice de véracité est d’être écrite en prose, non en vers. Au reste, la richesse sonore, la subtilité lexicale, l’harmonie syntaxique de la prose « historique » de Molinet ne sont pas d'une autre nature que les qualités correspondantes de ses vers. Le choix même des épisodes racontés n’est pas sans ressemblance avec celui qui dicte le sujet des « poèmes d’actualité » des Faits et Dits : scènes de la vie curiale, qui se réalise dans les formules qui la prononcent en la parabolisant. Ce qui, dans la vieille tradition chevaleresque, était tension, idéologie agressive, subsiste comme mimesis d’un récit archétypique : fêtes et beaux faits d’armes, mais aussi lamentables dévastations des guerres; haïssables troubles populaires, dont triomphera finalement la gloire du prince; faits divers étranges, attestant la perturbation du siècle; miracles...

 

Des cent soixante poèmes rassemblés dans les deux gros volumes des Faits et Dits, la moitié s’articulent sur des arguments semblables et constituent globalement, en fait, le plan de référence des Chroniques. Événements militaires (la « Complainte de Grèce », la « Journée de Thérouanne »), politiques (« Sur ceux de Gand », « Au roi de Castille ») ou relatifs à l’existence des princes : naissance (d’Éléonore d’Autriche, du futur Charles Quint), mariage (des infants d’Autriche et d’Espagne), mort (de Philippe le Bon, du Téméraire, de Marie de Bourgogne, de l’empereur Frédéric, de bien d’autres), incidents divers (le « Naufrage de la Pucelle »).

 

En tout cela, Molinet se montre passionnément bourguignon et antifrançais. Mais son discours dit sa passion comme un attachement inconditionnel à l’ordre aristocratique. Sans jamais y parvenir tout à fait, le texte tend à se centrer sur soi, à articuler une expérience qui ne soit rien d’autre que la sienne propre. Sa référence s’établit ainsi au niveau de sa totalité plutôt qu’à celui de ses parties. La société du xve siècle, dans son état conflictuel, tient encore, par bien des traits, à la vieille culture médiévale, dont l’idéal est un recours incessant à ses propres structures, une fidélité parfaite à ses archétypes; mais déjà se manifeste avec violence un autre type de culture, voué au changement, sinon à la fuite en avant. D’où les chocs et les premiers ébranlements en profondeur, dont le discours de poètes comme Molinet a pour fonction officielle de tenter la neutralisation — en fait, le maquillage. D’où l’aspect théâtral du texte : moins communication que reconnaissance des contraintes hégémoniques pesant sur le langage. D’où l’élément hyperbolique de louange personnelle (du prince ou de son substitut) que comporte presque inévitablement le revêtement figuratif. Toute rupture perçue dans le réel vécu, toute contradiction impliquée par les faits est pensée et exprimée en termes statiques, dont les variations provisoires ne sont que le signal d'un prochain retour à l’équilibre : paix/guerre, justice/tyrannie, d’une part, et, de l’autre (relativement à la guerre), juste/injuste,

« glorieuse/honteuse, par nous/par eux.

Le discours opère d'infinies variations sur ce schème, y incorpore de façon amplificatoire divers lieux communs, descriptions et digressions; l'investissement des valeurs morales s'y fait, généralement, par le moyen de figurations allégori­ ques.

La «Robe de l'archiduc», dans le contexte des événements qui suivirent la mort de la duchesse Marie, allégorise, sous la figure d'une robe somptueuse tour à tour déchirée, partagée, rapiécée, enfin remise en état, les possessions de la maison de Bourgogne.

Le « Débat des trois nobles oiseaux », combinant calembour et allé­ gorie, figure Louis Xl, «roitelet », Charles le Téméraire, « grand-duc », et Sixte IV, « papegaut » (perroquet) ...

Souvent, ces motifs généraux sont spécifiés par res­ triction : la source de la gloire s'identifie avec la bra­ voure, la vertu se résorbe dans ses connotations guerriè­ res.

Mais encore toute gloire n'est-elle pas «vraie>> , et le discours poétique a aussi pour fonction de la distinguer de la fausse, qui procède d'orgueil.

La vraie s'incarne éminemment dans le prince qu'on loue; la fausse, dans ses ennemis ou dans les personnages moindres de l'en­ tourage princier.

De toute manière, le porteur de vraie gloire s'en trouve grandi.

Les poèmes d'inspiration religieuse (à peine plus de vingt dans les Faits et Dits), qui, selon la pratique cou­ rante au xve siècle, ont le plus souvent la forme de louan­ ges de Notre-Dame, ne s'écartent pas vraiment de cette perspective idéologique : un déplacement (plutôt qu'une métaphore) y christianise explicitement les idées de jus­ tice, de vertu et de gloire.

Les nombreuses pièces ironi­ ques, burlesques, voire obscènes, du recueil (à quoi s'en ajoutent quelques autres, restées extérieures aux Faits et Dits), elles-mêmes se rattachent directement au jeu de la cour, en vertu de l'un des dynamismes poétiques les mieux enracinés et les plus puissants dans la culture médiévale (mais que le xvnc siècle éliminera un jour de la tradition française) : la parodie.

Tout discours médiéval possède nécessairement, de façon explicite, sa parodie, sans laquelle il demeure sans force et sans prise sur le réel.

Dans cet ensemble d'idées, à l'époque banales.

d'ima­ gerie typée et, parfois, de jatllissements oniriques plus inattendus, le sentiment de l'incertitude des temps pré­ sents, une confuse appréhension de l'avenir percent malaisément le réseau des thèmes traditionnels, issus des anciennes allégories « courtoises», du moralisme monastique ou des malheurs d'hier (thème de la mort) : tous éléments qui, aussi bien, constituent le fond topique de la poésie d'un Villon (exact contemporain de Moli­ net).

Ce sont là autant de niveaux d'articulation, organi­ sant rhétoriquement les éléments qui le constituent.

De niveau à niveau se définissent des corrélations stylisti­ ques, dont le faisceau fonde la cohésion du texte.

Mais, par là même, tout fait de surface se prête simultanément à plusieurs interprétations.

Plusieurs vraisemblances s'affichent ensemble, de façon logiquement absurde; mais les contraires se conjoignent, du fait même qu'ils s'excluent.

La rhétorique et le sens Bien représentatif ainsi de sa génération, Molinet s'en dégage fortement par 1' exceptionnelle qualité de son lan­ gage poétique -étonnamment « moderne >> à nos yeux.

Cette qualité provient moins de recherches originales que du rare bonheur avec lequel Molinet tire, des techni­ ques connues au xve siècle, les effets les plus propres à diversifier les plans de signification du discours.

Molinet (contrairement à Charles d'Orléans, d'une génération son aîné, et à bien d'autres) pratique peu les « formes fixes » (ballade et rondeau) : on peut supposer qu'un sentiment aigu de son propre talent le poussait à éviter ce qu'elles comportaient, en apparence, de contraintes toutes faites.

Les« genres » qu'il préfère sont en effet les moins réglés par la coutume : épître, débat, plus rarement pastorale ou « testament».

Ses poèmes les plus réussis échappent entièrement à de tels cadres; les plus ambitieux sont faits d'une alternance de prose (très ornée, fortement rythmée, parfois rimée) et de vers : type de « prosimètre >> qui fut à la mode clhez les rhétori­ queurs.

Forme solennelle, recourant aux figurations allé­ goriques, et réservée aux arguments politiques ou moraux, le prosimètre, durant un demi-siècle, fut senti comme particulièrement propre à soutenir la gravité de la vie de cour.

Son unité d'intention, sarus cesse décalée par le retour soit du vers, soit de la prose, provient d'une poussée profonde qui fond en chatoiements fugitifs les rythmes contrastés, diffère la jouissance que promet l'existence concrète du texte, jusqu'au silence qui en marque la fin.

La distribution de la prose et des vers n'y est jamais aléatoire; de chaque texte se dégage une fonction particulière qui la justifie et gui, souvent, la rend nécessaire.

En vers ou en prose, les moyens de cet art sont les mêmes.

Molinet témoigne d'une extrême finesse d'ouïe, d'une grande délicatesse dans le maniement des sons : qualités d'ordre instrumental, épanouissant en surface des virtualités profondes.

L'extraordinaire diversité des rimes (on en a relevé une vingtaine de variétés classifia­ bles), les tours de force dont elles semblent le produit ont à la fois fasciné et (bien à tort) rebuté les commentateurs universitaires.

En même temps que source de plaisir pour l'oreille, elles sont vecteurs de sens par cela même qu'on ne peut les isoler de 1' ensemble des configurations pho­ niques (allitérations, échos), Princes puissants, qui trésors affinez Et ne fi nez de forger grands discords, Oui dominez, qui le peuple a minez, Oui ruminez, qui gens persécutez Et tourmentez les âmes et les corps [ .

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] Tranchez, coupez, détranchez, découpez, Frappez, happez baniêres et barons, Lancez, heurtez, balancez, behourdez [ ...

] Tirez canons, faites grands espourris : Dedans cent ans vous serez tous pourris.

(Ressource du Petit Peuple) rythmiques (groupements réguliers de syllabes, de mots, de synonymes), Marie, mère merveilleuse, Marguerite mondifiée, Mère miséricordieuse, Maison moult magnifiée, Ma maîtresse mirifiée [ ...

] Ardant amour, arche adornée, Ancelle annoncée, acceptable [ ...

J Rubis radiant, rosé ramée, Rai réchauffant, réseau rorable ...

(Oraison.

Pantogramme : chaque strophe joue de l'une des lettres du nom de Marie) pas plus que des ruptures de registre (pièces bilingues, insertion de proverbes, citations intégrées, accumula­ tions parfois vertigineuses), 0 quam glorifica luce Resplend notre arche archiducale! Splendor paterme gloriae Par sa couronne impériale Illumine cour, chambre et salle ...

(Pour la naissance du duc Charles) [ •.• J Elle avait le chef cornu, les oreilles pendantes, les yeux ardents, la bouche moult tordue, les dents aiguës, la langue serpentine, les poings de fer, la pance boursoufflée, le dos velu, la queue venimeuse et était puissamment montée sur un étrange monstre à manière de leuserve (loup-cervier) fort et courageux à merveille, jetant feu par la gueule, chaux --·-- - -·-- - --------- ------- ------ --------- � -----�� -�-�····-�···" .

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