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Montaigne - Essais, I, 26 : «De l'institution des enfants»

Publié le 03/03/2011

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Le chapitre XXVI des Essais traite de l'éducation des enfants. Montaigne s'adresse à Diane de Foix, Comtesse de Gurson. Ce passage définit les méthodes que devra utiliser un précepteur bien choisi et pose les bases d'une éducation raisonnée. Qu'il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu'il juge du profit qu'il aura fait non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu'il viendra d'apprendre, il le lui fasse mettre 5 en cent visages et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s'il l'a encore bien pris et bien fait sien, prenant l'instruction de son progrès des pédagogismes de Platon1. C'est témoignage de crudité2 et indigestion que de regorger3 la viande comme on l'a avalée. L'estomac n'a pas fait son 10 opération, s'il n'a fait changer la façon et la forme à ce qu'on lui avait donné à cuire4. Notre âme ne branle qu'à crédit5, liée et contrainte à l'appétit6 des fantaisies d'autrui, serve 10 et captivée sous l'autorité de leur leçon. On nous a tant assujettis aux cordes que 15 nous n'avons plus de franches allures. Notre vigueur et liberté est éteinte. «Nunquam tutelae suae fiunt 8 «

Qu'il lui fasse tout passer par l'étamine9 et ne loge rien en sa tête par simple autorité et à crédit; les principes d'Aristote ne lui soient principes, non plus que ceux des Stoïciens ou 20 Épicuriens. Qu'on lui propose cette diversité de jugements :il choisira s'il peut, sinon il en demeurera en doute. Il n'y a que les fols certains et résolus. Che non men che saper dubbiar m'aggrada 10.

Car s'il embrasse les opinions de Xénophon et de Platon par 25 son propre discours, ce ne seront plus les leurs, ce seront les siennes. Qui suit un autre, il ne suit rien. Il ne trouve rien, voire il ne cherche rien. «Non sumus sub rege; sibi quisque se vindicet 11.« Qu'il sache qu'il sait, au moins. Il faut qu'il emboive12 leurs humeurs, non qu'il apprenne leurs 30 préceptes. Et qu'il oublie hardiment, s'il veut, d'où il les tient, mais qu'il se les sache approprier. La vérité et la raison sont communes à un chacun, et ne sont non plus à qui les a dites premièrement, qu'à qui les dit après. Ce n'est non plus selon Platon que selon moi, puisque lui et moi l'entendons et voyons 35 de même. Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur; ce n'est plus thym ni marjolaine : ainsi les pièces empruntées d'autrui, il les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement. Son institution, son travail et 40 étude ne vise qu'à le former. Qu'il cèle tout ce de quoi il a été secouru, et ne produise que ce qu'il en a fait. Les pilleurs, les emprunteurs mettent en parade leurs bâtiments, leurs achats, non pas ce qu'ils tirent d'autrui. Vous ne voyez pas les épices d'un homme de 45 Parlement, vous voyez les alliances qu'il a gagnées et honneurs à ses enfants. Nul ne met en compte public sa recette; chacun y met son acquêt. Le gain de notre étude, c'est en être devenu meilleur et plus sage. Essais, I, 26 : «De l'institution des enfants«

1. C'est-à-dire par un enchaînement de questions et de réponses, comme dans le système pédagogique de Platon. — 2. Inaptitude à digérer. — 3. Vomir.— 4. Digérer. — 5. D'après l'opinion d'autrui. — 6. Désir. — 7. Esclave. — 8. « Ils ne deviennent jamais leur propre maître« (Sénèque, Lettres à Lucilius, XXXIII). - 9. Tissu servant à filtrer. — 10. « Car non moins que savoir douter me plaît « (Dante, La Divine Comédie, «Enfer«, XI, 93). — 11. «Nous ne vivons pas sous un roi; que chacun dispose de lui-même« (Sénèque, Lettres à Lucilius, XXXIII). - 12. Qu'il s'imprègne.

 

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« C.

et Un enseignement basé sur l'apprentissage par coeur - comparaison de l'apprentissage avec le gavage des oies : "criailler" (l.10) ce qui est le bruit des oies ( qui cacardent, aussi ) et " versait dans un entonnoir" (l.10-11) allusion directe à la méthode de gavage ( qui entraîne la mort de l'oie par cirrhose du foie ) - "Regorger [ cad vomir ] la nourriture comme l'on a avalée est un preuve qu'elle est restée crue et non assimilée." (l.38-39), la comparaison imagée qui est aussi un exemple et la présentation sous forme d'un proverbe renforcent le point de vue de Montaigne + comparaison implicite entre "crue" qui équivaut à "non assimilée" c'est à dire, pour l'enseignement, qui ne sert à rien. II.

d'où Les principes de ses méthodes A.

Définition de l'élève et du maître -"Pour un enfant de maison" (l.1), mis en valeur de cette condition par sa position au début du paragraphe et du texte, implique que Montaigne parle de l'instruction des jeunes nobles, ( d'où une éducation dispensé à domicile par un précepteur qui n'avait en charge qu'un ou deux élèves) . -"qu'il le fasse trotter [...] pour juger de son allure" (l.

20), opposition entre cette comparaison avec un cheval, animal noble, et celle avec les oies, volaille vulgaire de basse-cour.

+"s'adapter à sa force" (l.21), comparaison entre le maître et un éleveur ou un dresseur de chevaux, qui doit adapter son entraînement à chaque animal.

Donc le maître doit être attentif et s'adapter à son élève. B.

Un enseignement qui conduit à l'enrichissement de l'individu... Pour Montaigne, et pour les Humanistes en général, on juge la connaissance sur ces bienfaits : valeur morale, etc - ce n'est pas "pour le gain [...] but vil [...] indigne de la grâce et de la faveur des Muses" (l.2) donc c'est pour les loisirs et pour l'enrichissement personnel, idée mise en valeur par la redondance entre "grâce" et "faveur" et confortée par l'argument d'autorité qu'est la référence aux "Muses" de l'Antiquité ( rappel de l'Humanisme de Montaigne ) -"[l'élève doit] juger du profit [de son éducation] par le témoignage de sa vie"(l.34) : le savoir conduit à une meilleure appréciation de l'individu de son expérience et donc à un enrichissement général.

C.

...qui est basé sur la réflexion et l'esprit critique - "qui eût plutôt la tête bien faite que la tête bien pleine" (l.7) cette proposition suit la proposition principale du 1 er paragraphe qui est constitué d'une seule très longue phrase.

Cette position la met en valeur car le lecteur attend la proposition principale ainsi que le parallélisme de construction "la tête bien faite/pleine".

Montaigne insiste donc sur l'importance de la réflexion et sur l'inutilité du par coeur. -"Qu'il lui fasse tout passer par l'étamine et ne loge rien par autorité" (l.42), anaphore avec "Qu'il ne lui demande pas seulement de répéter les mots" (l.32) qui renforce le lien entre ces deux phrases qui expriment la même idée.

L'utilisation du subjonctif de souhait "fasse" et "demande" révèle l'attachement de Montaigne à cette méthode. III.

donc Un texte hautement pédagogique qui révèle l'Humanisme de Montaigne A.

Il met en application ses principes en instaurant un dialogue avec le lecteur... -omniprésence du pronom personnel "je" (l.6,11, 15, 16, 25) qui montre l'implication de Montaigne, ainsi que la présence de. »

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